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«S’il n’y a pas de guerre, il faut la mettre en scène»
Par DRS
Mondialisation.ca, 14 novembre 2007
Horizons et débats, no 44 14 novembre 2007
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«Les soldats d’élite suisses n’ont pas la vie facile: aucun ennemi à l’horizon. S’il n’y a pas de guerre, il faut la mettre en scène. Voilà ce que se sont sans doute dit les chefs de l’Armée avant de commencer à jouer à la guerre.» C’est par ces mots que la présentatrice de l’émission «Rundschau» de la Télévision suisse alémanique DRS 1 a introduit le 24 octobre un reportage filmé sur des manœuvres en cours dans le canton du Jura. Voici le scénario: L’ennemi vient d’occuper la partie vaudoise du Jura et il s’agit de la reconquérir. «Deux jours d’état de guerre en Suisse romande, 140 équipes de soldats à la conquête de la gloire et de l’honneur», dixit la présentatrice.

Des manœuvres de l’armée au cours desquelles différents scénarios sont mis à l’épreuve n’ont rien d’extraordinaire; elles sont justifiées du point de vue militaire. Pourtant ces manœuvres-là sont en totale contradiction avec la stratégie du conseiller fédéral Schmid et de son Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des Sports (DDPS). Les propos de la journaliste constatant «l’absence de tout ennemi» ne sont que l’écho de conceptions chères au DDPS depuis des années, qui légitiment les réformes de l’armée réalisées à un train d’enfer: la réduction des effectifs, la nouvelle stratégie selon laquelle la défense du pays n’est plus conçue comme la défense du territoire mais celle d’un espace qui dépasse de loin les frontières du pays et qui part de l’idée que nous sommes entourés d’amis avec qui nous serons capables, grâce à l’interopérabilité, de nous défendre contre l’ennemi.
A quoi bon alors ces manoeuvres? Quel est le véritable but de l’entraînement et où va-t-on mettre en pratique les nouvelles connais­sances? La suite du reportage a de quoi éveiller l’attention. Ce n’est pas seulement l’Armée suisse qui se bat, mais … «cette équipe britannique a déjà fait la guerre. Ces soldats font partie d’une unité de la Royal Air Force». Interviewé, un jeune soldat britannique raconte qu’il a été engagé en Afghanistan: il devait surveiller l’aéroport de Kandahar. L’épisode suisse est pour lui un changement agréable par rapport aux interventions armées en Afghanistan et en Irak. Grey Adkins, un officier, déclare ensuite qu’il a déjà «tout» vécu mais qu’il n’est pas autorisé à révéler les détails. On s’habitue à la menace d’être la cible de tirs. Il termine en disant avec le sourire que cela «fait partie du quotidien».

Ensuite, de nouvelles scènes des manœuvres passent à l’écran. Les Britanniques doivent préparer une embuscade pour le passage d’un convoi ennemi. Pas de problème, puisqu’«ils ont déjà fait cela lors de la vraie guerre […]. La routine des Britanniques se révèle payante», précise le commentateur. Si l’équipe britannique n’a pourtant pas été la meilleure de cette compétition, c‘est peut-être dû à la lassitude des soldats qui venaient d’Afghanistan et allaient y être de nouveau déployés. Peut-être aussi qu’ils étaient dés­avantagés par le fait de ne pas connaître le terrain. Mais on y a remédié entre-temps. Le reportage se termine sur la remarque que l’équipe est sur le point d’être transportée à Bassora, en Irak, pour sa prochaine intervention.

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On n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles. Des forces armées engagées dans des guerres contraires au droit international s’offrent une «diversion bienvenue» en Suisse. Peu importe au commandement de l’Armée si ces forces sont britanniques, allemandes, américaines, israéliennes, hollandaises ou autres. L’OTAN aussi bien que d’autres armées sont les bienvenues au DPPS, même si les soldats arrivent directement d’un champ de bataille pour participer, après leur séjour dans les Alpes suisses ou dans le Jura, au prochain carnage. Ainsi la Suisse devient complice de puissances impérialistes et perd de plus en plus de sa crédibilité. Personne ne devait savoir que des armées étrangères ne cessaient pas de défiler à Andermatt et ce n’est que la catastrophe de la Jungfrau et le crash du Tornado allemand au bout de la vallée de Lauterbrunnen qui nous ont fait dresser l’oreille. Les enquêtes de journalistes ont révélé de plus en plus de détails. Quel est le but véritable de la formation de nos recrues? Des engagements dans le monde entier à la remorque de l’OTAN? De quoi s’occupe le détachement 10? Où ces soldats s’entraînent-ils en vue de leurs interventions prévues dans des zones de conflit? Par qui et où sont-ils formés? On se demande quel sale jeu on est en train de jouer, loin de tout contrôle démocratique, quand on sait que ce que fait cette troupe doit pour l’essentiel rester secret?

Le commandant de la formation des troupes de montagne Franz Nager a avoué lors d’une interview au quotidien «Blick» que des soldats étrangers s’entrainaient à Andermatt lors de plus de 50 cours par an. On peut exclure qu’il s’agit là d’activités de loisir. Ce sont bel et bien des préparatifs pour la prochaine intervention. Les guerres en Afghanistan et en Irak sont contraires au droit international et enfreignent la Charte de l’ONU. Pourquoi le DPPS, dirigé par Samuel Schmid, se fait-il le complice de criminels de guerre? Ce que la Suisse a réussi à faire pendant le Troisième Reich dans des circonstances beaucoup plus difficiles – elle était cernée par les pouvoirs de l’Axe – c’est-à-dire à survivre en tant qu’Etat neutre, doit être possible aujourd’hui aussi. Sinon comment expliquerons-nous à nos petits-enfants que la Suisse s’est faite la complice de l’alliance belliciste Royaume-Uni/USA/RFA dans le carnage de civils? 

Source: DRS 1, Rundschau du 24/10/07

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