Résister au processus de destructuration du droit international

« Maintenant, il n’y a plus d’aveugles ou de naïfs mais des complices. »
Albert Camus, l’Étranger

Avec cette nouvelle guerre contre un État souverain, qu’est le Liban, la nature même de tout le système de sécurité collective, du système de coopération internationale et de l’ordre international en général, se trouve encore plus dangereusement remise en cause. Menée avec l’aval des Etats-Unis et de nombre de leurs alliés, elle manifeste l’orientation de ce nouvel ordre mondial où prédomine la tendance à l’unilatéralisme hors du cadre des Nations unies. Cela entraîne la déstructuration du droit international général et du droit fondé sur la charte. Ce droit devient l’objet d’une neutralisation et, plus particulièrement en ce qui concerne la coopération internationale, le règlement pacifique des différends, la paix et la sécurité internationales ou, si l’on veut, le droit à la paix.

Ainsi l’État d’Israël en violant et en continuant de violer toutes les normes de droit international – acte d’agression, domination coloniale, politique d’apartheid à l’égard de la population palestinienne, crimes de guerre, crimes contre l’humanité ; la liste est longue… – manifeste un mépris ouvert envers ses obligations internationales découlant des accords et des traités et envers la décision d’une instance internationale comme la CIJ.

Dans ce cas, c’est la règle concernant le non recours à la force qui est la plus touchée et objet d’une interprétation non seulement souple mais surtout unilatérale. Il est bien connu que dans la charte des Nations unies cette interdiction générale (art. 2 § 4) ne connaît que deux exceptions : le recours à la force de la part du Conseil de sécurité en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales (chapitre VII de la charte) et le « droit naturel » de légitime défense reconnu aux États dans le cas où ils seraient l’objet d’une agression armée (art. 51 de la charte). L’interdiction du recours à la force en dehors de ces circonstances, initialement l’une des principales innovations du droit de l’ONU par rapport au droit international général, s’est consolidée au fil du temps comme une règle coutumière, censée correspondre à un principe impératif du droit international contemporain : elle est d’ailleurs une règle relevant du jus cogens (…).

Selon la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité est l’organe politique chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il dispose, pour le faire, de compétences nécessaires et discrétionnaires. Ajoutons que l’Assemblée générale de l’ONU proclame, de son côté, la nécessité du respect des principes et des règles de la charte ; en particulier, l’obligation de respecter l’égalité souveraine de tous les États et de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État – ce qu’est le Liban -, ou d’agir de manière qui serait incompatible avec les buts des Nations unies (…).

Nous sommes, nous, peuples des nations, face à un alarmant processus de déstructuration du droit politique contenu dans la charte des Nations unies. Paradoxalement, l’ONU, qui devrait être l’élément de contention et de régulation juridique de la force et garante des relations internationales fondées sur la coopération internationale, participe à la conquête du monde menée par les sociétés transnationales avec l’appui des États dominants. Le Conseil de sécurité, à travers des actes et décisions arbitraires, contraires non seulement au droit international général mais qui enfreignent aussi les buts et les principes de la charte des Nations unies, devient une espèce de gouvernement mondial, dans les mains des puissants.

Il reste aux peuples des nations le droit de résister à la dégradation du droit international et à réclamer des comptes contre la mise en pièces du système multilatéral collectif de sécurité. La sécurité internationale est une chose trop sérieuse pour qu’elle soit laissée entre les mains de personnes qui se sont autoproclamées maîtres du monde. Nous devons revendiquer la sécurité internationale, la paix comme bien commun de l’humanité (.)

L’actuelle réforme de l’Organisation des Nations Unies ne peut donc être pensée pour favoriser le développement du secteur privé ou pour le profit des puissants et de l’économie libérale alors que l’ONU a été pensée pour l’ensemble des peuples des Nations. La réforme de l’ONU ne peut se penser indépendamment d’un véritable projet politique pour l’humanité tout entière. Cela nécessite de faire des choix, de prendre des risques et de ne pas se voiler la face. Il faut cesser d’être aveugle ou complice de la destruction organisée de l’humanité. Pensons à des projets politiques de vie pour faire front aux projets mortifères proposés par quelques puissants qui veulent nous faire revenir vers le futur.

Mireille Mendès-France est militante de droit-solidarité/AIJD, du CEDETIM/IPAM et de l’UJFP.



Articles Par : Mireille Mendès

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