« Révolution de couleur » à la brésilienne. Qui a peur de Dilma?

A cinq mois des Olympiques, le 13 mars 2016, des manifestations monstres ont été organisées au Brésil contre le gouvernement de Dilma Rousseff profitant de la baisse de popularité de la la présidente. Ces manifestations ont été convoquées par les partis d’opposition (principalement le PSDB). La plus grande manifestation a rassemblé plus de 500 000 personnes  dans la mégapole de Sao Paulo, dépassant les rassemblements au Brésil pour les Élections directes (Diretas-Ja) le 16 avril 1984 (pour la fin du régime militaire).

Ces manifestations ont également eu lieu dans les grandes capitales (121 villes dont la mégalopole de Rio de Janeiro). Les manifestants réclamaient la destitution du gouvernement Dilma (1) dont la cote de popularité s’est effondrée à 13% et la prison pour l’ex-président Ignacio Lula da Silva (2003-2010) accusé de blanchiment d’argent et de corruption. Lula aurait reçu 1.3 millions d’euros dans sa fondation (Instituto Lula):

Une bombe dans le scandale Petrobras : Camargo Correa, l’une des entreprises accusées de surfacturation, aurait versé 4,53 millions de Reais (1,3 millions €) à deux entreprises de l’ancien Président de la République Luiz Inácio Lula da Silva. Une expertise de la Police Fédérale montre, d’une part, qu’entre décembre 2011 et décembre 2013, l’Institut Lula a reçu 3 parcelles de 1 million de Réais, et, d’autre part, qu’entre septembre 2011 et juillet 2013, l’entreprise de Lula, LILS Palestra Eventos e Publicidade, a reçu 1,527 millions de Reais.

Scandale Petrobras : Lula aurait reçu 1,3 millions € dans ses entreprises

Source : Veja du 9 juin 2015 http://veja.abril.com.br

Poupées gonflables : Lula en vêtement de prisonnier avec la présidente Dilma Rousseff entourés par les manifestants à Sao Paulo

Plusieurs dizaines de responsables politiques brésiliens soupçonnés d’avoir bénéficié des largesses de Petrobras font l’objet d’une enquête de la Cour suprême, mais Dilma Rousseff, qui fut présidente du groupe, ne figure pas sur la liste. Ces affaires de corruption ont rendu le gouvernement impopulaire, a reconnu début avril le ministre de la Justice, José Eduardo Cardozo, mais aucune institution n’est imperméable à ce fléau et presque tous les partis politiques brésiliens font l’objet d’enquêtes, a-t-il rappelé. (Les Brésiliens ne veulent plus de Dilma Rousseff)

De nouvelles manifestations ont pris de l’ampleur à partir de la nuit du 16 au 17 mars suite aux révélations.  Il est impressionnant de voir à quel point ces manifs ont été si vite organisées… à peine le temps de prendre connaissance des nouvelles révélations à saveur médiatique…

Dilma a invité Lula à revenir au gouvernement comme chef de Cabinet (ministre da Casa Civil) , ce qui lui assurerait l’immunité politique face aux accusations. Cependant le procureur de la République a affirmé que nul ne pouvait être exclu d’une enquête (« Nosso trabalho é republicano. Nao ha pessoa fora de investigaçao).

Cependant tout ce bruit médiatique se base avant tout sur la diffusion d’une conversation entre Dilma et Lula, notamment sur l’interprétation de cet échange téléphonique.

Voici la conversation enregistrée par la Police Fédérale (original portugais, traduction par M. L.):

  • Dilma:(llo (Alô)
  • Lula: Allo (Alô)
  • Dilma: Lula, laisse moi te parler de quelque chose (Lula, deixa eu te falar uma coisa)
  • Lula:  Parle, ma chère, hein (Fala, querida. Ahn)
  • Dilma: Voici, je t’envoie Messias [Jorge Rodrigo Araújo Messias, directeur adjoint, bureau des affaires légales du cabinet] avec le document pour qu’on l’ait, et tu t’en sers seulement si tu en as besoin, c’est le terme de nomination, ça va (Seguinte, eu tô mandando o ‘Messias’ junto com o papel pra gente ter ele, e só usa em caso de necessidade, que é o termo de posse, tá?!)
  • Lula:  Hum hum, ça va, ça va (Uhum. Tá bom, tá bom)
  • Dilma:  Seulement ceci, tu attends jusqu’à ce qu’il arrive là-bas (Só isso, você espera aí que elle tá indo aí)
  • Lula:  Ça va, je suis ici en train d’attendre (Tá bom, eu tô aqui, fico aguardando)
  • Dilma: Ça va? (Tá?!)
  • Lula:  Ça va (Tá bom)
  • Dilma:  Ciao (Tchau)
  • Lula: Ciao, ma chère (Tchau, querida)

Le juge Morro, responsable de l’enquête « Lava Jato », a permis la diffusion de cet enregistrement. En permettant la publication de la courte conversation téléphonique, le juge démontre clairement son impartialité alors qu’il est en faveur de la destitution de la présidente.  Selon un avis du Secrétariat des communications sociales de la Présidence du Brésil, il viole la loi et la constitution.

Révélations étonnantes?  Cette conversation ne dit absolument rien. Elle ne fournit aucune preuve d’une complicité quelconque entre Dilma et Lula sur le fait de le protéger en le nommant ministre. C’est avant tout un bon scoop pour les médias.

La fonction de ministre de Lula a été suspendue deux fois en deux jours.  Le juge fédéral de Brasília, Itagiba Catta Preta Neto a tenté de bloquer la nomination en évoquant une entrave à la justice (le 17 mars), mais un tribunal de Rio de Janeiro ordonna l’annulation de cette suspension…  puis par le juge Gilmar Mendes du Tribunal suprême fédéral (STF) , plus haute juridiction du pays,  a de nouveau suspendu l’entrée en fonction de Lula comme ministre du gouvernement (le 18 mars).

Le juge Gilmar Mendes justifie sa décision en expliquant que la présidente brésilienne avait nommé Lula au gouvernement dans le but de le protéger contre un éventuel placement en détention imminent dans le cadre de l’affaire Petrobras. Pour M. Mendes, l’enquête pour corruption à l’encontre de l’ancien chef de l’Etat (2003-2010) doit être menée par la justice ordinaire, c’est-à-dire par le juge Sergio Moro, qui soupçonne Luiz Inacio Lula da Silva de « corruption » et « blanchiment d’argent ». (Le Monde, 18 mars 2016)

La saga judiciaire se poursuit malgré les manifestations pro-gouvernement Dilma du 18 mars (près de trois millions de Brésiliens se sont mobilisés) organisées par le Front populaire du Brésil regroupant dans l’ensemble syndicats et mouvements paysans (tel que le Mouvement sans Terre).

Tentative de « Coup d’état » (selon Lula et ses partisans) ou « printemps brésilien » déclenché par la plus grave crise économique de l’histoire du Brésil ?

Un manifestant affiche une pancarte : « Nous ne voulons pas d’un autre Venezuela »

Qui sont ces manifestants anti-Lula et anti-Dilma?

Ce ne sont pas les pauvres des favelas (bidonvilles) déchus par les politiques néolibérales du gouvernement PT.

Selon l’enquête de la Folha de Sao Paulo, les manifestants sont majoritairement issus d’une classe sociale privilégiée (avec une éducation et un niveau de revenu élevé) (Voir le tableau ci-dessous). Parmi cette élite, certains réclament le retour des militaires au pouvoir. Pourtant la période du gouvernement Lula (2003-2010) semblait répondre aux attentes socio-politiques et économiques de ces classes favorisées du Brésil.

Le profil du manifestant à l’avenue Paulista, pourcentage selon le revenu

1.Jusqu’à deux salaires minimum; 2. Jusqu’à 2 ou 3 salaires minimum; 3. Plus de 3 à 5 salaires minimum; 4. Plus de 5 à 10 salaires minimum; 5. Plus de 10 à 20 salaires minimum; 6. Plus de 20 à 50 salaires minimum; 7. Plus de 50 salaires minimum.

La majorité des manifestants qui demandent le lynchage de l’ex-président du Brésil et la destitution de la présidente Dilma Rousseff ne cachent pas leur idéologie néolibérale ou leur déception par rapport à l’ensemble des politiques –« -néolibérales à visage humain » — pour l’ensemble de la classe moyenne.

Il faut le souligner, le gouvernement de Dilma Rousseff continue de promouvoir un gouvernement populiste à tendance néolibérale. De son côté, Lula était un bon ami de Georges W.  Avant même sa première présidence, il s’empressa de faire une visite au Pentagone… (décembre 2002)

Dilma serait-elle trop « soft » pour Washington? En tout cas, elle serait encore espionnée par la NSA. Les grognes contre elle, soupçonnée de corruption, ont probablement incité la présidente à ignorer les dernières révélations d’espionnage (2015). Chose est certaine, la déstabilisation du gouvernement Dilma fait l’affaire de Washington.

Qui sont les  « justiciers du Brésil ». Qui financent ces mouvement de protestations ?

Les principaux mouvements de protestation ont amplement utilisé les réseaux sociaux pour appeler les Brésiliens à manifester pour l’impeachment de la présidente. Les trois principaux mouvements d’opposition : Estudantes pela Libertade (Étudiants pour la Liberté),Movimento Brasil Livre (Mouvement Brésil Libre),  Vem pra Rua (Sors dans la rue).

https://blogbresil2014.wordpress.com

 Le « justicier » made in USA : Batman, symbole des manifs anti-Dilma et anti-Lula

http://www.diariodocentrodomundo.com.br/a-marcha-dos-aloprados-por-paulo-nogueira/

1. Le Mouvement des Étudiants pour la Liberté

Le Mouvement des Étudiants pour la Liberté, représente l’organisation étasunienne « Students of Liberty ». C’est une organisation qui a été créée aux États-Unis. Ces jeunes se définissent comme des « libertaires », représentent la droite et invitent les leaders du monde entier à se former aux États-Unis (stages pour étudiants). Ils font aussi référence à l’Institut Cato et au sénateur US Rand Paul. (Voir l’article en anglais : Regime Change in Brazil? Right Wing Protest Movement Funded by US Billionaire Foundations, Training in US)   « Students of Liberty »a également été impliqué dans les manifestations contre le président vénézuélien Maduro et ils étaient présents à la place Maïdan en Ukraine en 2013.

En tant qu’organisation à but non lucratif, SFL continue de ne rechercher et n’accepter que des dons privés de la part d’individus, de fondations et de cotisations. Durant sa première année, SFL a rassemblé 50 000 dollars de revenus. Le revenu de l’organisation a augmenté, atteignant presque 250 000 dollars la seconde année, puis plus de 500 000 dollars la troisième. Les dépenses furent de 65% du revenu la première année, 75% la seconde et 80% la troisième.

De plus, le mouvement est financé par des investissement de banquiers comme Hélio Beltran filho, qui a des part dans le Grupo Ultra, un des plus grans conglomérats et qui a appuyé le coup d’état de 1964 au Brésil. (Quem financia os protestos do dia 13?)

John Templeton Foundation  a versé plus d’un million de dollars au mouvement étasunien Students for Liberty.

2. Le Mouvement Brésil Libre

L’étudiant fondateur du Mouvement Brésil Libre (Movimento Brasil Livre), Kim Kataguiri, aurait reçu l’appui d’organisation comme Atlas et  Students for Liberty. Des dons d’organisations étrangères auraient également été faite au MBL. Le mouvement MBL, tout comme le MEL (ou Students for Liberty), est financé en grande partie par les Koch Brother, magnats du pétrole étasunien, et formé par le groupe Atlas aux États-Unis, financé par des hommes d’affaire. Ce lien avec l’industrie Koch a créé des rumeurs voulant que le mouvement aide à déstabiliser la pétrolière brésilienne, Petrobras, elle-même accusée de corruption. En 2013 , May Vivian, leader de l’époque du PML, affirmait avoir reçu des ressources des organisations Atlas et Students for Liberty, deux organisations créées aux États-Unis et appuyés par des fondations de droite aux États-Unis.

Kim Kataguiri leader de la jeunesse conservatrice du Brésil

(Photo : Fernando Conrado / Democratize)

Ici Kim Kataguiri aux côtés du méga homme d’affaire brésilien, Jorge Gerau, président du conseil administratif du Goupe Gerdo qui a perdu son poste au Conseil d’administration de Petrobras en avril 2014.

3. Mouvement Vem pra Rua (Viens dans la rue)

Le Mouvement « Vem pra Rua » (vemprarua.org.br) est principalement financé par la Fondation d’Études (Fundação Estudar) appartenant à Jorge Paulo Leman, un des plus riches brésiliens propriétaire de l’industrie de la bière, partenaire de la brasserie AmBev et il est propriétaire de la franchise du fast food étasunien Burger King.

Ce mouvement a été créé en septembre 2013 et il est vite passé de 20 à 300000 milles amis Facebook.(http://brasil.elpais.com/brasil/2015/03/13/politica/1426285527_427203.html)

Ce mouvement essaie de se donner une image qui défend une idéologie moderne et progressiste, mais en réalité c’est un mouvement conservateur et néolibéral. Ils sont pour la privatisation de l’éducation et la santé.

Another of the leading groups, Students For Liberty (EPL) – working together with the MBL – is the Brazilian associate of an organization with the same name in the U.S., also financed by the Koch Brothers. Furthermore, investment banker Hélio Beltrão Filho, the national head of EPL, inherited shares in Grupo Ultra, one of Brazil’s largest holdings. Grupo Ultra provided logistic and financial support to the right-wing military coup in 1964.

Fabio Ostermann and Juliano Torres, two of MBL leaders, were educated in the Atlas Leadership Academy, linked to the Atlas Economic Research Foundation, financed by the notorious U.S. businessmen the Koch Brothers.

http://www.telesurtv.net/english/analysis/Are-the-Koch-Brothers-Behind-Brazils-Anti-Dilma-March-20150313-0001.html (souligné par l’auteure)

Le groupe Révoltés en Ligne (Revoltados On Line) « Made in Brazil » 

Marcello Reis, um dos líderes do Revoltados On Line. / A.B.

Source : O Comercio do Impeachment, 10 mars 2016

En somme, l’ensemble des leaders de ces mouvements sont en faveur du néolibéralisme, de la privatisation des services (santé, éducation) et celles des sociétés d’État comme la pétrolière nationale Petrobras. Un autre point commun important: « on ne veut pas d’un autre Venezuela » (se référant au gouvernement de Maduro et son prédécesseur, l’ex-président Hugo Chavez). « On ne veut pas d’une ‘terroriste’ comme chef d’état. » Marcello Reis, fondateur du groupe des Révoltés en Ligne (Revoltados on Line) prétend que « Dilma Rousseff déteste le Brésil et que malheureusement c’est une terroriste qui gouverne le pays.  » (“Dima Rousseff odeia o Brasil, é uma terrorista que infelizmente está no poder nesse país”.) 700 000 personnes suivent ce mouvement qui veut bannir le pétisme (parti PT) et « le boliviarisme » au Brésil (“banir o petismo e o bolivarianismo no país”). Ce leader est l’exemple de ceux qui croit que seul un coup d’état militaire permettrait d’en finir avec ce gouvernement « corrompu »… donnant l’exemple du militaire Jair Bolsonaro également connu pour ses positions d’extrême-droite et ses propos anti-homosexuel.

Brésil « Que país é esse? », « Quel est ce pays? » La « révolution de couleur » à la brésilienne se poursuit…!

 Micheline Ladouceur



Articles Par : Micheline Ladouceur

A propos :

Ph.D. en géographie. Spécialiste des questions latino-américaines et brésiliennes. Vice-présidente du Centre de recherche sur la Mondialisation, Rédactrice de Mondialisation.ca et des pages en portugais et en italien.

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