Omar Khadr, enfant soldat: fait ou perception?

Capturé à 15 ans en Afghanistan et emprisonné par les États-Unis, le Canadien Omar Khadr, aujourd’hui âgé de 28 ans, a été libéré sous caution après 13 ans de détention. Il a passé la plupart de ces années-là à Guantanamo Bay, le centre de détention étasunien illégal qui, selon Amnesty International, « est devenu l’emblème des violations flagrantes des droits humains commises par le gouvernement des États-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme. À Guantanamo, le gouvernement étasunien a cherché à maintenir les détenus dans un lieu où ni le droit des États-Unis, ni le droit international ne s’applique ».

Lorsqu’il était détenu, les reportages des grands médias canadiens sur Omar Khadr étaient plein d’inexactitudes et de désinformation. Il semble que cette tendance ne se terminera pas avec sa libération.

Bien que les médias canadiens (anglais) traditionnels admettent que Khadr a plaidé coupable de crimes de guerre devant une « commission militaire largement discréditée », la plupart ne reconnaissent pas le fait que Khadr était un enfant soldat et qu’il ait été torturé lors de sa détention à Bagram et à Guantanamo. Pourtant, le droit international est sans équivoque : lorsque l’on a moins de 18 ans et que l’on est utilisé dans un conflit armé, on est, par définition, un enfant soldat.

Un grand nombre de journalistes et de chroniqueurs disent que Khadr était « considéré par ses sympathisants comme un enfant soldat ». Ce n’est toutefois pas une question de considérations, mais une question de faits : avoir 15 ans et être dans un conflit armé = être un enfant soldat. Pourquoi les journalistes évitent-ils de mentionner précisément ce fait?

Dans l’article suivant de la CBC, le terme « enfant soldat » n’est même pas mentionné une seule fois :

Plus tôt dans la journée, le criminel de guerre condamné de 28 ans a été libéré sous caution par un tribunal d’Edmonton pendant qu’il interjette appel de sa condamnation aux États-Unis […]

Il a été capturé en Afghanistan lorsqu’il avait 15 ans, après un échange de tirs avec des soldats étasuniens. Il a été accusé d’avoir lancé une grenade ayant tué un soldat étasunien.

Le 25 octobre 2010, dans un arrangement incluant son rapatriement au Canada, Omar Khadr a plaidé coupable à des accusations de meurtre en violation du droit de la guerre, tentative de meurtre en violation du droit de la guerre, de complot, d’avoir fourni un soutien matériel au terrorisme et d’espionnage […]

Né à Toronto, Khadr était le plus jeune prisonnier à Guantanamo Bay et le dernier citoyen occidental dans le camp de détention. (Omar Khadr, free on bail, vows to prove he is ‘a good person’, CBC.ca, 7 mai 2015.)

Khadr était tout simplement « le plus jeune prisonnier » de Gitmo, pas un enfant soldat. Cet article du Toronto Star va dans le même sens :

En octobre 2010, devant une commission militaire largement discréditée, Omar Khadr, aujourd’hui âgé de 28 ans, a plaidé coupable de cinq crimes de guerre – incluant le meurtre de Speer, un soldat des forces spéciales des États-Unis […]

Khadr a passé presque 13 ans derrière les barreaux, dont quatre comme criminel de guerre condamné.

Il a été capturé en juillet 2002 à l’âge de 15 ans par les forces étasuniennes en Afghanistan, alors qu’il était grièvement blessé. À une certaine époque, il était le plus jeune détenu de l’établissement carcéral étasunien de Guantanamo Bay. (Mike Blanchfield,  Peter MacKay praises Omar Khadr for renouncing violence, as Stephen Harper stays mum, La Presse Canadienne, 8 mai 2015.)

Les deux reportages mentionnent que Khadr avait 15 ans lors de sa capture, mais évitent de le décrire comme un enfant soldat. Le Toronto Star cite cependant le député conservateur Tom Lukiwski, dont le commentaire sur la « notion » d’enfant soldat est totalement illogique :

« Les mots ne sont que des mots », a déclaré député conservateur de la Saskatchewan Tom Lukiwski. « Je rejette l’idée qu’il était un enfant soldat. Je pense qu’il s’agissait d’un acte prémédité tout à fait délibéré, et qu’il devrait en payer le prix. » (Ibid.)

« Les mots ne sont que des mots? » Pas vraiment M. Lukiwski. Les normes et les définitions juridiques ne sont pas « que des mots » et « enfant soldat » en est un exemple :

La définition reconnue internationalement d’un enfant associé à une force armée ou un groupe armé (enfant soldat) comprend toute personne âgée de 18 ans qui est ou a été recrutée ou employée par une force ou un groupe armé, quelle que soit la fonction qu’elle y exerce. Il peut s’agir, notamment mais pas exclusivement, d’enfants, filles ou garçons, utilisés comme combattants, cuisiniers, porteurs, messagers, espions ou à des fins sexuelles. Le terme ne désigne pas seulement un enfant qui participe ou a participé directement à des hostilités. (Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, 2007.) (Child Soldiers International, Who Are Child Soldiers?)

La déclaration de M. Lukiwski est complètement absurde : il rejette l’« idée » que Khadr était un enfant soldat et dit qu’il s’agissait d’un « acte prémédité totalement délibéré et il doit en payer le prix ». D’abord, Omar Khadr est de fait un enfant soldat, il ne s’agit pas d’une « idée ». Personne ne peut réfuter le fait qu’un garçon de 15 ans dans un conflit armé est un enfant soldat et avoir 15 ans est loin d’être « un acte prémédité totalement délibéré ». Bien sûr, Lukiwski faisait allusion au meurtre (présumé) d’un soldat étasunien comme étant un acte délibéré, mais cela n’a absolument rien à voir avec le fait que Khadr était âgé de 15 ans, donc un enfant soldat. Qu’il ait tué ou non, que ce geste ait été délibéré ou non ne change rien au fait que Khadr avait 15 ans au moment des faits et était un enfant soldat.

Le droit international est sans équivoque et s’applique au cas d’Omar Khadr : il est interdit aux « groupes armés non étatiques de recruter ou d’utiliser de personnes de moins de 18 ans » dans les hostilités.

Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés : adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 mai 2000, entré en vigueur le 12 février 2002. Le Protocole fixe à 18 ans l’âge minimum pour la participation directe aux hostilités et l’enrôlement obligatoire par les forces armées étatiques. Les États peuvent accepter des volontaires dès l’âge de 16 ans, mais doivent déposer une déclaration contraignante au moment de la ratification du Protocole ou de l’adhésion à ce dernier, fixant l’âge minimum de recrutement volontaire et décrivant certaines garanties pour un tel recrutement. Le Protocole interdit également aux groupes armés non étatiques de recruter ou d’utiliser dans des hostilités des personnes n’ayant pas atteint l’âge de 18 ans. (Child Soldiers International, International Standards)

Étonnamment, l’article le plus juste a été publié dans le journal conservateur du Canada, le National Post :

En octobre 2010, devant une commission militaire largement discréditée, Omar Khadr, aujourd’hui âgé de 28 ans, a plaidé coupable de cinq crimes de guerre – incluant le meurtre de Speer, un soldat des forces spéciales des États-Unis. Il avait 15 ans au moment de l’incident, lorsqu’il aurait lancé une grenade ayant tué Speer au cours d’une fusillade en Afghanistan. Des groupes de défense des droits humains le considèrent depuis longtemps comme un enfant soldat dont le traitement a violé le droit international. (Harper not backing down on Omar Khadr: He ‘pled guilty to very grave crimes, including murder’, La Presse Canadienne, le 8 mai 2015.)

Encore une fois, Omar Khadr est uniquement « considéré » comme un enfant soldat par des groupes de défense des droits humains. Pourquoi autant de dédain pour les normes juridiques? Les journalistes ont-ils reçu l’instruction de ne pas présenter Khadr comme un enfant soldat?

La couverture médiatique du cas d’Omar Khadr n’a jamais été juste et équitable. En janvier le groupe de soutien Free Omar Khadr Now publiait un « Appel à une couverture médiatique juste à propos d’Omar Khadr ». Nous le reproduisons et demandons à nouveau l’équité et l’exactitude. Même si aujourd’hui Omar Khadr est enfin libre, il mérite encore que justice lui soit rendue :

L’un des principaux objectifs de la campagne Free Omar Khadr Now (Libérez Omar Khadr maintenant) est de tenir les médias responsables d’une couverture adéquate de tous les aspects de l’affaire d’Omar. Bien qu’il y ait eu une amélioration significative dans la façon dont les médias traditionnels couvrent cette histoire, ils publient encore de la désinformation, des inexactitudes et des mensonges!

Ci-dessous, les mensonges habituels que les médias du Canada nous imposent et notre appel à une information factuelle juste, exprimé par Gail Davidson de Lawyer’s Rights Watch Canada :

Cher journaliste,

Omar Khadr n’a pas plaidé coupable, n’a pas été inculpé pour crimes ou crimes de guerre et on ne lui a pas imposé de peine.

Les termes « plaider coupable », « crimes » et « peine » se réfèrent tous à des concepts bien connus de notre droit criminel.

  • Les crimes constituent des violation du droit pénal;

  • Les crimes de guerre constituent de graves violations du droit humanitaire international;

  • Un plaidoyer de culpabilité a lieu lorsque l’accusé confesse librement et volontairement le(s) crime(s) dont ont l’accuse devant un tribunal. Les déclarations involontaires sont indamissibles;

  • Une peine est un jugement rendu par une cour après la condamnation d’un individu conformément à la loi.

L’imposition d’une peine, comme celle prononcée par le tribunal militaire de Guantanamo Bay « sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés » constitue une grave violation (crime) des Conventions de Genève et un crime au Canada.

Dans le cas d’Omar Khadr, il n’y a pas eu de crimes de guerre, pas de plaidoyer de culpabilité et le fait d’imposer une peine constituait un crime.

En utilisant ces termes vous invitez les lecteurs à accepter des faussetés, légitimant ainsi les violations atroces des droits d’Omar Khadr, empêchant qu’il obtienne la réparation recommandée par le Comité contre la torture de l’ONU et protègeant les autorités étatiques de toute responsabilité.

Le Comité FREE Omar Khadr NOW. (Call for Fair Reporting on Omar Khadr!, Free Omar Khadr Now, 24 janvier 2015.)

Texte publié initialement en anglais : Omar Khadr, Child Soldier: “Fact” or “Notion”?



Articles Par : Julie Lévesque

A propos :

Julie Lévesque is a journalist and researcher with the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal. She was among the first independent journalists to visit Haiti in the wake of the January 2010 earthquake. In 2011, she was on board "The Spirit of Rachel Corrie", the only humanitarian vessel which penetrated Gaza territorial waters before being shot at by the Israeli Navy.

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]