OTAN : L’actualité de la stratégie d’encerclement de la Russie

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Intervention à l’Institut de la Démocratie et de la Coopération, 3 décembre 2010, Paris. (Papier original, actualisé à la marge.)
Publié en juin 2011 : « L’actualité de la stratégie d’encerclement de la Russie », Revue Europe et Orient, « Turquie : une démocratie inachevée », Institut Tchobanian, n° 12, juin 2011.

Introduction : un rapprochement trompeur…

            A l’heure du surprenant et radical rapprochement de la Russie avec l’Occident, il serait opportun de s’interroger sur la réalité de la menace de l’axe Otan/USA. Dans ce cadre, il s’agira de revenir sur la perception russe des dangers issus de l’ingérence occidentale dans sa proche périphérie et, en particulier, de la volonté américaine de se rapprocher des ex-républiques de l’URSS présentant un caractère stratégique.

Selon une lecture plus globale de l’évolution géopolitique, la stratégie américaine garde une cohérence structurelle, au sens où elle reste guidée par la ligne Brzezinski centrée, d’une part, sur l’encerclement de la Russie et, d’autre part, sur la déstabilisation de sa ceinture périphérique en vue de son contrôle.

A l’issue de la fin de la Guerre froide, ce maintien d’une relative inertie stratégique nous amène à nous interroger sur l’évolution passée, présente et future de la Russie, pour, en dernière instance, nous interroger sur son statut international hérité du post-communisme.

Dans une première partie, nous verrons donc le rôle de l’Otan comme levier de la politique étrangère américaine, en phase de Guerre froide.

Dans une seconde partie, nous présenterons la ligne structurellement anti-russe conduite par la puissance américaine depuis la fin de la Guerre froide.

Dans une troisième partie, nous analyserons les enjeux cachés du récent rapprochement russo-américain.

Dans une quatrième et dernière partie, nous nous interrogerons sur le statut post-soviétique de la puissance russe en transition identitaire et sur sa volonté de retour vers l’Europe.

 

I – Historiquement, l’Otan apparait comme un levier de la politique étrangère américaine.

 

La politique extérieure américaine est marquée par 2 phases principales : l’endiguement de la puissance soviétique (1) puis, à partir de 1991, le reflux de la puissance russe (2).

 1/ L’endiguement de la puissance soviétique, comme stratégie dominante en phase de Guerre froide.

 

– Après la seconde Guerre mondiale, le nouvel ordre mondial est caractérisé par l’équilibre stratégique de la Guerre froide : (USA + Otan) versus (URSS + Pacte de Varsovie).

– A l’origine, la théorie de G. Kennan du « Containment » )[1] (endiguement) de la puissance soviétique – par la suite, appelée aussi « doctrine Truman » – a pour objectif de bloquer l’expansion du bloc communiste sous leadership russe, en aidant les pays prêts à s’y opposer. A l’époque, l’Administration Truman (1945–1953) redoute l’offensive militaire d’une Union soviétique surpuissante qui, désormais, « fait peur ». D’autant plus que cette dernière développe une force de frappe nucléaire impressionnante, qui égalisera la puissance américaine au début des années 70.

– L’endiguement : c’est l’amorce d’une ligne anti-soviétique, présentant une relative cohérence sur long terme et qui sera, plus tard, reprise par le conseiller à la sécurité du président Carter, Z. Brzezinski.

– L’objectif : contenir l’expansion du communisme en Afrique, Asie, Europe et Amérique latine, quel qu’en soit le prix (dont l’émergence de dictatures militaires fascisantes, notamment au Chili).

Ex : en Amérique latine, on peut rappeler le Coup d’Etat de 1973 contre S. Allende au Chili (« la révolution assassinée », pour reprendre le titre d’un ouvrage).

– Une stratégie alternative a été d’encourager les mouvements nationalistes et démocratiques, pour déstabiliser le pouvoir russe.

Ex : la révolution polonaise de Solidarnosc, en 1989, avec le rôle des ONG étrangères, principalement américaines (ancêtre des révolutions « colorées » qui toucheront plus tard l’espace post-soviétique).

– Une autre stratégie a été de créer des conflits périphériques ou d’accélérer la course aux armements pour épuiser l’économie soviétique (à 2 exemples).

Ex 1: Afghanistan en 1979, formation et armement des combattants islamistes (dont talibans) pour enliser l’armée soviétique dans une guerre coûteuse (il faut donner à l’URSS « sa guerre du Vietnam », selon Z. Brzezinski)

Ex 2 : le projet surréaliste de « Guerre des étoiles » de R. Reagan, au début des années 1980 (bouclier spatial anti-missiles).

à Avec l’appui de son levier otanien, lui conférant un vernis de légitimité internationale, il s’agit pour la puissance américaine d’éroder les bases économiques et idéologiques de la domination soviétique. Dans ce cadre, l’Otan apparaît comme un véritable bouclier politico-militaire contre l’avancée soviétique, destiné in fine à rééquilibrer le « balancier stratégique ». On peut donc parler d’une Otan défensive, adaptée au contexte stratégique de la Guerre froide.

2/ Le reflux de la puissance russe, comme stratégie post-guerre froide.

 

– 25 décembre 1991 : la démission contrainte du président Gorbatchev marque la chute finale de l’Union soviétique, « La plus grande catastrophe géopolitique du XX° siècle », selon V. Poutine.

– La stratégie d’endiguement, est alors radicalisée et transformée en stratégie de reflux (roll back) de la puissance russe issue de la fin de la Guerre froide. On remarque l’influence décisive de Brzezinski dans cette inflexion stratégique.

– L’objectif tacite de l’Amérique est alors de profiter de la fragilité temporaire de la Russie en transition vers le marché, pour la repousser et l’expulser de ses postions fortes et traditionnelles.

– L’Otan est au cœur de cette stratégie et elle est instrumentalisée par Washington, pour renforcer cette orientation et lui donner une apparente légitimité (impression d’un consensus).

– Il s’agit aussi de créer les conditions structurelles d’une irréversibilité : empêcher tout retour en arrière et surtout, toute velléité de reconquête impériale russe. En d’autres termes, l’objectif est de verrouiller la position hégémone des Etats-Unis, en créant les mécanismes adéquats, voire en influençant les institutions en charge de la gouvernance mondiale.

à Contrairement à la promesse faite en 1989 à Gorbatchev à Berlin, l’Otan continue de s’étendre, notamment vers l’Europe de l’Est et réduit, de ce fait, le glacis sécuritaire de la Russie. Il s’agit d’une véritable provocation pour Moscou, qui voit l’encerclement otanien se resserrer autour d’elle. La Russie a l’impression d’être trahie. Dans ce cadre, on peut donc parler d’une Otan offensive, intégrant les nouveaux rapports de force issus du post-communiste comme une réelle opportunité d’élargir sa zone de responsabilité, donc d’intervention.

 

II – Ligne structurelle anti-russe depuis l’implosion de l’URSS, en 1991.

– La transition post-communiste est caractérisée, contrairement aux croyances initiales, par l’émergence d’un monde unipolaire, du fait de la disparition du seul contrepoids idéologique (l’Union soviétique) à la domination américaine.

– Au sens de F. Fukuyama, c’est alors « la fin de l’histoire » (1992) )[2] et, pour reprendre D. Bell, c’est aussi « la fin des idéologies » (1960))[3] . En tant que vainqueur historique de la Guerre froide, le libéralisme s’impose comme la seule idéologie légitime.

– Au nom de sa supériorité morale et de sa « destinée manifeste », la puissance américaine cherche à étendre la démocratie libérale à l’échelle planétaire, par la force s’il le faut. En quelque sorte, elle devient la nouvelle puissance messianique, succédant dans ce rôle à l’Union soviétique. Dans son discours de Munich en novembre 2007, V. Poutine dénonce cet unilatéralisme armé de la puissance américaine. Pour certains, ce discours marque le retour d’une forme atténuée de Guerre froide.

à Globalement, la stratégie anti-russe conduite par l’Administration américaine depuis décembre 1991 s’exprime selon 3 axes : politique, économique et stratégique.

1 – Axe Politique.

 

à Décrédibiliser l’autorité russe dans son espace d’influence historique.

– Ingérence politique via les ONG anglo-saxonnes (ex du Kirghizstan : 8000 ONG étrangères en 2005, lors du renversement du président Akaïev, soit 25 ONG au km² : un record du monde !).

– Soutien aux révolutions libérales « de couleur » (Géorgie 2003, Ukraine 2004, Kirghizstan 2005 et 2010), avec un rôle décisif des ONG étrangères, alimentées par des financements américains.

– Instrumentalisation des mouvements liés au nationalisme religieux, dont les courants islamistes radicaux (Kirghizstan, Tadjikistan, Ouzbékistan…).

– Cette effervescence ethno-religieuse est aujourd’hui une véritable bombe à retardement pour la Russie, d’autant plus qu’elle tend à se répandre au Nord Caucase.

à Remettre en cause la légitimité du pouvoir et des prérogatives de Moscou en CEI.

– S’imposer comme leadership idéologique alternatif à la domination russe.

– Initier un rapprochement politique avec certaines républiques ex-soviétiques (Azerbaïdjan, Ouzbékistan, Kurdistan, Kazakhstan). NB : depuis peu, le Kazakhstan est devenu un couloir de transit aérien pour les forces de l’Alliance, suite au voyage de H. Clinton en Asie centrale.

2 – Axe Economique.

à Développer un partenariat économique avec les Etats de la CEI (aide financière, technologique, formation du capital humain…).

– Ex : L’initiative de la Dette (PPTE) )[4] vise, en théorie, à réduire le poids de la dette et la pauvreté au Kirghizstan. Dans les faits, grâce à la conditionnalité de l’aide, elle cherche à imposer un modèle politique émancipant ce pays de la tutelle russe (conditions drastiques imposées par le FMI et la Banque mondiale, en vue d’une économie assainie et désétatisée)) [5] .

– Proposer des circuits énergétiques alternatifs aux tubes russes (Nabucco, BTC : Bakou/Tibilissi/Ceyhan…). NB : Brzezinski a été l’ambassadeur du projet BTC.

– En réaction, la Russie cherche à développer d’autres projets de tubes (South et North Stream), pour court-circuiter les itinéraires américains.

– Grâce au levier énergétique, parfois utilisé comme instrument de pression, la Russie cherche à renverser les alliances en se rapprochant de l’Europe, de la Chine et de l’Inde. A terme, elle aspire à créer un axe eurasien pour contrebalancer l’hyperpuissance américaine.

à Entraver le développement de la Russie pour freiner son retour comme grande puissance.

– Freiner l’adhésion russe à l’OMC. A ce jour, la question de l’intégration de la Russie n’est toujours pas réglée (veto géorgien, succédant au veto américain).[6]

– Imposer un modèle inadapté au contexte macro-économique russe, caractérisé par une dérégulation anarchique et un retrait inquiétant de l’Etat. Cette orientation, validée par Boris Eltsine, est une aberration dans une économie de la taille d’un continent, exigeant à la fois le maintien d’une certaine centralisation et d’une forte autorité étatique. Tendanciellement, l’espace historique russe est en effet menacé par des forces centrifuges fragilisant le contrôle central, donc son unité et sa stabilité.

– Ex : les réformes proposées par le Consensus de Washington (J. Sachs), durant la transition post-communiste, ont déstructuré l’économie russe et appauvri la société (décroissance, c’est-à-dire croissance négative sur 1992-1998), au profit d’une nouvelle élite privilégiée, devenue une véritable Nomenklatura capitaliste flirtant avec l’économie mafieuse. On a alors assisté à l’émergence d’une véritable bourgeoisie « compradoro-mafieuse », pour reprendre l’expression de Lilly Marcou dans son livre « Le crépuscule du communisme » (1997, p. 96) )[7] .

– Le paradoxe de la transition russe est que la nouvelle classe privilégiée, issue en partie de l’ancienne Nomenklatura communiste, a transformé sa rente politique en rente économique, via le processus douteux de privatisation initié par l’Administration Eltsine. Sur ce point, voir l’ouvrage de J. Sapir sur le « Chaos russe » (1996))[8] .

3 – Axe Stratégique.

 

à Encercler la puissance russe et l’isoler.

– Installation de bases ou d’infrastructures militaires occidentales (à dominante américaine) d’une part, en périphérie russe (Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan …) et d’autre part, en Europe de l’Est (récemment, une base militaire au Kosovo )[9] ).

– Prendre le contrôle des ex-républiques soviétiques stratégiques, considérées comme des Etats-pivots dans l’optique du verrouillage de la domination américaine en Eurasie (les « pivots géopolitiques » de Brzezinski (2000)))[10] .

à Fragiliser l’Etat russe, dans son centre et dans sa  périphérie post-soviétique.

– Au centre (l’intérieur) : il s’agit de fragmenter l’espace russe, via le soutien informel, d’une part, aux mouvements séparatistes et ethno-religieux et, d’autre part, aux partis d’opposition. (Interrogation par rapport à la Tchétchénie, au Caucase Nord, où on suspecte une ingérence américaine). NB : on rappellera que Brzezinski a dirigé le Comité pour la paix en Tchétchénie (ONG installée dans les locaux de radio Freedom House !).

– En périphérie (l’extérieur) : il s’agit de détacher la CEI de la domination russe, d’une part, par une stratégie de soutien aux Etats hostiles à la Russie (Géorgie, Ukraine)[11] , Azerbaïdjan) ou aux Etats indécis (Kirghizstan, Ouzbékistan) et d’autre part, par une stratégie de compression de l’influence russe (via l’érosion des liens économique, politique et militaire, historiquement noués entre le Centre moscovite et les Républiques périphériques).

III – Rapprochement récent : « une paix des braves » mais trompeuse …

 

En apparence, il s’agit d’une main tendue par l’Amérique à la Russie, mais la réalité est tout autre. On va donc parcourir les principaux problèmes de ce rapprochement.

à Réduction des armes nucléaires stratégiques dans le cadre du traité START II.

– La fonction politique de l’atome russe serait doublement pénalisée, d’une part, par le projet anti-missiles ABM (qui, dans sa première version – celle de G.W. Bush –, neutralise la force de frappe nucléaire russe) et, d’autre part, par le Traité START II (qui comprime le potentiel nucléaire russe).

à Réactivation du partenariat stratégique Russie-Otan-USA au Sommet de Lisbonne de novembre 2010.

– Longtemps, le Conseil Russie-Otan a été perçu comme un « aimable club de discussion » par la Russie, c’est à dire comme un simple mécanisme d’entérinement des décisions américaines. Ce conseil donnait l’apparence d’une concertation et, en quelque sorte, une forme de légitimité internationale aux décisions unilatérales de l’Administration américaine.

à Réintégration de la Russie dans le projet du Bouclier anti-missile européen.

– Projet encore très flou et pouvant pénaliser la Russie. Ce flou vient d’être dénoncé par le président D. Medvedev en février 2010, n’hésitant pas à menacer l’Occident de mesures de rétorsion (dont l’implantation de rampes de missiles nucléaires aux portes de ce dernier), en cas d’échec du projet. Il s’agit surtout pour l’Otan d’obtenir la collaboration russe dans l’élaboration du bouclier européen, présenté comme un projet collectif aux objectifs nobles et purement sécuritaires.

– Flexibilité et souplesse du nouveau bouclier de l’administration Obama, pouvant être utilisé – en très peu de temps – contre la Russie, en cas de crise. Autrement dit, dans sa version rénovée, ce bouclier reste une menace latente pour la sécurité nationale russe.

– L’objectif du bouclier commun peut être aussi de lier les mains de Moscou et de l’enfermer dans un projet de long terme qui verrouille ses orientations stratégiques.

à Réactivation du rôle de l’ONU dans le maintien de la paix et la gestion de la sécurité mondiale, via la soumission de l’Otan au contrôle onusien.

– Décision pour l’heure purement formelle et laissant inchangée la perception américaine de l’ONU comme frein politique aux actions militaires de l’axe Otan/USA. Alors que dans la perception russe, l’Otan reste un résidu de la Guerre froide dont l’omniscience et l’élargissement n’ont plus de légitimité aujourd’hui. Dans la nouvelle doctrine stratégique russe, définie en janvier 2010, l’alliance reste une menace majeure (la première).

– La relance du rôle de l’ONU était, à l’origine, au coeur de la « Perestroïka internationale » prônée par M. Gorbatchev à la fin des années 80, dans l’optique de créer un nouvel ordre mondial plus démocratique. Cette orientation a été reprise par le gouvernement russe actuel.

– Approche plus égalitaire de la gouvernance mondiale (économique, politique, sécuritaire), dans le sens du monde multipolaire d’E. Primakov, revendiqué par ce dernier en tant que premier ministre de la Russie en 1998-1999. Cette multipolarité est aujourd’hui un thème récurrent du discours politique russe, notamment poutinien.

à En fait, un pacte tacite, fondé sur des concessions mutuelles.

Pacte temporaire et stratégique, dans le cadre d’une véritable partie d’échecs à l’échelle de l’Eurasie (voir l’ouvrage référence de Brzezinski, »le Grand échiquier », paru en 1997 mais toujours d’actualité).

– Ce pacte est porteur, à terme, d’une nouvelle forme de conflictualité, d’autant plus que la menace chinoise croissante et le retour des républicains américains au pouvoir renforceront l’instabilité géopolitique.

– Principale concession russe : l’espace russe comme couloir de transit pour l’Alliance. Cela revient à créer et à légitimer les conditions d’une présence américaine durable en périphérie post-soviétique, surtout en Asie centrale.

IV –  Le statut post-impérial de la Russie et les nouvelles bases de sa puissance.

La transition post–communiste est marquée par la tentative russe de restructurer les fondements de sa puissance pour accélérer son retour sur la scène mondiale.

à Statut de l’atome russe

– Historiquement, l’atome apparait comme un levier de la puissance géopolitique russe et de son identité internationale.

– Or, l’évolution actuelle (sous la double impulsion du bouclier ABM et du traité START II) risque de remettre en cause cette fonction politique de l’atome, centrée sur la dissuasion et la projection de force.

– Le pouvoir international de la Russie, dans le prolongement du soviétisme, est fondé sur la tryptique : EAE (Etat, Atome Energie))[12] . Ce sont les variables structurantes de la puissance géopolitique russe sur longue période.

à Montée de la question énergétique.

– La lutte pour le contrôle des espaces économiques vitaux (surtout énergétiques) )[13] s’intensifie. Pour rappel, Z Brzezinski a reconnu le rôle politique croissant de l’énergie dans l’ancien espace soviétique, notamment en zone centre-asiatique. Cela est clairement affirmé par Brzezinski dans son ouvrage de 2008, co-écrit avec B. Scowcroft : « L’Amérique face au monde ». L’accès à l’énergie y est décrit comme « une source majeure de puissance politique » (Brzezinski & Scowcroft, 2008, p. 212)

– La « guerre des tubes » (oléoducs / gazoducs) se renforce, réactivant par ce biais, le Grand jeu. Dans l’esprit de Brzezinski, le contrôle des ressources énergétiques mais aussi – et peut être, surtout – le tracé des tubes, ont un impact géopolitique certain. Avec la Chine, l’Amérique représente donc, à terme, une menace potentielle pour la Russie.

– La puissance américaine reste une économie de prédation – selon E. Todd, « Après l’Empire » (2004)[14] – de plus en plus dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement en matières premières et énergétiques, mais aussi en biens manufacturés et industriels. Son déficit extérieur mesure donc sa « capacité de prélèvement » impériale sur le reste du monde (la périphérie dominée), via le pouvoir politique du dollar – qui autorise un endettement quasi infini.

à Enjeu géopolitique centré sur le contrôle de la CEI

– Véritable lutte d’influence au cœur de l’espace historique russe, liée à l’évolution des alliances et des rapports de force en Eurasie post-communiste.

– La Russie sait que son retour comme grande puissance sur la scène internationale implique, au préalable, une reprise en mains de la CEI, son « Etranger proche » et pré-carré historique. Son renforcement régional déterminera donc, dans une large mesure, sa capacité de rebond géopolitique.

à Création d’un espace commun Europe/Russie.

– Cette structure commune est aujourd’hui ardemment souhaitée par la Russie sur le double plan stratégique et économique, via le projet sécuritaire de D. Medvedev (nouvelle architecture de sécurité européenne) et le projet économique de V. Poutine (union économique européenne, de Lisbonne à Vladivostok).

– Dans le même temps, cette orientation vers la « grande Europe » remettrait en cause l’omniscience politico-stratégique de l’Otan et de l’Amérique dans l’espace européen. Et au-delà, elle remettrait en cause l’unilatéralité actuelle de l’ordre libéral mondial, vecteur d’asymétrie dans sa gouvernance.

Conclusion : la partie d’échecs se poursuit …

Ainsi, en dépit du récent rapprochement russo-occidental, l’axe Otan-USA reste une menace larvée et insidieuse pour la Russie post-soviétique, avide de défendre ses intérêts nationaux, désormais élargis à sa proche périphérie. Malgré les espoirs nés de la fin de la Guerre froide, la Russie est contrainte de maintenir une veille stratégique sur l’espace eurasien.

Le leadership américain, associé au levier otanien, montre une certaine inertie comportementale et surtout, reste enclin à étendre son influence dans l’espace historique de la Russie. Sa nouvelle doctrine militaire, établie en 2011, précise son intention de préserver son « leadership militaire et économique » pour les 10 prochaines années et cela, en dépit de la rigueur budgétaire justifiée par la crise. En ce sens, sous une forme certes atténuée, la stratégie d’encerclement de la Russie reste d’actualité.

L’avancée occidentale est aujourd’hui centrée sur le contrôle des points névralgiques, principalement énergétiques, de la périphérie post-soviétique. De ce point de vue, on peut redouter, à terme, une montée de la conflictualité américano-russe, de plus en plus arbitrée par la Chine.

Après la brève lune de miel inaugurée par l’administration Obama, on peut donc s’attendre au retour d’une forme rénovée de Guerre tiède, dans le cadre de laquelle les trois superpuissances avancent leurs pions. Au cœur de l’Eurasie, la partie d’échecs se poursuit …

Jean Géronimo, Docteur, spécialiste de la Russie, UPMF – Grenoble.
 

[1] Kennan G.F., « Sources of Soviet Conduct », by X, Foreign Affairs, n°4, juin 1947 (pp. 566-582). En juin 1947, dans un article, « The Sources of Soviet Conduct », Kennan note la détermination de Staline à internationaliser la révolution communiste. Afin de contenir l’expansionnisme soviétique, il prône une politique d’endiguement, connue comme doctrine Truman.

[2]Fukuyama F. (1992) : « La fin de l’histoire et le dernier homme », éd. Flammarion.

[3] Bell D. (1960) : « La fin des idéologies », éd. PUF.

[4] PPTE : pays pauvres et très endettés.

[5] Voir notre article : « Les leviers d’une stratégie anti-russe », Géronimo J., Nouvelles Fondations – La Revue, n° 6, juillet 2007. Site : http://www.gabrielperi.fr/Les-leviers-d-une-strategie-anti.

[6] Le 16/12/2011, l’OMC a donné son feu vert à l’adhésion russe (après un marchandage tacite de Moscou avec Washington).
[7] Marcou L. (1997) : « Le crépuscule du communisme », Presses de Sciences Po.

[8] Sapir J. (1996) : « Le chaos russe », éd. La Découverte.

[9] Le camp Bondsteel est situé au sud de la province du Kosovo prés d’Urosevac, entre Pristina et Skopje en Macédoine. Créé en 1999, il est intégré dans un dispositif de bases situées en Europe orientale, de la Bosnie à l’Albanie, via la Croatie. Il s’agit d’une des bases stratégiques les plus importantes en Europe et sans doute, hors des Etats-Unis.

[10] Brzezinski Z. (2000) : « Le grand échiquier – L’Amérique et le reste du monde », éd. Hachette (1° éd. : Bayard, 1997).

[11]Il s’agit de l’Ukraine de l’ancien président V. Youchenko, défait aux élections présidentielles de février 2010.

[13] Les critères de puissance EAE sont présentés dans notre article : « Le retour de l’atome rouge », Géronimo J., Revue regard sur l’Est, 30/09/2007, http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=765

[12] Brzezinski Z./Scowcroft B. (2008) : « L’Amérique face au monde », éd. Pearson.

[14] Todd E. (2004) : « Après l’Empire – Essai sur la décomposition du système américain », éd. Gallimard, collection Folio actuel.



Articles Par : Jean Géronimo

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