Pourquoi Bush peut déclencher une attaque contre l’Iran

Beaucoup de gens dans le mouvement pacifiste veulent se tranquilliser : Bush ne pourra probablement pas attaquer l’Iran. Il n’a pas les moyens de le faire, ou, peut-être, il n’est tout de même pas assez idiot pour s’engager dans une entreprise pareille.


Jeudi 6 septembre – Après le bombardement américain sur le quartier de Washash à Bagdad, une voisine porte dans ses bras le petit Ali Montadar dont toute la famille vient d’être massacrée – Photo : AP/Hadi Mizban

Diverses raisons précises sont avancées, du genre : S’il attaque, les Shiites en Irak couperont les lignes de ravitaillement des américains. S’il attaque, les Iraniens bloqueront les détroit d’Ormuz ou activeront leurs réseaux de terroriste en veille dans le monde entier. La Russie ne tolérera pas une telle attaque. La Chine ne la permettra pas — ils feront chuter le dollar. Le monde arabe explosera.

Tout ceci est douteux. Les Shiites en Irak n’obeïssent pas à l’Iran. S’ils ne se soulèvent pas contre les Etats-Unis quand leur propre pays est occupé (ou ne se soulèvent pas de façon très systématique), ils ne sont pas susceptibles de se soulever contre les Etats-unis parce qu’un pays voisin est attaqué. Quant à bloquer les détroits ou à lâcher des réseaux terroristes, ce serait juste une justification supplémentaire pour plus de bombardements sur l’Iran. Après tout, un des principaux prétextes pour la guerre contre l’Iran est de façon assez incroyable, que ce pays est censé appuyer la résistance contre les troupes américaines en Irak, comme si ces troupes étaient chez elles. Si cela peut servir de justification pour bombarder l’Iran, alors toute contre-mesure que prendrait l’Iran ne fera que « justifier » plus de bombardements, même nucléaires.

L’Iran est fort dans le sens qu’il ne peut pas être envahi, mais il ne peut pas faire grand’chose contre des bombardements sur une longue période, accompagnés de menaces nucléaires.

La Russie va accélérer la mise à niveau de son équipement militaire (qui reste aujourd’hui loin derrière celui des États-Unis), mais elle ne pourra rien faire d’autre, et Washington sera seulement trop heureux d’exploiter la réaction russe comme argument pour augmenter ses propres forces militaires. La Chine est uniquement concernée par son propre développement et ne laissera pas chuter le dollar pour des raisons non-économiques. La plupart des gouvernements arabes, sinon leurs populations, considéreront d’un œil favorable le fait que la direction shiite iranienne soit humiliée. Ces gouvernements ont suffisamment de forces de police pour mâter n’importe quelle opposition populaire— après tout, c’est ce qu’ils ont réussi à faire après l’attaque sur l’Irak.

Avec le remplacement de Chirac par Sarkozy, et l’élimination quasi complète de ce qu’il restait des Gaullistes (surtout par des procès sur des sujets plutôt insignifiants), la France a été transformée du pays européen le plus indépendant en le plus béni oui-oui (c’était en fait la question principale durant la récente élection présidentielle, mais cette question n’a même pas été mentionnée pendant la campagne électorale). En France, d’ailleurs, la « gauche » laïque est pour l’essentiel très remontée contre l’Iran pour les raisons habituelles (les femmes, la religion). Il n’y aura aucune manifestation à grande échelle en France que ce soit avant ou après les bombardements. Et, sans appui des Français, l’Allemagne — où la guerre sera probablement très impopulaire — sera réduite au silence après quelques rappels sur l’holocauste, de sorte qu’aucune opposition sérieuse à la guerre ne viendra de l’Europe (excepté probablement de sa population musulmane, ce qui sera un argument de plus pour expliquer qu’elles sont « rétrogrades », « extrémistes », et ennemis de notre « civilisation démocratique »).

Tous les ingrédients idéologiques pour attaquer l’Iran sont en place. Le pays a été complètement démonisé parce qu’il n’est pas commode pour les femmes, les homosexuels, ou les juifs. C’est en soi suffisant pour neutraliser une grande partie de la « gauche » américaine. La question naturellement n’est pas que l’Iran soit gentil ou pas à nos yeux — mais de savoir si y a n’importe quelle raison légale de l’attaquer, et il n’y en a aucune ; mais l’idéologie dominante des droits de l’homme a légitimé, particulièrement dans la gauche, le droit d’intervention n’importe où et à tout moment pour des raisons humanitaires, et cette idéologie a réussi a faire passer à la trappe la question secondaire du droit international.

Israël et ses défenseurs américains fanatiques veulent que l’Iran soit attaqué pour ses crimes politiques —c’est-à-dire le soutien aux droits des Palestiniens, ou la mise en cause de l’holocauste. Les deux principaux partis politiques aux États-Unis sont de façon égale sous le contrôle du lobby israélien, comme le sont les médias. Le mouvement pacifiste est bien trop préoccupé par la sécurité de l’Israel pour défendre sérieusement l’Iran et il n’attaquera pas les vrais instigateurs de cette prochaine guerre — à savoir les sionistes — par crainte « de provoquer l’antisémitisme ». Blâmer Big Oil [l’industrie du pétrole – N.d.T] de la guerre contre l’Irak était tout à fait discutable, mais, dans le cas de l’Iran, puisque le pays est sur le point d’être bombardé mais non envahi, il n’y a aucune raison de penser que Big Oil veuille la guerre, par opposition aux sionistes. En fait Big Oil était probablement tout d’abord opposé à la guerre, mais comme le reste d’entre nous sans pouvoir s’y opposer.

Tant qu’Israël est concerné, les Etats-Unis sont de facto une société totalitaire — aucune opposition organisée n’est acceptable. Le congrès des États-Unis adopte les unes après les autres des résolutions pro-Israël ou anti-Iran avec des majorités « staliniennes ». La population ne paraît pas s’inquiéter. Mais si c’était le cas, que pourraient-elles faire ? Voter ? Le système électoral est extrêmement biaisé pour empêcher l’émergence d’un troisième parti et les deux partis dominants sont pareillement sous influence sioniste.

La seule chose qui pourrait empêcher la guerre serait que les Américains eux-mêmes menacent leur propre gouvernement d’une désobéissance civile massive. Mais cela ne se produira pas. Une grande partie des universitaires ont abandonné il y a bien longtemps l’idée d’informer le grand public au sujet du monde réel au profit de discussions pour savoir si le Capital est un signifiant ou un signifié, ou ils se soucient de leurs corps et de leurs petites personnes, tandis que les prédicateurs disent à leurs ouailles de se réjouir à chaque nouveau signe que la fin du monde est proche. Les enfants en Iran ne dormiront pas la nuit, mais l’intelligentsia américaine libérale éduquera le reste du monde sur la question des droits de l’homme. En fait, la prédominance des « arguments pour se rassurer » cités au début prouvent que le mouvement pacifiste est cliniquement mort. Si ce mouvement n’était pas mort, il sompterait sur ses propres forces pour empêcher la guerre, sans spéculer sur la façon dont d’autres pourraient faire le travail.

En attendant, une vague de haine se sera répandue sur le monde. Mais à court terme, cela pourra ressembler à une grande « victoire » occidentale, comme la création d’Israël en 1948, comme le renversement de Mossadegh par la CIA en 1953, comme l’annexation de l’Alsace-Lorraine a semblé être une grande victoire allemande après la défaite française à Sedan en 1870. L’administration de Bush aura laissé la place depuis longtemps lorsque les conséquences désastreuses de cette guerre se feront vraiment sentir.

PS : ce document ne se veut pas une prophétie, mais un appel à une action urgente. Je serai plus qu’heureux si les faits me donnaient tort.

Lire l’article original en anglais, 6 septembre 2007.

Publié en français par Info Palestine.

 
Jean Bricmont enseigne la physique en Belgique et fait partie du Tribunal de Bruxelles. Son nouvel ouvrage Humanitarian Imperialisme est publié par Monthly Review Press. Il peut être joint à [email protected]



Articles Par : Jean Bricmont

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