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Syrie : L’ONU « incapable » de vérifier les violations de l’Armée syrienne libre
Par Julie Lévesque
Mondialisation.ca, 01 mars 2012
1 mars 2012
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Le dernier rapport de l’ONU sur la Syrie publié par la Commission d’enquête a poussé le Conseil des droits de l’homme à tenir le 28 février un débat urgent sur la question.

Selon un communiqué de presse de l’ONU :

Le Président de l’Assemblée générale [Nassir Abdulaziz Al-Nasser] a relevé que le rapport de la Commission d’enquête présente une situation désastreuse et indique que le «Gouvernement syrien a failli à son obligation de protéger sa population civile» […] Ses forces se sont livrées des violations grossières des droits de l’homme. (Conseil des droits de l’homme, Le Conseil des droits de l’homme tient un débat urgent sur la situation en Syrie, 28 février 2012)

La Commission d’enquête a cependant basé en grande partie son évaluation de la situation en Syrie sur des témoignages d’opposants recueillis à l’extérieur de la Syrie. Le rapport est par ailleurs contradictoire. Il affirme que les violations commises par les forces syriennes sont plus importantes que celles commises par les « groupes antigouvernementaux », tout en admettant que le « manque d’accès au pays […] a rendu problématique la documentation des abus commis par les groupes armés antigouvernementaux et les opposants […] »

Le gouvernement a manifestement failli à son obligation de protéger sa population civile. Depuis novembre 2011, ses forces se sont livrées à davantage de violations grossières et systématiques des droits humains. Les groupes antigouvernementaux ont eux aussi commis des abus, dont l’ampleur et l’organisation ne sont toutefois pas comparables à ceux commis par l’État. (Conseil des droits de l’homme, Report of the independent international commission of inquiry on the Syrian Arab Republic, 22 février 2012, p.1)

La commission a entrepris de montrer les violations et abus commis par toutes les parties. Toutefois, le manque d’accès au pays a rendue problématique la documentation des abus commis par les groupes armés antigouvernementaux et les opposants, puisque la plupart des victimes et des témoins de ces abus sont demeurés dans le pays et que le gouvernement n’a pas facilité les entrevues avec les victimes de violence de la part des groupes armés durant la période considérée. (Ibid., p.5)

Après son premier rapport, la commission a interrogé d’autres victimes et témoins de violations, des déserteurs et d’autres individus possédant des renseignements privilégiés pertinents. Du 9 au 25 janvier 2012, la commission s’est rendue dans plusieurs pays afin de recueillir des témoignages en personne de gens ayant récemment fui la République arabe syrienne. (Ibid., p.6)

Concernant l’ensemble de preuves recueilli, le rapport mentionne que « la commission a appliqué la norme de preuve utilisée dans son premier rapport ». Celle-ci est basée sur « le doute raisonnable ».

Plus important encore, le rapport dit :

Afin de remplir son second mandat (« identifier les responsables ») la commission a considéré qu’un ensemble de documents fiables devait être accumulé afin d’indiquer quels individus pouvaient être responsables de violations des droits humains. La commission a reçu des informations quant à la responsabilité présumée d’un certain nombre de personnes pour des violations commises dans la République arabe syrienne de mars 2011 jusqu’au moment d’écrire ce rapport.

La commission n’a pas appliqué droit international humanitaire pour les besoins du rapport et la période couverte. Le droit international humanitaire est applicable si la situation peut être qualifiée de conflit armé, ce qui dépend de l’intensité de la violence et du niveau d’organisation des parties. Bien que la commission craigne sérieusement que la violence dans certains endroits ait atteint le niveau requis d’intensité, elle a été incapable de vérifier si l’Armée syrienne libre, les groupes locaux s’identifiant comme tel ou les autres groupes armés antigouvernementaux avaient atteint le niveau d’organisation nécessaire. (Ibid.)

Les auteurs du rapport de l’ONU accusent le gouvernement syrien d’avoir commis plus de violations que les groupes armés et/ou l’Armée syrienne libre (ASL), tout en admettant leur « manque d’accès au pays », leur incapacité d’évaluer l’importance de l’ASL et leur accès restreint aux témoignages de leurs victimes. Si les enquêteurs ont été incapables d’évaluer l’importance des violations de la FSA, comment peuvent-ils affirmer que celles du gouvernement étaient de bien plus grande ampleur?

Les enquêteurs affirment avoir tenu compte du rapport du 22 janvier 2012 de la Ligue des États arabes. Les observateurs de cette mission, qui, eux, ont eu accès au pays, ont noté ce qui suit :

À Homs et Dara la mission a observé des groupes armés commettant des actes de violence contre les forces gouvernementales ayant provoqué des décès et des blessures dans leurs rangs. Dans certaines situations, les forces gouvernementales ont répliqué par la force aux attaques contre leur personnel.

À Homs, Idlib et Hama, la mission d’observation a été témoin d’actes de violence contre des forces gouvernementales et des civils ayant entraîné plusieurs décès et blessures. On peut citer par exemple l’attaque à la bombe d’un autobus publique ayant fait huit morts et des blessés, incluant des femmes et des enfants, ainsi que l’attaque à la bombe d’un train transportant du diesel. Lors d’un autre incident à Homs, deux policiers ont trouvé la mort dans l’explosion d’un autobus de la police. Des attaques à la bombe ont par ailleurs ciblé un oléoduc et de petits ponts.

Selon ses équipes sur le terrain, la mission a également noté que les médias exagéraient la nature des incidents et le nombre de personnes tuées dans les incidents et les manifestations dans certaines villes. (Mission d’observation en Syrie de la Ligue des États arabes Report of the Head of the League of Arab States Observer Mission to Syria for the period from 24 December 2011 to 18 January 2012, 27 janvier 2012.)

Toutefois, ces observations ne font pas partie du discours de l’ONU et des médias sur la Syrie. Les représentants de l’ONU et les médias dominants minimisent ou ignorent le rôle des groupes armés et de l’Armée syrienne libre.

Un reportage du Haaretz montre que même si les groupes armés ont commis des violations des droits humains, ceux-ci ne sont pas mentionnés :

[La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Navi] Pillay, a dit que la communauté internationale doit agir pour empêcher les forces de sécurité syriennes de continuer leurs attaques contre des civils, lesquelles ont entraîné, dit-elle, « d’innombrables atrocités » […]

Mme Pillay a cité le rapport d’un groupe d’experts de l’ONU publié la semaine dernière et concluant que des représentants officiels du gouvernement  syrien étaient responsables de « crimes contre l’humanité » commis par les forces de sécurité contre des membres de l’opposition. Les crimes comprennent le bombardement de civils, l’exécution de déserteurs et la torture de détenus. Certains groupes d’opposition ont aussi commis des abus, affirme le rapport […]

Mme Pillay a réitéré sa demande de référer la Syrie à la Cour pénale internationale « en raison des violations épouvantables qui ont lieu à tout moment ». (Reuters, The Associated Press and DPA UN human rights chief: Some 500 children killed in Syria violence, Haaretz, 28 février 2012.)

Lors du débat le 28 février, les États-Unis ont réclamé, sous couvert d’humanisme, une intervention militaire et un « changement de régime », blâmant « Assad et sa cohorte meurtrière » :

Les États-Unis demandent que le gouvernement Assad cesse ses crimes atroces contre le peuple syrien, le retrait de toutes les forces de sécurité et un accès humanitaire immédiat […] Bachar Al-Assad doit partir. (Conseil des droits de l’homme, Human Rights Council holds urgent debate on Human Rights and humanitarian situation in Syria, 28 février 2012)

Il convient de noter que le nombre d’Irakiens décédés suite à l’invasion illégale de l’Irak par les États-Unis se chiffre à près de 1,5 million. Les crimes commis sont donc de « bien plus grande ampleur » que ceux attribués à « Assad et sa cohorte meurtrière ». Pourtant, dans les neuf dernières années, l’ONU a gardé le silence sur ces « innombrables atrocités » et ces « crimes contre l’humanité » documentés.

De plus, alors que l’ONU s’appuie sur des témoignages d’opposants recueillis surtout hors de la Syrie et ne fournit pas de chiffres précis, le gouvernement syrien a fourni un compte-rendu détaillé des pertes humaines. Là encore, ces informations sont minimisées bien qu’elles soient plus précises que les témoignages et approximations de l’ONU.

Le gouvernement syrien a fourni ses propres chiffres au Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme : 2,493 civils et 1,345 soldats et policiers tués entre le 15 mars 2011 and 18 janvier 2012 (un total de 3,838 décès). Il est possible que le nombre exact de pertes humaines soit largement supérieur. Même si les manifestations sont demeurées considérablement pacifiques, les reportages d’attaques armées par des combattants antigouvernementaux contre les forces syriennes ont augmenté, ayant également davantage de conséquences sur les civils. (Ibid.)

Le rapport de l’ONU et les reportages des médias accusent les autorités syriennes de crimes contre l’humanité sans détenir beaucoup de preuves factuelles. Ils accordent plus de crédibilité à des témoignages de l’opposition souvent impossibles à vérifier qu’à des données précises fournies par les autorités, tout en ignorant le rôle des groupes armés dans le meurtre de civils et des forces de l’ordre et persistent à parler de « manifestations pacifiques ». En outre, l’ONU affirme que le gouvernement syrien a « manifestement failli à son obligation de protéger sa population civile », mais n’aborde pas de manière adéquate la question des groupes armés appuyés et financés par d’autres États qui demandent la résignation d’Al Assad.

Comme ce fut le cas avec l’opposition libyenne, les États-Unis montrent qu’ils ont deux poids deux mesures dans la « guerre au terrorisme ». Alors qu’ils demandent à Al Assad de démissionner, ils admettent que l’opposition est appuyée par des organisations terroristes comme Al Qaeda et ferment les yeux sur leurs crimes à l’endroit du peuple syrien.

Julie Lévesque

Julie Lévesque est journaliste et chercheur au Centre de recherche sur la Mondialisation.

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