Témoignage en SYRIE : Une lettre d’un prêtre résidant à Homs

« Ma maison n'est plus ma maison et mes voisins ne sont plus mes voisins »

Voici une lettre adressée, le 15 mars 2012, par un prêtre jésuite résidant à Homs à un de ses confrères en Belgique. Cette lettre relate le quotidien dans le quartier chrétien de Homs occupé par des opposants armés.

MA MAISON N’EST PLUS MA MAISON
ET MES VOISINS NE SONT PLUS MES VOISINS

À Homs, les quartiers de Bustan el-Diwan, el-Hamidiyyé et el-Arzoun, appelés « la région chrétienne », se sont vidés de leurs habitants. Ceux-ci les ont abandonnés après avoir vécu une bataille sanglante. Ils ont préféré partir vers les montagnes environnantes ou des villes plus éloignées, à la recherche de la tranquillité après une semaine de terreur à la fin du mois de février.

Dans notre quartier de Bustan el-Diwan, il ne reste que nous pour garder notre Résidence et les maisons de ceux qui sont partis. Les nuits se passent sans que nous entendions les querelles des voisins ou les cris des passants et les chuchotements des enfants. Les écoles ont cessé les classes et les magasins ont fermé leurs portes, quant aux églises, les prêtres les ont délaissées, confiant leur garde aux laïcs.

La vue des maisons, des rues, des magasins, des églises et des mosquées fait peur ; pas un seul endroit qui ait été épargné des balles et de la destruction : les lignes d’électricité et de téléphones sont coupées, les conduites d’eau détruites, les réservoirs de mazout et d’eau éventrés. Notre Résidence aussi n’est pas étrangère à tout cela. Trois balles sont entrées par la fenêtre de la chambre du P. Frans van der Lugt alors qu’il était dans la salle de l’ordinateur : c’est ce qui l’a sauvé. Une balle perdue est entrée par la fenêtre de ma chambre et s’est dirigée vers le lit où je dormais, et j’ai été sauvé par le radiateur à huile qui se trouvait à côté de mon lit et qui l’a arrêtée. Notre maison n’est plus en sécurité, notre quartier et notre ville non plus.

J’avais terminé ma dernière lettre avec la crainte de devoir dire : « Mon Dieu, il ne reste plus que nous ! » Or c’est bien notre situation depuis trois semaines. Il ne reste avec nous que les pierres qui attendent le retour des êtres humains.

La situation a empiré au début de ce mois, quand beaucoup de nos concitoyens sunnites ont abandonné leurs quartiers au sud de Homs et se sont dirigés vers les « quartiers chrétiens ». Comme la plupart des maisons étaient vides, abandonnées par leurs habitants, les nouveaux arrivants n’avaient qu’à entrer et s’y installer, cherchant un refuge qui les protège du froid glacial de l’hiver de cette année. Des femmes, des enfants, des jeunes et des vieux de toutes les classes sociales sont arrivés dans des camionnettes, qui les ont déchargés pour aller en chercher d’autres.

Cela a poussé certains chrétiens à revenir malgré la situation difficile et le danger réel ; ils ont trouvé que la maison n’était plus à eux et que leurs voisins avaient changé ! Une situation humaine désastreuse dans le vrai sens du terme, qui annonce un changement démographique dans nos quartiers et un conflit qui nous avait été épargné jusque-là. À qui s’adresser dans une situation pareille pour avoir un jugement équitable et une décision qui permette aux gens de s’orienter. Qui pourra rendre à chacun son dû. Il n’y a plus ni agents de sécurité, ni représentants de l’État, les membres du clergé et les cheikhs ne sont plus capables de jouer un rôle de médiateurs. Bref, il n’y a plus aucune référence judiciaire ou civile pour juger les affaires des gens.

Nous avons essayé, dans notre Résidence, d’offrir une aide humanitaire à tous sans discrimination, mais la situation est extrêmement difficile. Comme jésuites, nous avons décidé d’aider soixante familles parmi les plus nécessiteuses et les plus touchées, mais au bout d’un certain temps le nombre à atteint les cinq cents familles, et aujourd’hui ils sont des milliers. Et ce ne sont pas des chiffres imaginaires. En effet, beaucoup ont perdu leur travail et leur gagne pain, et beaucoup ont quitté la ville pour sauver leurs vies et leurs familles. Les demandes d’aide ont augmenté et notre situation est devenue très pénible. Car l’insécurité ne permet ni de visiter les gens, ni de transporter la nourriture ou les produits de première nécessité.

La situation économique n’aide pas à répondre aux besoins. Il est, par exemple, très difficile de se procurer les médicaments pour beaucoup de malades : les cardiaques, les diabétiques, etc. En outre, toutes les cliniques et les pharmacies dans nos quartiers ont fermé leurs portes. Les demandes augmentent chaque jour et chaque jour le nombre de ceux qui fuient leur quartier augmente. L’impossibilité pour les associations humanitaires d’entrer dans la ville de Homs ne fait qu’empirer les choses. En effet, ni ils peuvent nous aider, ni nous faciliter la tâche pour faire parvenir les aides. Chacun veut travailler pour son propre compte ce qui rend la situation encore plus compliquée et augmente toujours plus l’anxiété des gens. Même comme Églises nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur l’organisation de la distribution des aides humanitaires, chacun faisant à sa guise. Et l’absence des évêques n’aide pas à parvenir à un accord clair.

Homs ne peux plus accueillir ses visiteurs comme autrefois, avec joie et de grand coeur. Désormais c’est au bruit des balles, les sacs de sable et les chars, des armes aux mains de beaucoup d’adultes et même d’enfants qu’elle les accueille. Elle les accueille aussi avec les sacs de poubelles qui envahissent les rues et les quartiers. Entrer et sortir de la ville est devenu une aventure risquée. Chacun veut être seul vainqueur, d’une bataille dans laquelle le pays perd ses enfants. Seul l’ange de la mort est vainqueur et les tombes seulement se sont enrichies de nouveaux habitants au bout des ces mois difficiles.

Les opinions des gens concernant les événements divergent, selon le point de vue de chacun, ou plutôt selon son intérêt et l’intérêt de ceux qui lui sont proches. Chacun proclame « la nation c’est moi », et chacun est convaincu qu’il a raison. Les habitants de Damas et d’Alep se contentent de regarder ce qui arrive, attendant la fin ou la solution ou au moins le projet d’une solution. Ils ont peur de l’inconnu qui mènera le pays vers un abîme encore plus profond.

La situation économique empire jour après jour, et les prix explosent. Le prix d’un kilo de sucre dépend du prix du dollar américain : il monte ou descend selon que le dollar monte ou descend. Ce dernier mois le taux de change du dollar a atteint les 100 livres syriennes. Cela a affolé les commerçants et a augmenté le désespoir des gens.

Quant au domaine politique, ni nos hommes politiques ont un projet qui allège les préoccupations de nos compatriotes, ni les pays voisins ou le monde ne sont pas capables de nous annoncer une solution prochaine de la crise. Les perspectives de paix sont devenues aussi lointaines que les oiseaux du ciel qui nous ont quittés cette année à cause du sifflement des balles qui volent au ciel dans tous les sens. Et les médias, avec leurs chaînes TV et leurs journaux sont devenus des agents instigateurs d’un parti contre un autre. Il n’y plus d’objectivité et la vérité a déserté l’image, l’écriture et la voix.

Malgré tout cela nous continuons comme jésuites à travailler chacun selon ses responsabilités et sa mission. Nous faisons tout notre possible pour alléger les souffrances des gens et les aider à traverser cette crise. Notre nombre, bien que réduit, ne peut être une excuse ou un obstacle qui nous empêche de faire entendre au monde leurs voix et la nôtre afin que la paix advienne enfin. Ce qui nous amène à nous demander : comment pouvons-nous, du coeur même des événements renverser le cours des événements ? C’est ce que nous cherchons à faire par notre présence dans ce pays, dans cette ville, dans ce quartier et dans notre Résidence, travaillant sans cesse avec tous les partis pour le plus grand bien de l’Homme parce qu’il est à l’image de Celui à qui revient la plus grande gloire.

P. Ziad Hilal, s.j.
le 15 mars 2012



Articles Par : Père Ziad Hilal

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