Obama et Kerry donnent des leçons à la Russie sur l’Ukraine

Le ministre américain des Affaires étrangères John Kerry s’est servi d’une conférence de presse du ministère pour donner des leçons à la Russie sur la nécessité de maintenir la « stabilité » et « l’intégrité territoriale » de l’Ukraine alors que l’intervention occidentale y a exacerbé la situation.

Ces remarques interviennent tout juste une semaine après que l’intervention concertée des États-Unis, de l’Allemagne, de la France et des autres puissances européennes a entraîné un violent coup d’Etat par les forces d’extrême-droite et fascistes dans la capitale de Kiev.

« Les États-Unis soutiennent entièrement l’intégrité territoriale de l’Ukraine et la souveraineté [sic], et nous attendons des autres nations qu’elles en fassent autant, » a déclaré Kerry. Il a ajouté qu’il avait instruit plus tôt dans la journée le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov qu’« il est important pour tout le monde de faire extrêmement attention à ne pas envenimer la situation et ne pas envoyer les mauvais messages. »

Plus tard dans la journée, ces remarques ont été reprises par le président Barack Obama, qui a dit qu’il trouvait les rapports sur les mouvements de troupes « profondément inquiétants. » Il a déclaré que « toute violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ukrainienne serait profondément déstabilisante, » ajoutant de manière menaçante que « toute intervention militaire en Ukraine en coûtera. »

Qui Kerry et Obama espèrent-ils tromper ? Washington est intervenu de manière très claire dans les affaires internes de l’Ukraine, déversant 5 milliards de dollars depuis les années 1990, un fait reconnu en décembre dernier par l’adjointe du ministre des Affaires étrangères chargée de l’Europe et de l’Eurasie, Victoria Nuland, dans des programmes visant à fabriquer un instrument politique en vue d’un changement de régime pro-occidental dans ce pays d’Europe de l’Est.

Nuland elle-même a fait au moins quatre voyages à Kiev au cours de ces derniers troubles, distribuant du pain et des gâteaux aux « manifestants » néo-fascistes sur la place de l’Indépendance et organisant des réunions avec les figures de l’opposition Arseny Yatseniuk et Vitali Klitschko, qu’elle appelle « Yats » et « Klitsch » dans sa tristement célèbre conversation enregistrée avec l’ambassadeur des États-Unis, ainsi qu’avec le chef du parti antisémite et fasciste Svoboda, Oleh Tyahnybok.

Tout cela visait non à assurer l’« intégrité territoriale, » la « souveraineté » et la « stabilité, » mais à déchaîner un chaos violent pour faire tomber un gouvernement élu et installer un régime qui suive la ligne de Washington et projette la puissance américaine vers les frontières de la Russie.

Kerry a parlé jeudi en particulier des manifestations pro-russes en Crimée et de la nécessité de « désamorcer ces tensions. » Il n’a fait aucune mention de ce que ces « tensions » ont été attisées par l’une des premières actions du prétendu gouvernement provisoire, qui a été d’abolir les droits aux langues minoritaires pour les russophones, soit plus de 30 pour cent de la population, qui sont majoritaires dans le Sud et l’Est, ainsi que pour ceux qui parlent bulgare, hongrois, roumain et polonais. Cette action a été entreprise à l’initiative du partiSvoboda.

Le coup d’Etat soutenu par les États-Unis en Ukraine représente le point culminant d’un processus de longue durée d’intervention en Europe de l’Est, dans la foulée de la dissolution de l’Union soviétique il y a 25 ans.

Affirmer que l’« intégrité territoriale » serait un principe inviolable avancé par l’impérialisme américain dans cette entreprise agressive serait ridicule. Au contraire, l’intervention américaine a commencé en ex-Yougoslavie avec la promotion belliqueuse des mouvements séparatistes et le soutien à la sécession et aux « nettoyages ethniques » systématiques pour tailler de nouveaux micro-Etats sur des bases ethniques sous la domination de Washington. Deux fois durant les années 1990, cela a entraîné des guerres de l’OTAN qui ont fait des milliers de morts et de blessés et des centaines de milliers de gens qui ont fui leur foyer.

Dans ces cas, la position de Washington était claire : les Etats existants n’avaient aucun droit à défendre leur intégrité territoriale contre les desseins américains, et s’ils essayaient de le faire, l’armée américaine les bombarderait.

Et tout cela n’est pas nouveau pour l’impérialisme américain. Il s’était emparé de Panama et du site du futur canal en le prenant à la Colombie au début du 20e siècle, en créant son propre mouvement sécessionniste et en disant clairement qu’il attaquerait la Colombie si elle résistait.

Au cours de la dernière décennie, Washington a piétiné « l’intégrité territoriale » de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye et de la Syrie avec des invasions directes et des guerres par procuration pour obtenir un changement de régime.

L’on peut être sûr que le principe soi-disant sacré de « l’intégrité territoriale » sera jeté aux orties en ce qui concerne la Russie, où Washington ira certainement poursuivre son aventure en Ukraine en venant jeter de l’huile sur le feu des conflits ethniques et nationaux dans le but de démanteler et subjuguer la Russie.

Quant à la leçon sur le respect de la « souveraineté » adressée à la Russie, il est bon de se rappeler que l’impérialisme américain a, en substance, affirmé son droit de propriété sur tous les territoires situés à son Sud depuis la promulgation de la Doctrine Monroe en 1825. Pas plus tard que l’an dernier, c’était Kerry qui, devant le Sénat, parlait de l’Amérique latine comme de « notre arrière-cour. »

Que Washington soit maintenant capable d’étendre la Pax Americana aux frontières de la Russie est dû, en dernière analyse, aux processus mis en mouvement par la dissolution de l’Union soviétique, le crime final et historiquement monumental de la bureaucratie stalinienne de Moscou.

Le stalinisme a trahi les intérêts de la classe ouvrière en Ukraine, en Russie et dans le reste de l’Union soviétique, comme dans tous les autres pays. Les bureaucrates privilégiés se sont transformés en capitalistes, pillant et monopolisant la richesse sociale créée pendant les 75 ans écoulés depuis la révolution d’octobre 1917.

S’opposer à l’asservissement colonial des peuples d’Ukraine, d’Europe de l’Est et du reste de l’ex-URSS par l’impérialisme américain et allemand ne revient pas à défendre les intérêts nationaux de la Russie ou le pouvoir d’aucune des factions politiques en Ukraine, qui sont toutes des instruments directs d’une poignée d’oligarques.

La tendance agressive de l’impérialisme américain en Ukraine a servi à révéler au grand jour la pourriture et la faillite du régime russe dirigé par Vladimir Poutine. Représentant les intérêts d’une couche de gangsters et de bureaucrates ex-staliniens qui constituent une classe dirigeante comprador corrompue, ce régime n’est pas en mesure, ni n’a aucunement l’intention, de mobiliser une opposition authentique à l’intervention impérialiste américaine. Les exercices militaires lancés à la frontière ukrainienne représentent en fait la moindre des choses que Moscou pouvait faire dans ces circonstances.

Bill Van Auken

Article original, WSWS, paru le 1er mars 2014



Articles Par : Bill Van Auken

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