Paulson panique pendant que le Royaume-Uni et l’Allemagne trouvent leur propre solution

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Le ponte des finances étasunien, le Ministre des Finances Henry Paulson, a attrapé de facto le signal d’alarme et a fait un spectaculaire revirement à 180 degrés dans son plan de renflouage financier adopté à peine quelques jours avant. Le 23 septembre, dans sa déposition devant le Congrès, Paulson, ancien directeur général de Goldman Sachs, une firme d’investissement de Wall Street politiquement influente, a déclaré son opposition catégorique à l’idée de la prise de participation gouvernementale dans les grandes banques en difficulté, afin de leur fournir des capitaux et rendre sa force au marché figé des échanges interbancaires. Le 13 octobre, l’opposition à la « nationalisation » a cédé. Nous nous intéressons ici à ce qui a provoqué ce soudain renversement. Cela montre le manque total de cohérence du gratin de la finance étasunienne dans sa façon de s’occuper du fiasco de la titrisation du prêt à risque dans le pays.

Le plan Paulson a été amplement critiqué aux États-Unis par des banquiers et des économistes des plus sérieux, notamment par le prédécesseur de Paulson au ministère des finances. Le ministre Paul O’Neill a tout simplement qualifié de «dingue» l’idée d’utiliser 700 milliards de dollars du contribuable pour racheter les « dettes toxiques » des banques. Toutes les critiques s’accordent sur le fait que l’approche de Paulson est de loin la méthode la plus coûteuse, tout en étant loin de garantir la résolution du problème sous-jacent : la capitalisation bancaire est insuffisante, suite aux centaines de milliards de dollars de pertes du prêt à risque titrisé et des autres titres.

Pourtant le ministre a refusé catégoriquement de modifier son plan, ceci même après que le Congrès l’ait rejeté lors du premier vote. Il permettait aux articles des démocrates non apparentés d’être collés à son plan original TARP [1. Ce plan donnait au ministre des pouvoirs quasi dictatoriaux sur les finances des États-Unis et de facto sur l’économie. Il se révélait largement comme « l’équivalent financier du Patriot Act».

Et puis, le 8 octobre, l’inattendue s’est produit. Face littéralement à la désintégration du système bancaire britannique, sur les conseils de hauts fonctionnaires de la Banque d’Angleterre, Gordon Brown, l’ancien ministre des Finances britannique (aujourd’hui Premier Ministre), a ravalé sa propre aversion envers la nationalisation bancaire et a adopté un système de nationalisation d’urgence. Il a annoncé que le trésor public britannique allait rendre disponible 64 milliards d’euros pour acheter des actions bancaires privilégiées de huit banques britanniques qualifiées de stratégiques par le gouvernement. La nationalisation devait être partielle, mais effective, grâce à un « plan spécial de liquidités » comportant 260 milliards d’euros de l’argent du trésor public, à injecter dans le marché interbancaire paralysé, consistant en bons du Trésor du Royaume-Uni en échange d’avoirs bancaires moins liquides comme garantie.

La pertinence des mesures en 1931

Cette démarche est une répétition de la décision dramatique du gouvernement britannique en 1931. À cette époque, la Grande-Bretagne et les membres du Commonwealth britannique ont « enfreint les règles du jeu » en abandonnant unilatéralement l’Étalon-or (Gold Standard) international. En septembre 1931, après des mois de débat, le Royaume-Uni délaissait l’orthodoxie monétaire en abandonnant unilatéralement l’Étalon-or auquel il s’était rallié en 1925.

En août 1931, précédant le Royaume-Uni de quelques semaines, l’Allemagne abandonnait l’Étalon-or dans des circonstances très différentes.

L’Allemagne légiféra dans l’urgence, sans le Parlement avec le Chancelier Brüning, face à une crise due à la décision française de punir l’entente économique germano-autrichienne. La France a fait éclater une crise bancaire dans la plus grande banque d’Autriche, Vienna Credit-Anstalt.

Le rôle de la Banque JP Morgan de New York, principal créancier privé du système bancaire allemand depuis la fin de l’hyperinflation de 1923, et de la Réserve Fédérale de New York à la botte de Morgan grâce au gouverneur George L. Harrison, ont contribué à faire éclater la crise bancaire allemand de 1931.

Comme condition de son prêt de stabilisation à la Reichsbank, Harrison a demandé à cette banque allemande d’arrêter de prêter aux banques commerciales. Sous un maximum de pression, la Reichsbank l’a fait. Les banques commerciales se sont effondrées.

Aussi longtemps qu’elle resta sur l’Étalon-or, une exigence de JP Morgan et de la Réserve Fédérale de New York, l’Allemagne dut empêcher la sortie de capitaux et imposer des impôts plus élevés et l’austérité budgétaire pour persuader les créanciers internationaux de sa solvabilité. La récession allemande s’aggravant, le gouvernement réduisit les programmes sociaux instaurés après la guerre. Ce fut le déclenchement de la crise bancaire durant l’été 1931 qui rendit la dépression allemande si grave. L’effondrement des banques en Europe centrale eut un grand impact social, psychologique et politique. Le répit devint une tragique histoire.

Les États-Unis, guidés par Harrison et soutenus par l’orthodoxie monétaire du Président Herbert Hoover, tenaient farouchement à l’Étalon-or. Jusqu’à ce qu’en mars 1933 le Président Roosevelt qui venait juste de prêter serment l’abandonne. A ce moment-là, l’économie des États-Unis était profondément dans la dépression.

La volte-face de Paulson

En ce moment, c’est encore l’Angleterre qui conduit l’abandon des règles du jeu financier étasunien en nationalisant rapidement ses huit banques, à commencer par la Royal Bank of Scotland (RBS) le 8 octobre, un mercredi. Le vendredi, il était évident que l’Allemagne s’orientait aussi vers une résolution nationale de ses problèmes bancaires, des problèmes nés aux États-Unis, de la propagation de titres adossés à des créances et des swaps de crédits [2], une nouvelle compétence exotique de la finance, qui a grandi jusqu’à la taille nominale de quelques 68 billions de dollars ces dernières années dans le domaine totalement déréglementé des pratiques de banque à banque. Le plan du Président français Sarkozy, un « fonds commun de renflouage » de 300 à 400 milliards d’euros, calqué grosso modo sur le plan Paulson, était mort. Le contribuable allemand ne payerait pas les excès des banques françaises ou italiennes. Ce fut un changement d’attitude radical au sein de l’UE, loin de l’unité envers la conduite financière mondiale des États-Unis. Le Siècle étasunien (the American Century) affrontait la catastrophe.

C’est à ce moment que Paulson a changé complètement pour ce qui, dans le jargon radical du marché libre étasunien, est un mouvement soudain vers le redoutable « S » du mot socialisation du système bancaire. Selon mes meilleures sources bancaires en Europe, Paulson n’a pris aucune nouvelle mesure radicale à ce moment-là, car un banquier chevronné de la City de Londres a formulé ceci : « les banques étasuniennes sont en danger d’extinction. »

Le lundi 13 octobre, Paulson a convoqué au Ministère dans une réunion d’urgence les patrons des neuf plus grandes banques étasuniennes. Selon le récit des participants, Paulson a remis à chaque personne un document d’une page à signer, disant qu’ils acceptent de vendre leurs participations en actions au gouvernement en échange d’une injection d’urgence de 250 milliards de dollars. Paulson leur a dit qu’ils devaient tous signer avant de quitter la pièce. Trois heures, et à ce qu’on dit, beaucoup d’arguments acariâtres plus tard, les neuf ont signé en faveur de la plus grande intervention gouvernementale dans le système bancaire étasunien depuis la Grande Dépression.

Selon le récit de banquiers initiés avec qui j’ai parlé à New York, ce fut précisément la décision du Royaume-Uni, appuyée par un plan similaire, si ce n’est plus détaillé des autorités allemandes, qui ont forcé la volte-face de Paulson.

Après l’événement, confirmant l’état de faiblesse du nouveau président de la Réserve Fédérale, qui fait face à la personnalité dominatrice de Paulson, Ben Bernanke a marmonné à la presse qu’il avait « tout au long » été en faveur du rachat gouvernemental des actions pour recapitaliser les banques. Pourquoi il ne l’a pas dit publiquement avant que le plan Paulson l’emporte n’est pas clair, mais ça suggère que l’homme choisi par Bush pour succéder à Alan Greenspan l’ait été pour sa faiblesse de caractère, pas pour ses capacités ni pour sa détermination.

Le Président de la Réserve Fédérale de San Francisco, Janet Yellen, a remarqué aussi, longtemps après que ce soit devenu évident, que la décision de l’administration étasunienne de laisser couler Lehman Brothers sans aide gouvernementale était une terrible erreur de calcul.

La faillite de Lehman Brothers le 15 septembre est le « choc ressenti dans le monde entier», qui a précipité la crise de confiance dans le secteur bancaire mondial, aboutissant à la situation actuelle. Si Paulson et ses amis ont prémédité l’effondrement dans le but qu’il procure la base d’une demande aux États-Unis pour qu’ils élaborent la solution à la crise, demeure obscure. Ce qui est clair, c’est que l’un des « gagnants » choisis dans la réorganisation actuelle des banques étasuniennes, JP Morgan Chase, a joué le vemndredi un rôle odieux dans la dernière mise en insolvabilité de Lehman Brothers, avant que son effondrement ne soit déclaré le lundi. Le vendredi, JP Morgan Chase a «mystérieusement» retenu le transfert de 19 milliards de dollars qui aurait évité l’effondrement de Lehman Brothers. C’était une étrange répétition du sale rôle joué en 1931 par la Maison Morgan en ce qui concerne, à cette époque, la crise bancaire allemande et européenne.

Après 1931, la Maison Morgan ne s’est plus jamais élevée à un rôle aussi éminent que celui qu’elle détenait. Il semble de plus en plus probable que le successeur de la banque, JP Morgan, malgré la prétention d’invincibilité de son patron, Jamie Dimon, pourrait devenir beaucoup plus humble.

Article original en anglais, Financial Crisis: Paulson Panics as UK, Germany find own solution, publié le 18 octobre 2008.

 

Traduction de Pétrus Lombard.

Notes de traduction

 

[1] TARP = Troubled Asset Relief Program ou Programme de chaRité pour [banques aux] Avoirs financiers valanT moins que l’air qui s’est échappé de la bulle crevée.

 

[2] Dans un instrument financier, le swap de crédit est le fait de transférer à un tiers le risque de défaillance de remboursement de ce crédit.

 

F. William Engdahl est associé de Mondialisation.ca/Global Research. Il est l’auteur de Pétrole, une guerre d’un siècle : L’ordre mondial anglo-américain, et de Seeds of Destruction: The Hidden Agenda of Genetic Manipulation. 



Articles Par : F. William Engdahl

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