« Portes fermées en Bosnie Herzégovine », dans les fabriques ethniques
Si tu es serbe, on ne te donne pas de travail dans l’Aluminij, si tu es croate on te refuse dans les mines Ljublija. La dénonciation d’Amnesty
« Je ne me définis pas comme un travailleur licencié, je dis que je suis un travailleur serbe et c’est pour cela qu’on m’a demandé de ne plus me présenter au travail ». Nous sommes à Mostar, Bosnie Herzégovine, où a son siège la Aluminij, la fabrique d’aluminium qui constitue aujourd’hui l’une des plus importantes réalités industrielles de la région, avec plus de 20 000 salariés, entre les directs et les indirects. Nebojsa Spaijic, un Serbe bosniaque de 38 ans, a travaillé à la Aluminij de 1988 jusqu’à 1992, quand on lui a demandé de ne plus se présenter parce qu’il est serbe. Et à d’autres milliers de travailleurs comme à lui. Dans la nuit du 9 au 10 mai 1993, à Mostar, les forces armées bosniaco-croates établirent le contrôle sur la zone ouest de la ville, où a son siège la Aluminij.
Même pas un mois plus tard, tous les managers de l’entreprise, qui à l’époque était contrôlée par l’état, furent remplacés par d’autres personnes. Toutes rigoureusement Croates. Et pourtant, les discriminations ne sont pas terminées avec la fin de la guerre.
Pas au lendemain des accords de Dayton, en 1996 : il a été refusé aux travailleurs d’être réintégrés dans leur emploi et souvent on leur a même refusé la possibilité de retirer leur livret de travail, qui est la preuve du travail effectué au fil des années et sans lequel il est plutôt difficile d’obtenir un autre emploi. « Dans la ville divisée de Mostar, la Aluminij a poursuivi une politique de discrimination ethnique pendant la guerre, dont on continue à ressentir les effets et dont quelques éléments continuent à être pratiqués ».
C’est Amnesty International qui le dénonce, avec un rapport intitulé « Portes fermées : discrimination ethnique dans l’emploi en Bosnie Herzégovine », qui pointe le doigt contre la discrimination, largement répandue dans le monde du travail, en tant qu’obstacle principal au retour des réfugiés et des rescapés.
En 1997, quand la Aluminij est partiellement privatisée, le conseil d’administration décide de convertir la valeur des salaires non payés (et accumulés par les travailleurs pendant la guerre) en actions équivalentes de la société. Selon le rapport d’ Amnesty, la plupart des travailleurs serbo-bosniaques n’ont reçu aucune somme ni action correspondante au salaire qu’ils n’ont pas perçu ; les Bosniaques ont reçu des actions correspondantes au salaire minimum de neuf mois, alors que les travailleurs croates ont vu la valeur le leur salaire plein réintégrée pour la période toute entière où la fabrique n’a pas travaillé (53 mois). Encore : si, en 1992, 33% des salariés étaient des Bosniaques, 44% des Croates et 23% des Serbes, en 2003 les Bosniaques représentent 3%, les Serbes 4% alors que les Croates représentent 93%.
En se rapportant à la « guerre sanglante » qui de 1992 à 1995 opposa les trois principaux groupes ethniques de la Bosnie Herzégovine actuelle, les Musulmans, les Serbes et les Croates, qui provoqua des dizaines de milliers de morts et obligea à la fuite des millions de personnes, Amnesty souligne que la discrimination et le licenciement pour des raisons ethniques fut dans la plupart des cas le premier pas des campagnes de nettoyage ethnique, auxquelles succédèrent des tueries, des expulsions forcées et des déportations. Comme le démontre le deuxième cas évoqué dans le rapport. Près de Prijedor, dans la République Srpska, dans les mines de fer Ljublija, un autre lieu de déportation et de nettoyage ethnique.
Au début de la guerre, quand la compagnie (qui, en 1992, donnait du travail à 4300 personnes) tomba sous le contrôle de facto des autorités locales serbes, au moins deux mille travailleurs non serbes furent systématiquement discriminés, par des licenciements en masse, motivés exclusivement par des questions d’ethnie et communiqués au travailleurs par des annonces radiophoniques. En 2004, un rapport des Nations unies a fait savoir que 90% des rapatriés à Prijedor après la fin de la guerre sont sans emploi. Et quand, en 1999, soixante nouveaux travailleurs ont été embauchés, ils étaient tous Serbes.
Le rapport dit que, ces dix dernières années, à peu près la moitié des deux millions de déplacés sont rentrés chez eux. Mais quand ils rentrent, les réfugiés appartenant aux minorités ethniques doivent souvent faire face à une discrimination persistante dans l’accès à l’emploi. Sans un emploi, d’ailleurs, et face au risque de l’indigence, ils décident d’émigrer à nouveau.
La fabrique Aluminij compte, parmi ses clients, quelques-unes des plus grandes entreprises automobile européennes, y compris Fiat. Maintenant, les mines de fer Ljublija sont contrôlées par la Mittal Steel, un colosse international. Au fond, ça aussi est l’Europe.
Traduit de l’italien par karl&rosa.