Tensions aiguës entre l’armée américaine et le premier ministre irakien

Les relations sont quasiment rompues entre le général David Petraeus, commandant militaire de l’armée américaine en Irak, et le premier ministre irakien, Nouri al-maliki. Depuis plus d’un bon mois, il y a fuite de rumeurs de disputes féroces entre les deux hommes. Selon des politiciens irakiens qui ont parlé le week-end dernier à Associated Press, les tensions sont telles que Maliki a dit à Petraeus : « Je ne peux plus négocier avec vous. Je vais demander à ce qu’on vous remplace. »

La raison de cette animosité est l’opposition du premier ministre chiite à l’une des tactiques clé du général pour tenter de refréner les insurrections principalement arabes sunnites organisées contre l’armée américaine et le gouvernement fantoche soutenu par les Etats-Unis à Bagdad. Petraeus a encouragé ses subordonnés à proposer une amnistie, de l’argent et le pouvoir politique local aux combattants de la guérilla sunnite et aux combattants tribaux qui acceptent de renoncer à la résistance à l’occupation américaine.

Maliki voit dans les amnisties aux insurgés sunnites une menace mortelle à l’encontre de son gouvernement. Les groupements sunnites impliqués ne cachent pas leur hostilité à l’égard des partis chiites. La plupart d’entre eux sont constitués d’anciens membres nationalistes arabes ou sympathisants du Parti Baas de Saddam Hussein dont le gros du soutien découle de la population sunnite. Ils considèrent les organisations fondamentalistes chiites qui dominent le régime de Bagdad soutenu par les Américains, tel le Parti Da’wa de Maliki et le Conseil suprême islamique en Irak (SCII) comme rien moins que des agents de l’Iran voisin.

Maliki et l’establishment chiite irakien s’inquiètent et s’agitent de plus en plus tandis que Petraeus avance son plan. A l’origine, cette politique avait commencé comme une tentative pragmatique de réduire les attaques à l’encontre des troupes américaines dans la province occidentale explosive d’Al Anbar. Un contrôle effectif sur la ville irakienne de Ramadi fut accordé à un conseil tribal sunnite en contrepartie de l’aide apportée aux opérations américaines contre des insurgés encore plus durs, et que l’armée américaine qualifie comme étant « d’Al Qaïda ».

Les ouvertures faites aux tribus et aux groupes de résistance sunnites se sont faites depuis à une plus grande échelle. Des accords sont conclus avec des groupes des banlieues de Bagdad et des régions à majorité sunnite des alentours des provinces de Diyala, Saladhuddin et de Babil. Des milliers d’hommes qui ont probablement combattu les troupes américaines et les troupes gouvernementales irakiennes à un moment ou à un autre au cours des quatre dernières années sont à présent payés par les officiers américains pour faire fonction de « vigiles de proximité », de « police provisoire » ou d’« unités de réaction d’urgence ».

En procédant de la sorte, l’armée américaine a fait peu cas des craintes du gouvernement irakien, en tournant en dérision les affirmations de la Maison Blanche selon lesquelles Maliki dirige un gouvernement démocratiquement élu et un Etat souverain. La réalité est que Maliki est totalement impuissant à empêcher que Petraeus ne remette de vastes régions du pays entre les mains des forces sunnites qui rejettent son autorité et qui sont engagées à renverser son régime. Ses objections ont été balayées à grands cris par le général américain et repoussées d’emblée par le gouvernement Bush.

Des tensions sectaires entre Sunnites et Chiites qui ont déjà causé la mort de milliers de personnes et qui ont poussé des centaines de milliers d’Irakiens à quitter leurs maisons sont à présent attisées en conséquence. Sami Askari, un assistant de Maliki, a dit la semaine dernière au Los Angeles Times que la politique américaine à l’égard des insurgés sunnites était « le germe de la guerre civile ».

Lors d’une conférence vidéo avec Bush, le mois dernier, le ministre irakien frustré aurait à plusieurs reprises menacé d’armer la milice chiite si Petraeus continuait à aider les opposants sunnites de son gouvernement. La réponse méprisante de Bush fut de dire à Maliki de « se calmer ». L’armée américaine a ordonné aux unités à dominante chiite de se tenir à l’écart des régions où opéraient ses forces sunnites nouvellement recrutées mais des affrontements ont déjà failli avoir lieu. Le New York Times a rapporté le 16 juillet que des troupes américaines avaient fait appel à des hélicoptères armés pour le combat au sol et avaient pointé leurs armes sur des soldats chiites pour empêcher qu’ils ne s’attaquent à d’anciennes guérillas sunnites dans une banlieue de Bagdad.

Au sein du parlement irakien, les partis sunnites ont été encouragés à rompre avec le gouvernement Maliki. Après avoir boycotté le parlement pendant plus d’un mois, le principal bloc sunnite, le Iraqi Accordance Front (IAF), a annoncé mercredi qu’il retirait ses ministres du gouvernement après que Maliki ait rejeté une liste de revendications comprenant onze points. On trouve dans ces points, la revendications d’une influence sunnite plus grande sur les forces de sécurité irakiennes, une purge dans la nouvelle armée irakienne des loyalistes chiites fondamentalistes et la libération de milliers de Sunnites détenus pour avoir, paraît-il, participé ou soutenu l’insurrection anti-occupation. En coulisses, l’IAF s’efforce de former une coalition avec des partis kurdes, avec des formations séculaires et des opposants chiites de Maliki, une alliance qui pourrait potentiellement renverser le gouvernement.

Les motifs américains

La situation devenant chaque jour de plus en plus explosive, les médias américains évitent assidûment d’examiner les contradictions qui entourent les tractations de l’armée américaine avec les tribus sunnites et les mouvements de résistance ou leurs implications plus générales.

Petraeus a affirmé que de telles organisations collaboraient avec ses forces parce qu’elles avaient réalisé que les extrémistes sunnites inspirés par Al Qaïda représentaient un obstacle plus direct à leurs intérêts que l’occupation américaine. Des ex-baasistes et des milices tribales engagées dans une lutte pour le pouvoir avec des groupements sunnites religieux ont accepté de l’argent américain et une aide logistique et militaire dans le but de détruire leurs rivaux.

Le conflit entre les factions sunnites sert à mettre l’accent sur l’absurdité des affirmations américaines selon lesquelles Al Qaïda a été le principal protagoniste durant les quatre années que dure la guerre de guérilla anti-occupation. Le type de réaction islamique d’Al Qaïda est vu avec hostilité par les principales organisation de résistance irakiennes dont la perspective n’est pas la mise en place d’un califat sunnite islamique, comme Bush ne cesse de l’affirmer, mais de se débarrasser de l’occupation américaine. Il n’y a aucune garantie à ce que les alliés sunnites ostensibles de l’armée américaine ne retournent à nouveau leurs armes contre les troupes américaines.

L’attitude de ces factions sunnites dépendra de la poursuite ou non du soutien du gouvernement Bush au gouvernement Maliki qu’elles considèrent être une menace encore plus grande que les extrémistes religieux sunnites. Le général Rick Lynch, l’un des commandants de Petraeus, a rapporté en juin que des chefs de tribus sunnites de la province d’Al Anbar lui disaient carrément : « Nous vous haïssons parce que vous êtes des occupants, mais nous haïssons Al Qaïda encore plus et nous haïssons plus encore les Perses [c’est-à-dire les partis chiites iraniens et irakiens]. »

Le fait que l’occupation américaine facilite la montée des milices sunnites laisse supposer que la Maison Blanche a abandonné son objectif avoué d’établir un gouvernement central fort en Irak et pourrait bien préférer voir le pays se désagréger en régions se faisant la guerre. Du point de vue des objectifs américains de dominer le Proche-Orient et ses ressources, le présent arrangement politique n’est pas tenable. Maliki dirige un régime qui est dominé par les partis fondamentalistes chiites qui sont en désaccord avec des factions rivales sunnites, kurdes et chiites. La conséquence en a été la paralysie du parlement. Le gouvernement de Maliki s’est révélé incapable de faire face à la moindre demande américaine, notamment d’une loi sur le pétrole qui légaliserait l’ouverture de l’industrie pétrolière irakienne aux investisseurs étrangers et sa prise de contrôle.

Une inquiétude d’égale ou plus grande importance pour Washington est le fait que les partis chiites irakiens continuent de maintenir leurs liens politiques de longue date et leurs affinités religieuses avec le régime iranien. Compte tenu du fait que dans la région des Etats dominés par les Sunnites, tels l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Egypte, cachent à peine leur hostilité à l’égard de Maliki et leur sympathie vis-à-vis des insurgés sunnites, l’Iran se présente comme le seul allié régional vers lequel le gouvernement Maliki peut se tourner. Dans une situation où le gouvernement Bush est engagé dans un conflit diplomatique voire peut-être militaire avec Téhéran, des doutes existent au sein des milieux politiques américains quant à la sagesse de laisser l’Etat irakien entre les mains de Maliki. En cas de guerre avec l’Iran, les analystes de l’armée américaine ont exprimé leurs craintes que les troupes américaines et les lignes d’approvisionnement en Irak pourraient être attaquées par la milice chiite ou par des unités chiites de l’armée et de la police armées par les Etats-Unis.

Il est indéniable que de tels calculs se cachent derrière la promotion de la milice chiite tout comme derrière les exigences américaines incessantes pour qu’un rôle plus important soit confié aux personnalités sunnites au sein du gouvernement et des forces de sécurité irakiennes. Petraeus et ses officiers sont en train de rassembler un contrepoids à la force armée chiite alors que la Maison Blanche cherche à cultiver une potentielle alternative à la dominance politique chiite. Ce faisant, les Etats-Unis ne font qu’attiser la guerre sectaire qui a déjà coûté la vie à un grand nombre de personnes et causé une immense destruction.


Article original en anglais paru le 3 août 2007.



Articles Par : James Cogan

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