Nouveaux soupçons sur les OGM

es plantes transgéniques ont-elles des effets négatifs sur la santé ? Depuis leur commercialisation en 1996, la question agite les cercles d’experts et les associations écologistes, sans qu’aucun indice indiscutable permette de répondre par l’affirmative. Or, plusieurs études récentes, réalisées par des chercheurs crédibles et publiées dans des revues scientifiques, concordent pour jeter un doute sur la totale innocuité des OGM. Elles n’affirment pas qu’ils génèrent des problèmes de santé. Mais à tout le moins qu’ils suscitent des effets biologiques qui devraient être plus largement étudiés. Ce questionnement nouveau survient alors que le conseil des ministres a adopté, mercredi 8 février, un projet de loi sur les OGM et que, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), un rapport intérimaire a été remis le 7 février aux parties dans le conflit qui oppose les Etats-Unis, le Canada et l’Argentine à l’Union européenne sur les plantes transgéniques.

En novembre 2005, des chercheurs australiens publiaient un article dans une revue scientifique (Vanessa Prescott et al., Journal of Agriculture and Food Chemistry, 2005, p. 9023) expliquant que le transfert d’un gène exprimant une protéine à effet insecticide d’un haricot vers un pois avait suscité des problèmes inattendus : chez les souris nourries du pois transgénique, les chercheurs du Csiro (l’équivalent australien du CNRS français) ont constaté la production d’anticorps, qui sont des marqueurs d’une réaction allergénique. L’affaire, qui a fait les gros titres de la presse australienne et anglaise, a conduit le Csiro à arrêter le développement de ce pois transgénique, tandis que le ministre de l’agriculture de l’Etat d’Australie de l’Ouest, Kim Chance, annonçait que son gouvernement financerait une étude indépendante sur l’alimentation d’animaux par des OGM : « Le gouvernement de l’Etat est conscient de l’inquiétude relative à la sûreté des OGM, alors que la plupart de la recherche dans ce domaine est menée ou financée par les compagnies mêmes qui promeuvent les OGM », a expliqué M. Chance, en novembre 2005, dans un communiqué.

Durant l’été 2005, c’est une équipe italienne, conduite par Manuela Malatesta, biologiste cellulaire à l’Institut d’histologie de l’université d’Urbino, qui avait publié des résultats intrigants (European Journal of Histochemistry, 2005, p. 237). Dans des études antérieures, cette équipe avait déjà montré que l’absorption de soja transgénique par des souris induisait des modifications dans les noyaux de leurs cellules du foie. La publication de l’été a prouvé que le retour à une alimentation non transgénique faisait disparaître les différences observées. Elle montrait aussi que plusieurs de ces modifications pouvaient « être induites chez l’organisme adulte en peu de temps ».

En Norvège, Terje Traavik, directeur scientifique de l’Institut d’écologie génétique de l’université de Tromsö, vient de publier une étude dans European Food Research and Technology (janvier 2006, p. 185) : il montre qu’un élément des constructions génétiques utilisées pour modifier une plante, le promoteur 35S CaMV, peut susciter l’expression de gènes dans des cellules humaines en culture. Or, selon les défenseurs des OGM, ce promoteur n’a normalement cet effet que chez les plantes.

La multiplication de ces expériences a conduit la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) à organiser un séminaire sur la sûreté des aliments transgéniques en octobre 2005, réunissant les meilleurs spécialistes de la question.  » Ce qui se dégage est qu’il faut être attentif à ce genre d’études, dit Ezzedine Boutrif, coordinateur du séminaire à la FAO. Dans plusieurs cas, il y a eu mise sur le marché d’OGM sans que les dossiers de sûreté soient très clairs. »

Les chercheurs impliqués dans ces récentes études affichent leur neutralité. « Je n’avais pas d’idée préconçue sur les OGM quand j’ai commencé ma recherche en 2000, dit Manuela Malatesta. Je pensais que ce n’était pas dangereux, puisqu’on en mangeait depuis longtemps. Mais il n’y avait presque pas de littérature scientifique sur le sujet. Nous avons donc pensé qu’il était utile de faire ces études. » Pour Terje Traavik, la motivation de départ était différente : « Je faisais de la recherche sur le cancer en utilisant la transgenèse. Nous savions, avec mes collègues, que cela poserait un problème si cela sortait du laboratoire. Cette inquiétude nous a convaincus qu’il fallait étudier ce type de risques. »

Ces travaux retiennent d’autant plus l’attention que, aux Etats-Unis comme en Europe, la recherche sur les effets des OGM n’a pas été encouragée par les gouvernements. Les études toxicologiques sont réalisées par les entreprises promouvant les OGM, dont l’impartialité est discutable, et examinées ensuite par des commissions. Mais celles-ci ne refont pas les études, qui restent secrètes. Or, ces études aussi montrent parfois des effets biologiques notables.

Le 23 avril 2004, Le Monde révélait que les experts de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) étaient partagés sur les effets d’un maïs de Monsanto, le MON 863. Dans l’étude toxicologique qui leur avait été communiquée, il apparaissait que les rats nourris aux OGM présentaient plusieurs anomalies : augmentation du nombre de globules blancs, de la glycémie, baisse du nombre de globules rouges, etc. Il s’ensuivit un débat entre les agences concernées, qui conduisit à un avis favorable de la CGB. Si les experts ont réexaminé le dossier, ils n’ont cependant pas remis en question l’analyse statistique présentée par Monsanto.

Des associations, dont Greenpeace, ont demandé la publication du dossier toxicologique pour pouvoir le soumettre à une contre-expertise. Le 9 juin 2005, la cour d’appel de Münster, en Allemagne, ordonnait sa diffusion. Greenpeace a alors confié à deux chercheurs français, Gilles-Eric Séralini, de l’université de Caen, et Dominique Cellier, de l’université de Rouen, une contre-expertise statistique du dossier. Ils devraient publier en février le résultat de leur étude. « L’analyse statistique par Monsanto des différences observées sur les rats était très superficielle, observe Dominique Cellier, qui est spécialiste de bio-informatique. Ils isolaient les variables, au lieu d’utiliser des méthodes dites d’analyse multivariables, qui consistent à mettre en cohérence les anomalies observées. Si on utilise ces méthodes, on constate une cohérence entre les anomalies de poids, urinaires et hématologiques des animaux nourris aux OGM. »

Cette étude devrait susciter de nouveaux débats. Mais, d’ores et déjà, les experts officiels reconnaissent que les procédures d’évaluation toxicologique des OGM ne sont pas parfaites. « La discussion sur le MON 863 a été très positive, dit Jean-Michel Wal, membre du groupe OGM de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire. Elle nous a permis d’approfondir les méthodes d’évaluation. En fait, les études toxicologiques sur les rats à 90 jours sont très difficiles à faire et à interpréter. On ne sait pas étudier un aliment complet, OGM ou pas, il n’y a pas de norme. » Et la multiplication des interrogations sur les effets biologiques des OGM appellent, pour le moins, un débat scientifique plus ouvert et des recherches publiques pour l’instant très rares.



Articles Par : Hervé Kempf

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