Pourquoi la Turquie a-t-elle vendu la Syrie ?

On est certes bien loin de cette photographie historique qui avait réuni le président turc Abdallah Gull au président syrien Bachar El-Assad et au président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Pourtant, elle ne date pas de très longtemps. 2009 [1]. 

On avait rêvé alors qu’Ankara s’approchait de l’axe Téhéran-Damas, celui de la résistance et de la confrontation au projet américano sioniste. Surtout que des visites similaires, bilatérales ou trilatérales avaient eu lieu, et qu’elles avaient succédé aux déclarations grondantes du Premier ministre turc Recep Tayyeb Erdogan contre le président israélien Shimon Perez, à Davos, suite à l’offensive meurtrière Plomb durci contre la bande de Gaza. Et puis, il ne faut jamais oublier la position de la Turquie qui a refusé l’invasion de l’Irak !

Mais depuis, il y a eu les soulèvements arabes, et surtout la rébellion en Syrie, orchestrée et soutenue par les Occidentaux et leur alliés arabes.

Coup de théâtre : alors qu’on s’attendait à une position équilibrée et réconciliatrice [2] de la part de la direction turque, qui puisse trouver un terrain d’entente entre les différents antagonistes, c’est tout à fait le contraire qui a eu lieu.

Ankara prend parti à plein et adhère totalement aux thèses de l’opposition syrienne pro occidentale. Bannissant le régime syrien, le présentant comme étant en train de tuer son peuple, refusant de voir les manifestations de soutien au président syrien, dénigrant la dimension armée de la contestation, et allant même jusqu’à refuser aux opposants de l’intérieur le statut de représentants du peuple syrien, le réservant à ceux du Conseil national syrien (à en croire les propos de son chef de la diplomatie) !

Du côté des principes, il est difficile de croire les allégations des dirigeants turcs, se disant soucieux des revendications des peuples de la région, et désireux d’instaurer les démocraties dans la région. Avec le peuple bahreïni, Ankara n’adopte pas du tout la même politique.

Elle n’affiche pas non plus de revendications de liberté chez ses alliés arabes, le Qatar, l’ Arabie, les Emirats, le Maroc et la Jordanie, où des dynasties caduques perdurent depuis des dizaines de décennies et des milliards de pétrodollars ont été distribués pour taire toute contestation.

Certains analystes évoquent des relations historiques entre le parti turc au pouvoir « Développement et Justice », d’obédience islamique, avec les Frères musulmans, principale force de l’opposition syrienne de l’exil. D’autant plus que tous les deux appartiennent à la même confession islamique !

Cette thèse comprend nécessairement une part de vérité, même si le chef de la diplomatie turc Ahmad Davutoglu s’est défendu, avant de se rendre à Ankara, « de mener une politique à caractère confessionnel ».

Mais ce principe, car il s’agit bien d’un principe, ne peut expliquer à lui seul l’acharnement de la Turquie contre le régime syrien. Davutoglu a en personne lancé à la même occasion précitée que « la Turquie suit une politique d’équilibre entre les principes et les intérêts ».

Justement c’est du côté des intérêts que les choses paraissent plus claires.

Deux évènements ayant eu lieu ces derniers jours l’illustrent.

Le premier, militaire fait état que 4 drones américains de type « Predator » ayant été déplacés de l’Irak en Turquie. Leur mission consiste à soutenir la Turquie contre les rebelles kurdes du PKK qui mènent une lutte acharnée depuis une quarantaine d’années contre le gouvernement central pour obtenir l’indépendance de leurs régions.

Ankara qui s’efforce par tous les moyens d’acquérir ces appareils en avait dans un premier temps acheté à Israël. Mais elle a dû les restituer lorsqu’elle s’est rendue compte qu’ils sont défectueux. C’est l’une des raisons de la dégradation de ses relations avec Tel Aviv. Elle a tenté de se les acquérir de la France et de l’Italie. Là aussi, les israéliens sont parvenus à entraver l’accord.

On sait depuis le mois de septembre dernier qu’elle les a demandés à Washington, et que les membres du Congrès tentent de bloquer leur vente à cause de Tel Aviv aussi.

Maintenant qu’elle les a dans sa base aérienne d’Incirlik, il faut deviner qu’un marchandage a eu lieu, vu que ce genre de transaction se fait donnant donnant.

La Turquie ne peut désormais plus que tourner dans l’orbite de Washington. Il ne faut donc plus s’étonner qu’Erdogan s’offusque à pleine bouche contre El-Assad.

Autre information, relevant du domaine économique : Ankara s’attend à davantage d’investissements qataris chez elle, en l’occurrence la création d’une station de gaz liquéfié destiné à l’Europe, dans le cadre d’une gazoline reliant la région du Golfe aux pays de l’Union européenne. Des investissements bancaires sont également convenus, rapporte le ministre des finances turc, Mohammad Chimchek, lors d’un forum des investissements organisé à Doha.

Une générosité pareille de la part des autres États pétroliers du Golfe devrait avoir eu lieu.

Au lendemain des ententes turco-syrienne et turco-iranienne, rois et émirs du Golfe se sont empressés de convier Gull, Erdogan et compagnie. Question de contrer avec les ambitions iraniennes et syriennes. Avec un acharnement que l’on ne trouve guère lorsqu’il s’agit par exemple de faire adhérer la Palestine à l’ONU, et que les Américains et les Israéliens entravent…

Leila Mazboudi

Al-Manar, 17 novembre 2011.

Notes :

Leila Mazboudi est rédactrice en chef de la chaîne de télévision libanaise Al Manar.

[1] L’article mentionne 2010 de manière erronée, la photographie à été prise le 09/11/2009 lors du sommet du COMCEC ( Comité Permanent pour la Coopération Economique et Commerciale) d’Istanbul qui s’est tenu du 09 au 15 novembre 2009. (Rapporté par REUTERS, TRT, etc.)

[2] Barbarisme « réconciliante » dans l’article.

Le titre original de l’article est en outre : Pourquoi la Turquie a vendu la Syrie ?



Articles Par : Leila Mazboudi

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