Ted Kennedy et la décadence du libéralisme américain

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Le décès mardi du sénateur du Massachusetts Edward (Ted) Kennedy marque la fin du rôle de la famille Kennedy en tant que force importante dans la politique américaine. Ted Kennedy, qui a succombé à un cancer du cerveau à l’âge de 77 ans, a servi durant 47 ans au Sénat. Il fut le dernier représentant politique majeur d’une famille qui a pesé lourdement dans la conscience politique américaine durant plus d’un demi-siècle.

Ted Kennedy est décédé 46 ans après les horribles événements à Dallas qui mirent fin à l’administration et à la vie de son frère, John F. Kennedy, et 41 ans après l’assassinat de son autre frère, Robert F. Kennedy. (Joe Jr., le frère aîné, était pilote de la marine lors de la Seconde Guerre mondiale. Il fut tué lorsque son avion explosa en août 1944.)

Les carrières politiques des Kennedy se sont étendues sur toute la période d’après-guerre. Leurs tragédies personnelles sont intimement liées au maelström de la politique américaine et du caractère explosif des relations de classe aux Etats-Unis. Les assassinats de John et Robert Kennedy n’ont pas que dévasté la famille Kennedy ; ils marquèrent la fin de toute une période du libéralisme américain.

John F. Kennedy représentait, dans toutes ses contradictions, le Parti démocrate tel qu’il avait émergé du New Deal de Roosevelt. Il fut élu à la Chambre des représentants des Etats-Unis dans la 11e circonscription du Massachusetts en 1946 et au Sénat américain en 1952. Il arriva au Congrès un an seulement après la mort de Roosevelt et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son père, Joseph Kennedy, un homme d’affaires millionnaire, avait servi dans l’administration Roosevelt.

Lorsque Kennedy débuta sa carrière politique, le libéralisme américain s’était déjà profondément compromis par son association avec l’impérialisme américain et son adhésion à l’anticommunisme. Son déclin fut masqué durant un temps par les immenses ressources du capitalisme américain qui permirent au Parti démocrate de faire certaines concessions à la classe ouvrière. Ces concessions dépendaient quant à elles de l’alliance avec la bureaucratie ouvrière de droite.

Les Etats-Unis émergèrent de la Seconde Guerre mondiale en tant que puissance impérialiste mondiale dominante. Le libéralisme américain adopta la technique consistant à combiner une rhétorique idéaliste à une collaboration aux interventions criminelles du département d’Etat, de la CIA et de l’armée dirigées contre la classe ouvrière internationale.

Alors même qu’il se présentait comme le défenseur mondial de la démocratie et de la liberté, les succès électoraux du Parti démocrate dépendaient de son contrôle du Sud, qui était basé sur la défense de l’apartheid racial dans la majeure partie des Etats-Unis.

Ces contradictions ont joué un rôle majeur dans la crise grandissante qui a assailli l’administration Kennedy et celle son successeur, Lyndon B. Johnson, dont le programme de réforme sociale de la Grande Société s’est effondré sous le poids de la guerre désastreuse au Vietnam et des problèmes économiques liés à l’essoufflement du boum économique d’après-guerre.

La carrière politique de John Kennedy s’est étendue sur une période allant des jours les plus heureux de la domination américaine mondiale jusqu’au début de l’effondrement de cette domination. Kennedy fut élu président en 1960 en tant que libéral de la Guerre froide. À la Maison-Blanche, il tenta de combiner un programme de réformes modéré avec un déploiement plus agressif de la puissance américaine internationalement. Son administration fut rapidement prise dans les contradictions du capitalisme américain autant au pays qu’à l’étranger.

Initialement indifférent aux droits civiques, Kennedy fut entraîné dans les répercussions politiques découlant de la mobilisation de masse des Afro-américains dans le mouvement pour les droits civiques des années 1950 et 1960. Il fut assassiné en novembre 1963.

L’administration Kennedy arriva à son terme alors que les évènements au Vietnam la menaient vers une escalade militaire et une guerre totale, une politique qui fut entreprise par l’administration Johnson.

La campagne présidentielle du frère cadet de Kennedy, Robert, en tant qu’opposant tardif de la guerre du Vietnam a aussi pris fin sous les tirs de fusils en juin 1968. Dans une tournure d’évènements empreinte d’ironie historique, la mort de Robert a pavé la voie à Richard Nixon, qui s’était vu refuser la présidence par John Kennedy en 1960, et son accession à la Maison-Blanche huit ans plus tard.

La venue au pouvoir de Nixon fut un point tournant pour le libéralisme américain. Elle marqua la fin d’une période où le Parti démocrate représentait une force pour des réformes sociales mêmes limitées.

Edward Kennedy, le frère benjamin, s’est fait élire au Sénat américain en 1962. Sa carrière politique fut constamment entachée par son insouciance personnelle, qui explosa lors de l’épisode indigne à Chappaquiddick en juillet 1969, qui avait causé la mort d’une assistante de la campagne de Kennedy. De manière plus importante, cependant, de vastes changements dans la politique américaine et dans le Parti démocrate s’accentuèrent dans les années 1970.

Suivant la débâcle de la campagne de McGovern en 1972, le Parti démocrate s’est déplacé fortement vers la droite. À la base de ce développement se trouvaient de profonds changements dans la position économique mondiale du capitalisme américain, indiqués par l’éclatement du système monétaire d’après-guerre de Bretton Woods et la fin de la convertibilité dollar-or en août 1971.

 En 1976, le Parti démocrate a choisi Jimmy Carter, un gouverneur conservateur du Sud, pour devenir son candidat présidentiel. Les rapports difficiles entre Carter et Kennedy se sont complétés enrayés à la fin des années 1970, ce qui a amené Kennedy à tenter de remplacer Carter et à obtenir la nomination présidentielle démocrate en 1980. A cette époque, Kennedy lui-même était devenu plus conservateur, comme le montre le soutien qu’il a donné fort et haut à la déréglementation de l’industrie aérienne et du transport par camion.

Le Parti démocrate, ce qui souligne son tournant vers la droite, a rejeté Kennedy. Son discours — « le rêve ne doit jamais mourir » — auquel il est souvent fait référence a été prononcé devant les délégués du congrès de nomination du Parti démocrate en 1980. Il a été le champ du cygne du libéralisme américain. A cette époque, le programme du libéralisme américain était déjà creux depuis longtemps. Ayant perdu toute substance politique, il devenait de plus en plus démagogique.

Après la campagne électorale sans conviction de l’ancien vice-président américain et gouverneur du Minnesota, Walter Mondale, en 1984, les démocrates se sont tournés en 1988 vers un gouverneur conservateur peu connu, Michael Dukakis et en 1992 vers un gouverneur conservateur du sud, Biil Clinton.

Après 1980, il n’est resté à Kennedy que bien peu de son dévouement aux réformes sociales, malgré que l’homme soit devenu la cible perpétuelle des attaques des républicains de droite qui l’ont démonisé pour être un libéral non repentant. Depuis lors, Kennedy est devenu ce que l’on pourrait qualifier de minimaliste politique, évitant toute tentative sérieuse de réaliser une importante réforme sociale.

L’establishment politique américain considéré dans son ensemble avait beaucoup tourné vers la droite, comme le montrent les potions favorisant le libre marché de Ronald Reagan. Elles furent utilisées pour justifier un assaut incessant contre le niveau de vie et la position sociale de la classe ouvrière, assaut qui a continué sous les administrations Clinton et Bush et, encore à ce jour, sous l’administration Obama.

Après sa mort, Kennedy a été décrit comme le « lion du Sénat », un grand législateur et un représentant de l’homme ordinaire. Alors que les tragédies qu’a connues la famille Kennedy soulevaient une certaine sympathie envers Ted Kennedy au sein de la population en général, le fait demeure que son nom n’est pas associé à une seule réforme sociale d’importance. Il a passé la dernière décennie de sa vie à cautionner des mesures bipartisanes de droite, comme la loi « pas d’enfants oubliés », une attaque sur le système de l’éducation publique de George W. Bush et une loi répressive visant les immigrants sans papiers qui n’a pas obtenu l’aval du Congrès américain.

Kennedy a soutenu Obama lors des élections de 2008, en partie à cause de son animosité envers Bill Clinton, qu’il méprisait en privé. L’ironie de sa vie est montrée par le fait que la cause politique à laquelle il est le plus identifié, une cause qu’il a promue pendant près de 50 ans, le système de santé public universel, a été transformée par Obama en une couverture pour une campagne sans pitié pour vider de toute substance la couverture médicale pour des millions d’Américains. Une loi qui veut diminuer les coûts de la santé pour les grandes entreprises et le gouvernement était débattue sur le plancher du Congrès américain au moment même où Kennedy reposait dans son cercueil.

Article original en anglais, WSWS, paru le 27 août 2009.



Articles Par : Barry Grey

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