« Quand on est de gauche » : vrais et faux paradoxes, cris et silences de « dernière énergie » sur les massacres de Gaza

Que se passe-t-il réellement à Gaza ? Politique d'agression et sionisme.

Parmi les « appels pressants», pétitions, et tribunes qui sortent depuis quelques jours – c’est-à-dire presque trois semaines, un millier de morts et plus de 5 000 blessés après  le début des massacres- pour donner leur opinion et émotions sur ce qui se passe à Gaza, se trouve : Condamner Israël, un devoir qui commence ainsi :

« C’est un paradoxe que la signature de ce texte uniquement par des individus d’ascendance juive ou arabe justement pour défendre avec la dernière énergie que les bombardements de Gaza n’ont à voir ni avec la religion, ni avec les origines ».(1)

Faux.  Et trompeur : oui, les bombardements de Gaza ont à voir avec une religion et des origines revendiquées. Ce qui, entre autres raisons[1], détermine et conduit cette politique d’agression est le sionisme, c’est-à-dire la prétention d’occuper une terre sous prétexte qu’elle appartiendrait à un « peuple Élu » (religion et origines) et qu’il faudrait l’épurer des habitants qui n’auraient ni cette religion ni ces origines. Tous ceux qui revendiquent des « ascendances juives » ne sont pas partisans du sionisme, et donc partisans des bombardements actuels, mais il est faux et trompeur de dire que les bombardements de Gaza n’ont pas à voir, aussi et avant tout, avec une revendication –fut-elle abusive- de religion et d’origines.

Même si d’autres raisons que « la religion et les origines » guident évidemment la politique impérialiste, ici dans sa version sioniste.

Faux et trompeur aussi de dire ensuite que dans le gouvernement israélien « l’extrême-droite a pris le dessus ces dernières semaines » : la politique actuelle est celle de tous les gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’entité sioniste depuis sa création. Pour ne remonter qu’aux (environ) 30 dernières années : Sabra et Chatyla (16 au 18 septembre 1982), bombardements du Liban en août 2006, Plomb Durci en 2008-2009 et Pilier de défense ou Colonne de nuée en novembre 2012, n’auraient-ils pas été l’oeuvre de gouvernements « de droite et extrême-droite » ?

Cette phrase est-elle, de la part des signataires, une tentative d’égarer les lecteurs face à  la large diffusion quelques jours auparavant[2], du Plan pour Gaza de Moshe Feiglin[3] qui n’est pas un fanatique isolé mais a été candidat à la direction du Likoud et l’actuel vice-président de la Knesset ?

Il est plus confortable, en France, de faire des phrases sur « l’humanité qu’on assassine », « la barbarie », «le devoir de condamner Israël » – où ? devant quelles institutions juridiques précises ? avec quelles enquêtes ?- que de se mobiliser, diffuser, et soutenir une véritable action internationale en justice, la plainte contre Israël pour crimes de guerre, à la CPI[4], dont les signataires de cette tribune ne disent pas le moindre mot.

Plus confortable d’en appeler à un « simple et salutaire réflexe d’humanité » que d’écrire en toutes lettres le mot soutien à la résistance, palestinienne, en indiquant aussi les noms des partis et organisations[5] qui, à Gaza, mais aussi ailleurs dans les Territoires, réclament la levée du blocus et combattent avec le soutien de la majorité de la population palestinienne l’agression sioniste soutenue voire désirée par une écrasante majorité de la population juive israélienne.

Confortable aussi, pour les signataires, d’évoquer la « voie à un antisémitisme délétère devenu un « antisionisme des imbéciles » » : comprenne qui pourra, des mots sont lâchés, écrits et signés, il en restera toujours quelque chose : antisionisme des imbéciles. Merci pour eux.

On l’a vu les signataires ne reculent pas devant les paradoxes parmi lesquels celui, non affiché cependant, de la co-signature de cette tribune par des « individus » se disant de gauche ou même anti-capitalistes (notamment S. Joshua, ex « Révolution » dans les années 70, plus récemment NPA, puis Front de gauche aux dernières élections ; G. Achcar, trotskiste ; A. Boumedienne, ex Verts puis EELV) avec Bassma Kodmani, invitée aux rencontres du Groupe Bilderberg en 2008 et 2012[6].

Pas de paradoxe, par contre, dans cette invitation au Bilderberg de Kodmani, en tant que Déléguée aux affaires étrangères du Conseil national syrien : dont elle a démissionné deux mois après la conférence (Chantilly USA, août 2012), pour comme a dit le journaliste du Monde, Christophe Ayad, « retourner à ses recherches »  (il n’a pas dit de quoi)[7].

Ses entrées au Bilderberg permettront peut-être à la signataire de diffuser sa tribune auprès d’autres invités et des membres du Steering Committee[8], tous (finance transnationale, banques centrales et privées, industries multinationales –dont armes et énergie-, institutions supranationales, politiciens, propriétaires et acteurs des plus grands groupes de mass médias, sans oublier les think tank : consultants, cabinets juridiques et universitaires) actifs au Groupe pour définir les lignes directrices de la politique atlantiste et impérialiste dont les bombardements actuels de Gaza sont le dernier épisode, peu discret celui-ci : on sait que les caractéristique du Bilderberg sont non pas le secret mais la réserve et la discrétion.

Pas de paradoxe pour Rony Brauman, qui a réclamé des bombardements sur la Syrie il y a un peu moins d’un an[9], à signer cette fois pour l’arrêt des bombardements, mais à Gaza, avec B. Kodmani (et autre franco-syrien anti-Assad) : ils sont tous les deux, ainsi que leur camarade Achcar, du même côté des « révolutionnaires », « rebelles modérés » etc. opposants au président Assad.

Pas de paradoxe pour les signataires à utiliser, pour nommer l’opérateur du massacre, le mot Tsahal, c’est-à-dire en hébreu «armée de défense israélienne », au lieu d’écrire « l’armée israélienne », ou, sans forcément le « crier le plus fort possible », dire clairement et justement : « Une armée de merde, sans honneur et sans loi »[10].

Pas de paradoxe pour les collaborateurs de l’impérialisme qui ne s’égarent pas en signant cette tribune. Et la pseudo «gauche » présente ici fait ce qu’elle a l’habitude de faire : a) « crier le plus fort possible » qu’elle dénonce, condamne etc., pour b) brouiller les pistes en se joignant à ceux qui criminalisent les résistants, en apportant sa contribution à l’amalgame antisionisme=antisémitisme, afin c) d’égarer autant qu’elle peut le faire les gens prêts à se mobiliser. Sinon, Hollande et Cie auraient un peu plus de mal pour leur besogne : faire passer, ici, les antisionistes pour des antisémites, pour mieux continuer, sur le terrain, à soutenir l’agression israélienne. Et surtout, d) ne pas nommer les combattants contre l’agression israélienne : à la lecture seule de cette tribune, qui saurait qu’il y a des résistants qui se battent à Gaza et qui ont besoin, aussi, de notre soutien ?

Heureusement, cette tribune n’affiche que peu de signataires dont la plupart sont des inconnus (non seulement entre eux – ! – d’après ce que m’a dit l’un des signataires joint par téléphone mais aussi pour le « modérateur » du site qui les publie en pleine page[11]).

Mais peut-être n’y a-t-il ici qu’une petite tribune et pas un appel ou une pétition parce qu’il est de plus en plus difficile de trouver des individus de quelques religion et origines que ce soit pour signer ce genre de tromperie.

 Marie-Ange Patrizio


(1)  http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/260…

et  http://www.legrandsoir.info/condamner-israel-un-devoir.html .



[6] A propos des invitations de B. Kodmani au Bilderberg : « Parmi les six personnalités des groupes d’intérêt et de pression il faut noter la présence à la Conférence de 2012 à Chantilly (USA) du Russe Garry Kasparov et de la Syrienne Basma Kodmani. Tous les deux ont participé au titre de représentants de groupes de pression politique actifs dans leurs pays respectifs contre les gouvernements en place. […] Basma Kodmani, présente auparavant à la Conférence de 2008 à Chantilly aussi, participa comme responsable des Affaires étrangères de l’exécutif du Conseil national syrien (Cns) dont elle a démissionné en août 2012, deux mois après la Conférence du Bilderberg. Basma Kodmani est très liée aux cercles intellectuels et politiques de la France, ex puissance coloniale en Syrie : elle a travaillé pour de nombreuses institutions, y compris l’Institut Français des Relations Internationales de Paris, le think tank dont est président le susnommé Thierry de Montbrial, et pour lequel elle a dirigé le programme pour le Moyen Orient. Le Cns est une coalition de groupes d’opposition au gouvernement du président al-Assad, ayant son siège à Istanbul, reconnue par certains pays comme gouvernement en exil de la Syrie.  Selon le New York Times, le Cns compte une forte participation des Frères musulmans et soutient l’Armée syrienne libre, un groupe qui combat contre le gouvernement, avec laquelle il a établi un accord de coordination en janvier 2012 (www.nytimes.com/2011/12/09/world/middleeast/factional-splits-hinder-drive-to-topple-syrias-assad.html?_r=2&;pagewanted=all&). Le Cns est la source de la grande partie des informations diffusées par les médias occidentaux et les monarchies pétrolières ».

Extrait de Le Groupe Bilderberg. L’élite du pouvoir mondial, de Domenico Moro, Aliberti Editore, Reggio Emilia 2013 ; version française à paraître à la rentrée 2014 aux éditions Delga (Paris) traduction m-a patrizio.

[9] « Je soutiens l’idée telle que, d’ailleurs, le président de la République française l’a soutenue aujourd’hui [30 août 2013], d’une intervention extrêmement limitée visant des pistes aériennes, des stocks de munitions – certainement pas, d’ailleurs, des stocks de munitions chimiques [sic] et c’est un paradoxe [encore un], car on risquerait d’aggraver un problème que l’on veut au contraire contenir  [en effet ! m-a p]» etc. : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130830-rony-brauman .

[11] Cf. « Legrandsoir »  [à propos de commentaires sur B. Kodmani) : « C’est le 2ème commentaire dans ce sens. Le nom ne me (modérateur) dit rien mais on devine le profil. Pas grave. Les autres sont là. Espérons que ce ne soit qu’un début. » …Italiques m-a p.

 



Articles Par : Marie-Ange Patrizio

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