Prise d’otages en Algérie : Boîte de pandore du Malistan

Ce n'est pas notre affaire

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte en elle l’orage. »  Jean Jaurès

Le mercredi 16 janvier nous a brutalement rejeté vingt ans en arrière dans les pires années où l’Algérie se battait pour sa survie. De quoi s’agit-il? d’une prise massive d’otages dans une base gazière et pétrolière frontalière avec la Libye, In Aménas est située à 265 km au nord-est d’Illizi, à 815 km au sud-est de Ouargla à 730 au sud-est de Hassi Messaoud et à environ 1500 km au sud-est d’Alger. En 2010, le site d’In Aménas produit 50.000 barils par jour de condensats de gaz naturel ainsi que 9 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an, soit 12% de la production nationale de gaz. Le site représente 18% des exportations gazières de l’Algérie.

L’assaut mené par les forces spéciales de l’armée algérienne pour libérer les otages d’un groupe islamiste a pris fin jeudi soir, selon l’agence nationale APS. Aucun bilan sur cette opération n’a été donné. Des centaines de travailleurs algériens et une quarantaine d’étrangers avaient été pris en otages mercredi par un groupe lié à Al-Qaeda sur le site d’In Aménas, dans le centre-est de l’Algérie. Le groupe ayant revendiqué la prise d’otage a indiqué, notamment dans un communiqué, qu’il agissait en représailles à l’intervention contre les islamistes armés au Mali par l’armée française, dont les avions ont été autorisés par l’Algérie à survoler son territoire. On le voit, « L’Algérie » a autorisé le survol de son territoire et je l’en remercie», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, à l’émission Grand Jury LCI-Le Figaro-RTL, nous sommes à notre corps défendant des « collaborateurs ». Nous avons été impliqués et tout est fait par les médias pour présenter cet acte d’autorisation comme un acte majeur dans la lutte que mène la France.

Aux dernières nouvelles, 30 otages et au moins 11 islamistes ont été tués jeudi lors de l’assaut donné par les forces spéciales de l’armée algérienne sur le complexe gazier de Tigantourine dans l’est du pays, pour libérer plusieurs dizaines d’Algériens et d’étrangers retenus prisonniers, a-t-on appris auprès de la sécurité algérienne. Il a indiqué que, comme durant la guerre civile menée par les autorités algériennes contre les islamistes dans les années 90, l’Algérie ne négocierait pas, ni ne céderait au « chantage » des « terroristes ». « Nous disons que face au terrorisme, hier comme aujourd’hui et demain, il n’y aura ni négociation (avec les terroristes), ni chantage, ni répit dans la lutte contre le terrorisme », a-t-il déclaré, rappelant qu’il « s’agit d’une position algérienne connue depuis longtemps ».

Les autres grandes prises d’otages

Il est curieux de constater la propension des Occidentaux à vouloir à tout prix s’ingérer dans les affaires intérieures des pays soumis à des opérations de chantage. Les médias ont repassé en boucle quelques phrases. David Cameron n’est pas content, il s’est interrogé pourquoi il n’a pas été informé par les Algériens, les Américains se sont déclarés inquiets au point d’envoyer un drone Prédator dont on peut penser qu’il a eu l’autorisation de survoler la base; le comble est la position du gouvernement nippon qui exige des Algériens de cesser immédiatement les opérations.

Pour l’histoire, les prises d’otages consubstantiels de la mal-vie des damnés de la Terre. Les 5 et 6 septembre 1972, pendant les Jeux olympiques de Munich, 11 membres de la délégation israélienne sont tués lors d’une prise d’otages. Deux sont tués par le commando, neuf, lors de fusillades déclenchées par la police allemande. Le 4 novembre 1979, à Téhéran (Iran), 52 Américains sont retenus à l’ambassade des Etats-Unis. Ils sont libérés 444 jours plus tard, par l’intervention de l’Algérie après l’échec d’une opération commando américaine en avril 1980. Les 6 et 7 novembre 1985. A Bogota (Colombie), 400 personnes sont prises en otage au palais de justice par un commando du M19. Le lendemain, l’assaut fait une centaine de morts. Rappelons-nous aussi, que du 1er au 3 septembre 2004, dans une école à Beslan (Ossétie du Nord), un commando tchétchène prend en otages près de 1200 personnes, enfants, parents et enseignants. L’assaut des forces russes se solde par la mort de 331 personnes et fait quelque 400 blessés. Enfin en février-mars 2003 dans le Sahara algérien, 32 touristes d’Allemagne, Suisse, Pays-Bas et Autriche sont enlevés en plusieurs groupes par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc). Une otage allemande meurt après une insolation, les autres sont libérés en mai lors d’une opération de l’armée algérienne, puis en août au Mali contre le versement non confirmé d’une rançon. (1)

Pour rappel, la résolution 1904 de décembre 2009 a été votée suite à l’instance de l’Algérie/ stipule qu’il ne faut pas verser de rançon. Le gouvernement Sarkozy a été le premier à la torpiller en payant des rançons pour libérer ses concitoyens. Les deux fois où la France a tenté de libérer les otages, cela s’est traduit par la mort des otages français comme en Maurétanie, il y a deux ans et dernièrement en Somalie avec la mort de trois personnes dont l’otage de la Dgse. Le problème du Mali est d’abord un problème de décolonisation bâclée à la fois du côté malien, mais aussi de la mentalité des anciens colonisateurs. Avant le Mali, les terroristes, il faut le préciser, sont un cadeau de démolition de la Libye par les Occidentaux dont la France; l’Algérie a gardé tant bien que mal ses frontières. Que se serait-il passé si l’Algérie n’avait pas autorisé les Français à survoler son territoire? Un détour de 300 km aurait-il évité à l’Algérie de s’impliquer? Il semble pourtant que l’attaque a été programmée depuis longtemps, elle devait donc avoir lieu. Il est toujours difficile de réagir en face d’une prise d’otages et chacune a ses caractéristiques. En l’occurrence, les forces spéciales avaient toutes les difficultés en même temps: d’abord, le site lui-même est une bombe potentielle si le gaz venait à être libéré, de plus, c’est une prise d’otages de masse plus de 600 personnes sur un espace large, enchevêtré entre les réservoirs, les tours, les équipements divers et les tuyauteries, où il faut aller déloger vraisemblablement un à un les preneurs d’otages. Enfin, détail capital, les preneurs d’otages «classiques» ne sont pas des candidats au martyre. Il est donc mal venu aux experts de tout poil – notamment les spécialistes algériens adoubés- qui viennent en boucle dire « il n’y a qu’à faire-ça-, de parler sans savoir de quoi ils parlent. Claude Gallois, ancien patron du Gign français expliquait sur une chaîne de télévision qu’il est très difficile de réussir quand le nombre de personnes prises en otage est important comme c’est le cas. Pour lui, les forces spéciales algériennes ont fait leur travail en pareil cas. Ils ont eu besoin de temps pour sécuriser la base

Où sont nos amis?

Dans cette affaire, il est difficile de savoir quels sont les protagonistes. On nous parle de terroristes lourdement armés. Par qui? L’argent des cigarettes, de la drogue ou autre chose? Deux pistes semblent se détacher: le Qatar et l’arsenal libyen offert par la coalition aux terroristes suite au lynchage de Kadhafi.

L’hebdomadaire satirique français Le Canard enchaîné rapportait dans son édition du mercredi 6 juin, que l’émir du Qatar a livré une aide financière aux mouvements armés qui ont pris le contrôle du nord du Mali. Parmi ces groupes, qui ont reçu les dollars qataris, figurent le Mujao qui retient en otage sept diplomates algériens depuis le 5 avril dernier. Sous le titre « Notre ami du Qatar finance les islamistes du Mali », Le Canard enchaîné indique que la Direction du renseignement militaire (DRM), qui relève du chef d’état-major des armées françaises, a recueilli des renseignements selon lesquels « les insurgé du Mnla (indépendantistes et laïcs), les mouvements Ansar Eddine, Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) et Mujao ont reçu une aide en dollars du Qatar.» (2)

 « En clair: les émirs du Qatar financent des mouvements islamistes armés qui sèment la terreur en Algérie et dans le Sahel; qui détiennent des otages algériens et qui ont proclamé un khalifa islamique aux frontières algériennes. Mais il y a mieux encore. Toujours selon Le Canard enchaîné, l’émirat du Qatar a des visées sur les richesses des sous-sols du Sahel. « Des négociations discrètes ont déjà débuté avec Total», le géant pétrolier français pour exploiter à l’avenir le pétrole dont regorge cette région de l’Afrique. Le Mnla (Mouvement national de libération de l’Azawad) et Ansar Eddine qui ont reçu ces subsides ont pris le contrôle du nord du Mali à la faveur d’un coup d’Etat qui a renversé, le 22 mars 2012, le régime du président malien Amadou Toumani Touré. Quant au Mujoa (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), une dissidence d’Aqmi, elle détient sept diplomates algériens enlevés le 5 avril dernier et réclame des autorités algériennes 15 millions d’euros contre leur libération et menace d’actions terroristes en cas de refus de satisfaire ses revendications. (…) Selon Le Canard enchaîné, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, « n’ignore aucune des mauvaises nouvelles arrivées d’Afrique subsaharienne. Et rien de l’implication de « notre ami du Qatar », formule d’un officier de l’état-major, dans la «capture» du Nord du Mali par plusieurs mouvements djihadistes.» (…) (2)

Et pourtant, c’est ce même émir que nous avons reçu en grande pompe en décembre dernier et avec lequel nous sommes en affaires. On parle de plus en plus de terroristes surarmés. Par qui?

 « Parce qu’enfin lit-on dans une contribution pertinente, les armes aux mains des islamistes maliens ne sont pas tombées du ciel: si Paris n’avait pas, à l’instigation pressante de l’agitateur BH Lévy, livré contre la Jamahiriya libyenne une guerre du fort au faible en compagnie de ses acolytes euratlantistes, les armes aujourd’hui utilisées contre nos troupes seraient sagement restées enfermées dans leurs bunkers. « Sans doute ne faudrait-il pas oublier non plus, que le mouvement séparatiste malien appelé Mnla a été créé dans la précipitation par Mohamed Ag Najem lequel commandait un millier de mercenaires touareg au service du régime de Kadhafi et qu’il a été retourné par les services français quelques semaines avant la chute de Tripoli. Ag Najem aurait-il accepté de trahir Kadhafi et de retourner au Mali s’il n’avait pas eu les assurances de Paris pour pouvoir rentrer chez lui avec armes et bagages remplis d’or et de dollars afin d’y jouer le nouveau rôle qui lui a été dévolu? » (3) (4)

L’ouverture de la boîte de Pandore et l’enlisement au Malistan

Curieusement, la prise d’otages fut du pain bénit pour les médias qui n’avaient plus rien à dire concernant les mouvements au sol des troupes françaises pratiquement clouées sur place dans l’attente des acrobates des pays voisins. Il est vrai qu’ils ont fait un mouvement vers Djabali, mais en laissant les Maliens en face des islamistes. Au demeurant, l’opération malienne, mal conçue, mal calculée, devait en principe et au départ relever de la «guerre-éclair». À ce titre, les effectifs français viennent d’être portés à 800 hommes et Paris bat vainement le rappel de ses alliés européens, ceux-ci ne se bousculant pas pour apporter leur contribution à l’aventure. François Hollande, enfin, se présidentialise et est célébré en France comme «un chef de guerre». Sur tous les médias français, journaux, radios, télés, on proclame qu’il « est vraiment devenu président de la République maintenant qu’il a déclenché une guerre ». Comme Bush après la guerre contre l’Irak, et comme le président Obama, sacré « chef de guerre » après la mort de Ben Laden, ou comme le président Sarkozy après l’attaque de la Libye, le président Hollande s’engage sur un terrain mouvant. « Ce n’est pas cela ma France », a pu dire De Villepin.

Que faire quand les quelques villages seront pris. Pendant longtemps, la France a aidé le MNLA qui parlait de partition, maintenant elle aide le Mali. Pourtant, les frontières héritées de la colonisation d’après l’OUA devaient être intangibles mais l’UA, inaudible actuellement, avec un commissaire à la Sécurité dépassé, appelle à l’Occupation, la présidente appelle l’Otan, rien que çà.

S’agit-il de reconquérir la totalité de l’intégrité territoriale du Mali? Allons-nous le faire tout seuls? Comment s’assurer ensuite du maintien de la sécurité des villes qu’il s’agit de reprendre, Gao, Tombouctou, Kidal? Quelle sera la contribution de nos alliés? « C’est une guerre contre le terrorisme. Simplement, il faut aussi être capables de poser les bonnes questions en termes de durée et de moyens de l’intervention et d’alliances», a déclaré sur BFM TV, mardi, le député de l’opposition de droite, qui préside le groupe permanent de travail sur le Sahel à l’Assemblée nationale française. Et d’appréhender l’entrée de l’armée française dans «un schéma de guerre asymétrique qui prend du temps, qui est coûteux en argent et en vies, et donc il est important que la France ne soit pas seule dans ce combat». Pierre Lellouche relève un autre problème, celui de la faiblesse de l’Etat malien. Il rappelle que le gouvernement malien actuel est un gouvernement transitoire avec un président transitoire qui est le résultat d’un coup d’Etat organisé par l’armée malienne. «Tout cela est une opération qui va nous entraîner, me semble-t-il, assez loin dans la durée.»

Au-delà du bilan, de l’impact médiatique recherché – obtenu – et des implications sécuritaires, cette attaque rappelle certaines vérités. Il faut se rendre à l’évidence que la sécurisation des très vastes territoires désertiques algériens est quasi impossible. Avec 7 800 km de frontières à sécuriser, seule une étude globale avec les pays concernés permettra de trouver les méthodes et solutions à mettre en oeuvre en s’attaquant à la tâche aussi démesurée soit-elle. Il n’y a rien à attendre de pays qui ont leur propre contrainte comme la Tunisie et la Libye. La sécurisation des frontières devrait être de la responsabilité de tous les pays qui ont en commun des frontières avec l’Algérie. Seule une technologie innovante permettra d’avoir un coup d’oeil global sur les 7800 km de frontières (surveillance par satellite, drones…) ce sont ceux-là les paris du futur.

Cette aventure néocoloniale pour les matières premières, nous remet en tête les mots de Paul Valery: « La guerre c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit que de gens qui se connaissent bien, mais ne se massacrent pas.» A son corps défendant, l’Algérie a donné un sursis à l’aventure coloniale de la France, les troupes françaises sont en train de lever le pied – dans la plus pure tradition d’armons-nous et partez- rameutant à la fois les Européens qui traînent les pieds et les Africains qui vont obéir aux injonctions. Ces pays vont envoyer au casse-pipe leurs troupes mal entraînés avec peu de moyens. Le conflit va s’enliser et il n’est pas sûr qu’une fois ouverte la boîte de Pandore du Malistan, on puisse la refermer de sitôt. Le conflit va durer. Il serait hautement souhaitable que l’Algérie se tienne en retrait d’un conflit qui ne la concerne pas.

Professeur  Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

Notes/Références 

1.http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Les-autres-grandes-prises-d-otages-_NG_-2013-01-17-900347

2. http://www.dna-algerie.com/enquete/le-canard-revele-des-dollars-du-qatar-pour-financer-un-khalifa-islamique-aux-frontieres-d-algerie-3

3. Oumma.com 14 012013 « Les mensonges de la propagande de guerre française au Mali. »

4. Honni soit qui Mali y pense http://www.geopolintel.fr/article582.html



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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