Quand, où et comment l’Empire va-t-il riposter contre Trump?

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Dans toute analyse de la politique internationale contemporaine, il est payant d’être prudemment pessimiste. Comme mode par défaut, on peut généralement attendre à ce que tout ce qui pourrait faire que les choses peuvent mal tourner pour menacer la paix et la sécurité de la planète, finira par avoir lieu. Miser sur le fait que les choses iront mieux est un pari risqué.

C’est pourquoi l’instinct de l’analyste se rebelle à tout signe indiquant que les choses dans leur ensemble peuvent évoluer dans une direction positive, même de façon hésitante ou indirecte. Mais réfléchissez :

  • Le populisme européen se poursuit : Viva l’Italia ! Le Sicilien favori de l’Union Européenne (UE), le président italien Sergio Mattarella, avait été chargé de barrer la route à la coalition M5S / Lega. Le coup d’état a échoué. Maintenant, l’Italie, la troisième plus grande économie de la zone euro – trop grande pour être traitée comme la Grèce – rejoint le  bloc populiste centré dans le groupe Visegrád, plus l’Autriche . Cela revêt une importance particulière en ce qui concerne la politique migratoire désastreuse de l’UE (et de l’Allemagne)  .
  • Les sanctions anti-Russie de l’Europe : les pressions américaines sur l’Europe en matière de commerce avec l’Iran, ajoutées aux nouveaux tarifs douaniers de Trump, alimentent le ressentiment à travers l’Europe, notamment dans la puissante Allemagne, qui s’oppose notamment aux sanctions menaçantes de Washington contre les entreprises du Nord Stream. Il est trop tôt pour deviner dans combien de temps l’UE mettra fin aux sanctions anti-russes, mais il y a quelque chose dans l’air quand, même le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, peut dire « qu’il faut mettre un terme aux attaques contre la Russie. »   La voix de l’Italie sera la clé .

À l’épicentre de chacun de ces développements, un homme : Donald Trump.

Il serait inexact de dire qu’il ne s’agit seulement que de mesures du gouvernement américain, dans lesquelles Trump n’a qu’un contrôle partiel. Avec le gouvernement permanent – sans parler de certains hauts fonctionnaires nommés par lui – qui cherchent à le miner à chaque étape, Trump semble avoir recours au seul outil dont il dispose personnellement : la perturbation.

Souvenons-nous que, surtout dans les États de la Pennsylvanie, de l’Ohio, du Michigan et du Wisconsin, ceux qui ont voté pour Trump voulaient quelque chose de radicalement différent du statu quo. Ils ont voté pour lui parce qu’ils voulaient un taureau dans un magasin de porcelaine, un boulet de démolition, une  grenade à main humaine, un gros «FU» pour le système .

Peut-être que c’est ce que nous avons.

Bien sûr, aucun des développements détaillés précédents n’est déterminant. Mais, pris ensemble, ils pointent vers une confluence remarquable de bons présages, du moins du point de vue de ceux qui voulaient secouer, voire briser, les arrangements entre amis qui ont guidé le soi-disant « ordre mondial libéral ».

Mais ceux dont les carrières et les privilèges, et dans certains cas leur liberté et même leur vie, dépendent de la perpétuation de cet ordre, n’entreront pas le cœur en paix dans cette douce nuit. Ils deviennent nerveux. Il s’agit en particulier des éléments des services spéciaux américano-britanniques, de leurs compagnons de route démocrates et du GOP Never-Trump, des médias fake news qui détestent Trump et des non-entités bureaucratiques bruxelloises (non seulement à la Commission européenne, mais aussi au siège de l’OTAN).

Si le passé est un prologue, l’Empire ripostera – durement et salement.

On se souvient des sept années de guerre en Syrie, où chaque fois que les États-Unis ont indiqué leur volonté de se désengager, ou lorsque les forces syriennes ont  fait des gains militaires importants, alors – BAM! – une attaque d’armes chimiques immédiatement et sans preuves est attribuée aux forces gouvernementales, suivie de nouveaux cris de « Assad tue son propre peuple! Assad doit partir !  » (C’est un stratagème qui remonte au moins à la guerre de Bosnie des années 1990. Chaque fois qu’un cessez-le-feu négocié semblait se dessiner, une autre « attaque au mortier serbe  » contre des civils a eu lieu, ce qui a conduit à des appels à une action militaire de l’OTAN.)

La question n’est pas « si » il y aura une provocation, mais plutôt quand, où et comment. S’il  est difficile de faire des prédictions, notamment sur l’avenir, il est néanmoins possible d’anticiper certaines possibilités:

  • Coupe du Monde de la FIFA 2018 en Russie  (14 juin au 15 juillet) : Compte tenu des dépenses et des efforts considérables que la Russie a consacrés à la Coupe du monde en tant que vitrine favorable au monde, ce sera une cible alléchante. Rappelons-nous que l’éviction inconstitutionnelle du gouvernement élu de l’Ukraine a eu lieu alors que l’attention de Poutine était vraisemblablement distraite par sa fierté et sa joie, les Jeux olympiques d’hiver de 2014 à Sotchi. L’attaque de 2008 par Mikhaïl Saakachvili, alors président de la Géorgie, contre l’Ossétie du Sud a été lancée alors que les yeux du monde étaient tournés vers les Jeux olympiques d’été de Pékin. Les deux initiatives ont conduit à une forte opposition de Moscou, qui a conduit à une détérioration des relations entre la Russie et l’Occident – dont la suspension de la Russie du G8 en 2014. (Bien que dans l’imagination fiévreuse des Russophobes occidentaux, c’est Poutine qui utilisait ces jeux comme couverture, et non l’inverse) Une provocation pourrait être dirigée contre les événements de la FIFA eux-mêmes. Peut-être une attaque terroriste par des agents de Daech qui auraient été transportés en Russie à partir du Moyen-Orient – ou quelque chose d’autre qui coïnciderait avec des matchs joués dans toute la Russie .
  • Ukraine : En ce qui concerne les actions du président Petro Porochenko, tout doit être mis dans le contexte des élections présidentielles à venir en 2019. Porochenko doit trouver un moyen de s’engager dans la course, probablement contre Ioulia Timochenko. La chose la plus bénéfique qu’il puisse faire serait de tirer un lapin de son chapeau et d’obtenir un accord de paix dans le Donbass. Mais les chances pour cela sont minces, sinon nulles, car il faudrait une certaine flexibilité de Kiev que Porochenko ne peut pas se permettre de montrer de peur d’être accusé d’être une marionnette russe. A l’inverse, il peut monter la barre assez haut avec les Russes et espérer que l’Occident s’alignera derrière lui. Peut-être que le fiasco des fausses nouvelles récentes concernant le meurtre d’Arkady Babchenko, encore très vivant, aurait dû être l’un de ces stratagèmes, mais cela a mal tourné. Mais il y a d’autres options, comme une provocation le long de la ligne de contrôle dans le Donbas (les missiles Javelin américains nouvellement livrés sont pratiques, comme l’est le rapport néerlandais MH17), peut-être une attaque secrète sur le pont de Kerch, ainsi que d »autres possibilités moins évidentes.
  • Incident entre les forces de l’OTAN et la Russie : les forces de l’OTAN intensifient les manœuvres provocatrices aux portes de la Russie dans les Mers Baltique et Noire, uniquement pour contrer l’agression de Moscou. Un incident peut survenir à tout moment, soit par accident, soit intentionnellement. D’une façon ou d’une autre, ce serait la faute des Russes hostiles, coupables d’avoir placé leur pays si près de nos bases et des lieux de nos exercices militaires.
  • Assassinat : L’une des prédilections bien connues de Poutine est de tuer, ou du moins de tenter de tuer, quiconque pourrait lui déplaire. Ou comme Assad avec ses armes chimiques, peut-être que Poutine tue juste pour le pur plaisir. La liste des victimes est longue : Babchenko (non, pas lui), les deux Skripal (pas eux non plus), les opposants politiques comme Boris Nemtsov et Sergei Yushenkov, les journalistes de muckraking comme Anna Politkovskaya et Natalia Estemirova, l’ancien tchekiste Aleksandr Litvinenko, le fondateur du réseau RT Mikhail Lesin, les avocats en croisade comme Stanislav Markelov et Sergei Magnitsky, l’oligarque Boris Berezovsky, etc. Une élimination opportune d’un personnage suffisamment visible aurait un impact salubre sur toute démarche ennuyeuse de rapprochement est-ouest. Aucune preuve n’est nécessaire – la simple identité de la victime serait une preuve irréfutable de la culpabilité de Poutine.

En ce qui concerne le dernier élément, l’assassinat, il faut toujours garder à l’esprit qu’en fin de compte, l’homme qui menace de ficher par terre l’ordre mondial libéral n’est pas Poutine –  c’est Trump . Cela suggère une solution ultime qui pourrait devenir tentante si le fonctionnement de Donald à des températures supérieures à la température ambiante devient trop dur à supporter, en un mot, qu’il ne nous les chauffe pas trop.

Comme l’a dit Joseph Staline, « la mort résout tous les problèmes. Pas d’homme, pas de problème. » Trump, qui pour beaucoup de gens puissants est en effet un problème, a été comparé avec témérité à Jean-Marie Le Pen, Silvio Berlusconi, Vladimir Poutine – même à Hitler et Mussolini. Dans un contexte américain, à Andrew Jackson, Huey Long et George Wallace. Notons que chacun de ces trois Américains a été la cible d’un assassinat. Jackson (quelqu’un que l’on sait que Trump admire) a survécu parce que les pistolets de son assaillant s’étaient enrayés, salué par certains à l’époque comme un miracle. « Le Kingfish » a été tué. Wallace était paralysé à vie.

Il y a des raisons de penser que Trump est bien conscient du sort du dernier président américain qui a tellement menacé l’ordre habituel des choses et l’establishment retranché, impitoyable, qui en profite si puissamment. Il a manifesté à plusieurs reprises son intérêt à publier le dossier complet de l’assassinat de Jack Kennedy, puis il a reculé pour des raisons non divulguées. La mort par balle du frère du président Robert Kennedy, qui avait été élu président en 1968 aurait eu l’occasion de rouvrir l’enquête sur le meurtre de son frère, est de retour dans les infos avec  Robert Kennedy, Jr., exprimant des doutes sur la conclusion officielle selon laquelle son père a été tué par Sirhan Sirhan .

Si quelqu’un pense qu’il y a une limite que les ennemis de Trump ne franchiront pas, qu’il se détrompe.

 

 

Article original en anglais : When, Where, and How Will the Empire Strike Back?, Oriental Review, le 9 juin 2018

Traduction : AvicRéseau International



Articles Par : James George Jatras

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