Paul Bremer règle ses comptes d’Irak

Un proconsul, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. La célèbre formule de Jean-Pierre Chevènement s’applique bien à Paul Bremer. L’ambassadeur, quand il était le quasi-dictateur de l’Irak, de mai 2003 à juin 2004, semblait appliquer strictement la politique décidée à Washington, y compris dans ses commentaires publics.

Maintenant qu’il n’est plus rien, Bremer parle dans un livre, My Year in Iraq, et la façade monolithique se lézarde. A partir du moment où les choses ont commencé à se gâter sur le terrain, le pouvoir américain s’est facturé en clans hostiles, et la recherche de coupables a très vite été lancée. En publiant si tôt un livre, l’ancien proconsul cherche à sortir de la position de bouc émissaire dans laquelle on avait déjà commencé à l’enfermer. Il justifie son action, et révèle que la polémique qui faisait rage entre l’administration et l’opposition sur l’effectif de l’armée d’occupation avait lieu aussi entre Bagdad et Washington. La seule question que Paul Bremer ne pose pas, c’est celle de la guerre elle-même: il était dans le camp qui l’a voulue, il y reste.

500000 hommes… ou rien

Peu avant de partir pour l’Irak, l’ambassadeur avait remis à Donald Rumsfeld une étude de la Rand Foundation, très versée dans la recherche militaire. Elle posait qu’une force d’occupation, pour avoir une chance d’imposer la loi et l’ordre, doit être dans le rapport de 20 soldats pour 1000 habitants.

Il y a 26 millions d’Irakiens. Bremer n’a jamais su ce qu’en pensait le chef du Pentagone. Mais arrivé dans le chaos de Bagdad, il a très vite – et souvent pendant son règne de treize mois – demandé des renforts, proposant une fois que l’effectif soit porté à 500000 hommes.

Comme il n’obtenait pas de réponse, et que la décision ne lui appartenait pas, Paul Bremer est allé en parler à George Bush lui-même. Le président s’est réfugié, comme toujours, derrière l’avis des généraux sur le terrain: c’est eux qui déterminent l’effectif adéquat.

Les raisons qu’avancent les généraux sont les mêmes aujourd’hui qu’il y a deux ans. Une occupation plus lourde est contre-productive: elle amplifierait le ressentiment des Irakiens, elle offrirait davantage de cibles à l’insurrection. Paul Bremer respecte cet argument qu’il ne partageait pas: sa priorité, c’était de ramener la sécurité pour restaurer les services de base permettant aux Irakiens de vivre.

En fait, la raison des généraux en cachait une autre. Une partie de la hiérarchie civile du Pentagone (la plus impliquée dans la guerre: Paul Wolfowitz, Douglas Feith, etc.) et une partie des généraux avaient le projet de retirer très rapidement l’essentiel des troupes de la coalition, et de transmettre le pouvoir à Bagdad à des Irakiens sûrs. C’était la carte Ahmed Chalabi, leur homme, bientôt muté en planche pourrie.

Paul Bremer, dès qu’il a pris ses quartiers dans la Zone verte, a compris que cette stratégie était une pure illusion. Il n’y aurait pas d’apaisement rapide. Et les exilés installés dans un Conseil de gouvernement provisoire, dira-t-il un jour à Wolfowitz, «ne sont pas capables d’organiser un défilé, et encore moins de gouverner un pays». Au milieu de l’hiver, le proconsul se retrouvait à Bagdad sans véritable stratégie militaire, et à la tête d’une «occupation inefficace». Le projet, déjà avancé alors, de remplacer les forces coalisées à marche forcée par des unités irakiennes lui apparaissait comme une fadaise.

Peut-être, mais pourquoi avoir démobilisé l’armée de Saddam Hussein quelques semaines après la chute de Bagdad? C’est le grand reproche qui est fait aux Etats-Unis à Paul Bremer: il fallait conserver des éléments utiles.

L’ambassadeur rejette ces critiques de manière convaincante. L’armée n’existait plus, tout le monde était rentré chez soi. Les officiers et les soldats ont reçu une petite pension. S’il a confirmé – pas seul, Washington était d’accord – cette démobilisation, c’est parce que les Kurdes et les chiites n’auraient pas toléré un corps d’officiers (12000 généraux!) essentiellement sunnite.

Le voile s’est vraiment déchiré, pour Paul Bremer, le jour où le patron local de la CIA lui a apporté un document du Mukhabarat (police politique). Il datait de janvier 2003, et il ordonnait à tous les services d’organiser, avant l’invasion qui se préparait, des réseaux pour la résistance et le sabotage à grande échelle. Le texte commençait par ces mots: «Brûlez ce bureau.» Les Américains n’avaient pas prévu ça



Articles Par : Alain Campiotti

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