Terrorisme : Vous ne pouvez pas pointer du doigt l’Arabie Saoudite, sans en pointer 5 vers les USA

Dans cet article, je passe volontairement sur le partenariat entre la CIA, l’Arabie Saoudite et l’ISI pakistanaise visant à aider les Moudjahidins lors de la guerre en Afghanistan et à contrer ainsi l’Union soviétique, et je vais me situer plus près dans le temps, dans les années 90, où des choses très intéressantes se sont passées.

Tout d’abord, jetons un oeil à ce qui a été surnommé l’affaire « Vulgar Betrayal » [« Trahison grossière »(**) en français – NdT]. En 1996, la plus importante enquête gouvernementale américaine sur le financement du terrorisme avant le 11/9 fut lancée. L’enquête reprit les résultats des investigations menées dès 1993 par l’agent du FBI à Chicago, Robert Wright, et ce dernier paraît avoir été le moteur de Vulgar Betrayal. Il dira plus tard : « J’ai surnommé cette affaire « Vulgar Betrayal » à cause des innombrables trahisons que tant de terroristes arabes et leurs soutiens ont commises vis-à-vis des USA, » mais le concernant, ce nom se révèlera ironiquement prémonitoire. Plus d’une douzaine d’agents du FBI travaillèrent sur ce dossier et un grand jury fut nommé pour recueillir les preuves.

Le 3 août 1999, l’agent du FBI à Chicago, Robert Wright, fut brutalement dessaisi du dossier Vulgar Betrayal. Sans lui, c’est enquête tout entière qui battit de l’aile ; elle sera close définitivement l’année suivante. Dans un article du New York Post, on put lire ce commentaire : « La raison officielle était la crainte que le travail de Wright n’entrave la collecte de renseignements du FBI. Mais mes sources n’y croient pas : après des années passées à surveiller ces individus, le personnel du FBI avait sans doute appris tout ce dont ils avaient besoin à leur sujet… et certaines conversations avec des agents du FBI montrent que le travail [de Wright] devenait trop embarrassant pour les Saoudiens. Ce qui est confirmé par le fait que Wright fut dessaisi alors qu’il était sur le point de conclure sur le cas Yassin al-Quadi.(**) »

À la fin des années 1990, George Tenet développa des liens privés directs avec les dirigeants saoudiens. Tenet, nommé directeur de la CIA en 1997, tissa des relations personnelles avec les plus hauts responsables saoudiens, et en particulier avec le prince Bandar (retenez pour la suite), alors ambassadeur saoudien aux USA. Tenet prit l’habitude de se réunir avec Bandar à son domicile près de Washington environ une fois par mois. Plusieurs officiers de la CIA s’occupant du cas de l’Arabie Saoudite vinrent cependant se plaindre de ce que Tenet ne leur disait pas de quoi il discutait avec Bandar. Bien souvent ils avaient vent de ce qui se disait lors de ces réunions à travers les Saoudiens, et non directement par leur propre patron. Tenet nomma également comme chef de l’antenne de la CIA en Arabie Saoudite, un de ses plus proches lieutenants. Cet homme communiquait souvent directement avec lui, et évitait soigneusement de passer par la chaine de commandement. L’Arabie Saoudite bénéficiait apparemment d’un traitement de faveur, à savoir qu’on dissuadait les analystes de la CIA de poser trop de questions dans leurs rapports au sujet des connexions entre l’Arabie Saoudite et les extrémistes islamiques.

En 1996, les USA et l’Arabie Saoudite auraient collaboré pour livrer illégalement des armes aux musulmans bosniaques. Le Washington Post a écrit que le gouvernement saoudien avait dépensé des centaines de millions de dollars pour fournir des armes aux musulmans bosniaques, et que l’administration US était au courant et y avait même participé. Un responsable saoudien qui avait trempé dans cette affaire expliqua que le rôle des USA « était bien plus que de simplement détourner les yeux…, c’était un véritable accord accompagné d’une coopération discrète … Les Américains ont commencé à en avoir connaissance sous la présidence de George Bush (père) et cela s’est énormément intensifié sous Clinton. » Le programme bosniaque a été calqué sur le même modèle que celui de la coopération entre USA et Arabie Saoudite pour financer les Moudjahidins en Afghanistan dans les années 1980.

À partir du 25 juin 1996, il fut demandé aux agents de la CIA de ne plus surveiller les militants en Arabie Saoudite. Après les attentats à la bombe des Tours Khobar, le gouvernement saoudien opposa une fin de non-recevoir à toute enquête sur ce qu’ils savaient des militants radicaux sur leur sol. Les demandes de renseignement officielles sur Ben Laden n’aboutirent à rien et les Saoudiens ne fournirent aucune aide à une enquête américaine sur ces attentats. Mais bien souvent, les USA n’ont même pas posé de questions aux Saoudiens, de peur de se mettre à dos leur gouvernement. D’anciens hauts fonctionnaires américains diront plus tard que même après les attentats à la bombe, la CIA avait demandé à ses officiers travaillant pour l’antenne saoudienne de ne pas collecter d’informations sur les extrémistes islamiques en Arabie Saoudite. On ne sait pas exactement combien de temps cette politique a duré ; certains signes laissent penser que cela a duré jusqu’au 11-Septembre. En août 2001, l’ancien agent de la CIA, Robert Baer, tenta de donner à la CIA les noms de centaines agents d’al-Qaïda opérant en Arabie Saoudite et au Yémen, mais la CIA ne montra aucun intérêt pour cette liste. Quinze des dix-neuf [supposés – NdT] pirates de l’air étaient officiellement de nationalité saoudienne.

Début 2000, le département du Trésor fut stoppé dans sa volonté de geler les avoirs de financiers d’al-Qaïda en Arabie Saoudite. Richard Newcomb (ci-contre), un haut responsable du département  du Trésor, se rendit en Arabie Saoudite avec d’autres hauts fonctionnaires américains, pour tenter de forcer les Saoudiens à mettre fin à leur financement d’al-Qaïda, mais cette action ne donna rien. Il avait pourtant menacé de geler les avoirs de certains individus ou groupes à l’origine du financement d’al-Qaïda si aucune action n’était entreprise, et avait commencé à mettre sa menace à exécution. En tant que directeur du Bureau des avoirs étrangers au département du Trésor, il avait soumis une liste de noms pour ces sanctions. Mais avant d’imposer des sanctions, il faut l’approbation d’un comité interagences, et la permission ne lui fut jamais accordée. Des responsables de la CIA et du FBI se sont montrés peu enthousiastes à cette idée de sanctions, arguant que celles-ci « pourraient altérer la – déjà faible – coopération de leurs homologues saoudiens. » Mais c’est le département d’État qui s’y opposa le plus. Un responsable déclarera plus tard : « le Département d’État a toujours pensé que nous avions de bien plus gros poissons à attraper. »

Avec l’entrée en fonction de George W. Bush, l’administration US donna l’ordre à ses services de renseignement de clore toute enquête sur le financement de Ben Laden et les connexions avec les Saoudiens. La BBC écrira : « Après les élections, on demanda aux services de renseignement américains d’abandonner toute investigation sur les Ben Laden et la famille royale saoudienne ; cette mesure irrita bon nombre d’agents. » Cela faisait suite aux ordres déjà existants depuis 1996 qui demandaient de laisser tomber toute enquête sur les proches de Ben Laden, et s’ajoutait aux difficultés d’enquêter sur la famille royale saoudienne. Un haut responsable de la CIA déclara, sous couvert d’anonymat, qu’il s’était produit à l’époque un important changement de politique à la NSA (National Security Agency). On pouvait continuer à surveiller Ben Laden, mais les agents n’étaient pas autorisés à regarder de trop près ses sources de financement.

Entre février et mars 2001, l’administration Bush stoppa toute surveillance des Saoudiens. La DIA (Defense Intelligence Agency) avait mis sur pied un programme de surveillance de l’Arabie Saoudite dès les années 1990. Ce projet, connu sous le nom de « Monarch Passage », avait initialement pour but de traquer l’aide que les Saoudiens apportaient au programme nucléaire pakistanais, mais il se développa par la suite en un programme complet d’espionnage des communications d’hommes d’affaires saoudiens et de la famille royale. Ce programme fut stoppé dans les tout premiers jours suivant l’arrivée au pouvoir de l’administration Bush. Cela faisait partie d’un changement à plus grande échelle de la politique américaine, qui plaçait les liens entre les Saoudiens et le terrorisme hors de portée de tout enquêteur américain.

Vers la mi-juillet 2001, John O’Neill (ci-contre), un agent du FBI, s’éleva contre l’obstruction systématique de la Maison-Blanche sur toute ce qui concernait l’Arabie Saoudite. Cet expert du contre-terrorisme donna les détails de cette obstruction par la Maison-Blanche dans son rapport d’enquête sur Ben Laden. O’Neill expliqua que « les principaux obstacles empêchant d’enquêter sur le terrorisme islamique sont les grands intérêts pétroliers US, et le rôle joué par l’Arabie Saoudite. » Il ajouta : « Toutes les réponses, tout ce dont nous avons besoin pour démanteler l’organisation d’Oussama Ben Laden, se trouvent en Arabie Saoudite. » O’Neill pensait aussi que la Maison-Blanche s’opposait à son enquête sur Ben Laden du fait qu’ils continuaient à croire au projet de pipeline à travers l’Afghanistan alors dirigé par les talibans.

En ce moment même, il y a une forte pression pour que soient publiées les 28 pages censurées du rapport du Congrès sur le 11-Septembre (Joint Congressional Inquiry into 9/11). Je suis pour la transparence. Je me bats depuis 10 ans pour que ces pages soient finalement rendues publiques. Ces pratiques de protection et de collaboration avec l’Arabie Saoudite ont perduré longtemps après le 11 septembre 2001.

Si nous voulons toute la vérité sur la situation concernant l’Arabie Saoudite, en ne sachant que trop à quel point nous avons rendu possibles et même collaboré à leurs activités, personne ne peut se permettre de pointer du doigt l’Arabie Saoudite et ses connexions avec le terrorisme, sans en retour pointer tous les doigts de sa main vers les États-Unis d’Amérique.

Jon Gold

 (Jon Goldgold9472 (@) comcast.net)

 

Note : Les parties en gras dans le texte ont été soulignées par l’auteur lui-même dans l’article original.

Source cindysheehanssoapbox.com

Traduction Christophe & Bluerider pour ilFattoQuotidiano.fr


Note de traduction :

(*) Jon Gold (l’auteur) : un des activistes les plus engagés du Mouvement pour la vérité sur le 11/9 aux USA : il se bat depuis le début pour mettre fin aux dissimulations et à l’indifférence générale sur les attentats du 11-Septembre. Voir l’article « Jon Gold : Mes espoirs pour le mouvement “Occupy” » .

(**) Vulgar Betrayal : dans les années 1990, l’agent spécial Robert Wright de la branche du FBI à Chicago a mené une campagne d’investigation sur le financement du terrorisme portant le nom de code Vulgar Betrayal [NdT: trahison grossière]. L’enquête a découvert des informations sur Yassin al-Quadi, un financier du terrorisme global qui à la suite du 11/9 continuera à être désigné sous le nom de terroriste financier global par le Trésor états-unien. Vulgar Betrayal a mené à des informations concernant l’attentat à la bombe de l’ambassade africaine en 1998 et a eu pour effet la saisie de 1,4 million de dollars de financement terroriste. En dépit du remarquable succès de l’enquête, Wright fut dessaisi du dossier Vulgar Betrayal en 1999 et réduit au rôle de gratte-papier. En 2002, Wright rendit publique la manière dont ses enquêtes avaient été systématiquement sous-financées, entravées et barrées par l’administration du FBI et il a révélé qu’il croyait que le 11/9 aurait pu être évité s’il lui avait été permis de continuer son enquête. Le Bureau l’a empêché de faire paraitre un livre sur son histoire. Il a été menacé de poursuites s’il révélait un quelconque détail sur ses enquêtes. Source ReOpenNews



Articles Par : Jon Gold

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