Trente ans depuis l’invasion soviétique en Afghanistan

Un événement marquant, le 30ème anniversaire de l’invasion de l’URSS en Afghanistan et qui avait débuté le 27 décembre 1979, a curieusement été exclu de la couverture médiatique accordée à la décision du président Barack Obama de déployer davantage de troupes américaines en Afghanistan.

Un examen des circonstances de cet événement contredit les affirmations d’Obama selon lesquelles la politique américaine en Afghanistan est motivée par la « guerre contre le terrorisme » en affichant au lieu de cela les objectifs impérialistes de la politique américaine.

A l’époque, le président Jimmy Carter avait profité de l’invasion soviétique, qui avait pour but la répression des rebelles moujahedin luttant contre le régime du Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA) soutenu par l’Union soviétique, pour remettre en cause dix années de détente et intensifier les tensions avec l’URSS. Cette décision cruciale déclencha un conflit qui allait finalement détruire la société afghane.

Ce n’est que des années plus tard que l’on apprit que l’invasion soviétique avait été elle-même une réaction à une tentative délibérée des Etats-Unis de mettre en place en Afghanistan un nouveau front militaire contre l’URSS. Déjà avant l’invasion soviétique, Washington assistait en secret les moujahedin dans le but de provoquer une intervention soviétique et d’attirer l’URSS dans un bourbier sanglant. Le but ultime des responsables de la politique étrangère américaine dans la poursuite de cette politique était la destruction de l’URSS et l’expansion de la puissance américaine en Asie centrale, une région stratégiquement située et riche en pétrole.

Dans son livre-mémoires, écrit en 1996 et intitulé « From the Shadows » (« Venu de l’ombre »), Robert Gates, l’actuel secrétaire´américain à la Défense, se souvient des délibérations américaines ayant eu lieu en hiver et au printemps de 1979. Il relate une réunion qui avait eu lieu le 30 mars 1979 : « Le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires politiques, David Newsom, avait déclaré qu’il revenait à la politique des Etats-Unis [de montrer] aux Pakistanais, aux Saoudiens et aux autres notre détermination à stopper l’expansion de l’influence soviétique dans le Tiers monde… Walt Slocombe, représentant la Défense, avait demandé s’il valait la peine de maintenir en ébullition l’insurrection afghane en ‘ attirant les Soviets dans un bourbier vietnamien ?’ »

Le 3 juillet 1979, le président Carter autorisa la CIA à financer et faire de la propagande pour les rebelles afghans. Dès cet été, la CIA aurait effectué ses premières livraisons aux moujahedin.

Les staliniens au Kremlin, guidés par des calculs d’ordre purement militaire et nationaliste, tombèrent directement dans le piège posé par Washington. La direction soviétique pensait que le président afghan Hafizullah Amin de la fraction Khalq du PDPA, négociait un accord séparé avec Washington afin de faire cesser l’aide américaine aux moujahedin. Moscou craignait qu’un régime pro-américain à Kaboul ne permette aux Etats-Unis de stationner des missiles Pershing en Afghanistan d’où ils auraient pour cible l’URSS.

Le Kremlin craignait aussi que les Etats-Unis se servent des Tadjiks ou des Ouzbeks afghans à des fins de propagande séparatiste nationaliste visant l’Asie centrale soviétique. Le conseiller à la Sécurité nationale du gouvernement Carter, Zbigniew Brzezinski (à présent l’un des principaux conseillers de Barack Obama), préconisait publiquement un éclatement ethnique de l’URSS.

Lorsque les forces soviétiques envahirent l’Afghanistan, un commando du KGB assassina Amin. A sa place, Moscou plaça au poste de président Babrak Karmal, le dirigeant de l’aile conservatrice Parcham du PDPA. Ce fut le signal lancé aux classes dirigeantes que le PDPA abandonnerait sa redistribution partielle des terres ainsi que d’autres mesures de réformes. La stratégie du Kremlin était de conclure un accord avec les élites tribales d’Afghanistan tout en écrasant au moyen de bombardements massifs toute résistance contre le régime PDPA.

La politique de Washington quant à la guerre afghano-soviétique fut marquée par un cynisme inégalé. La Maison Blanche déclencha un flot de protestations hypocrites contre une invasion qu’elle avait aidé à promouvoir, y compris l’organisation d’un boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980. Tout en expédiant aux moujahedin des armements d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, Washington nia publiquement toute assistance aux rebelles.

Bien que Washington proclamât que ses représentants afghans étaient des « combattants de la liberté », les moujahedin et leurs partisans internationaux étaient des forces sociales réactionnaires. Avec l’aide des régimes musulmans droitiers tels ceux d’Arabie saoudite et du Pakistan, les Etats-Unis encouragèrent la résistance des seigneurs de guerre fondamentalistes islamiques. Washington ferma les yeux lorsqu’ils exterminèrent des factions rivales de moujahedin en se finançant grâce à l’argent obtenu de la vente d’opium à grande échelle.

Lorsque les moujahedin se montrèrent incapables d’organiser des attaques contre Kaboul et les voies stratégiques, la CIA arma et forma des recrues musulmanes internationales dans le but de perpétrer des attaques terroristes et des attentats suicide. Le jeune milliardaire saoudien, Osama ben Laden, supervisa ce réseau de recrutement mondial et qui allait devenir plus tard le point de départ pour Al-Qaida.

Ces réseaux rassemblèrent les recrues de la Fraternité musulmane, celles influencées par les extrémistes de l’islam saoudien et toutes les forces du monde musulman qui avaient historiquement déjà été mobilisées contre les puissantes traditions socialistes des travailleurs et des intellectuels au Proche et au Moyen-Orient, y compris en Afghanistan.

Des pertes croissantes et un mécontentement populaire grandissant en URSS poussèrent Moscou à retirer ses troupes en 1989. Puis, s’ensuivit l’effondrement soviétique en 1991 et l’éclatement du régime PDPA en 1992 quand les responsables influents du PDPA passèrent dans le camp de seigneurs de guerre rivaux. L’Afghanistan fut précipitée dans la guerre civile.

Les architectes de la politique américaine en Afghanistan sont restés indifférents aux conséquences de leur politique. A la question de savoir s’il n’avait aucun regret quant à la tragédie afghane Brzezinski répondit en 1998 sans émoi : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Le Taliban ou l’effondrement de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »

Jusqu’à ce jour, le monde est confronté aux conséquences de cette politique impérialiste américaine en Asie centrale. La rivalité entre les grandes puissances, déclenchée par la guerre civile afghane, pour l’hégémonie en Afghanistan, stratégiquement située au coeur de l’Eurasie, avait tout d’abord au milieu des années 1990 incité les Etats-Unis, le Pakistan et l’Arabie saoudite à unifier l’Afghanistan sous le régime des milices talibanes intégristes. Sous le prétexte trompeur de la « guerre contre le terrorisme », cette tentative avait abouti en 2001 à l’invasion et à l’occupation américaine de l’Afghanistan, et ce contre les forces mêmes que Washington avaient soutenues dans les années 1980 et 1990.

Alors qu’il cherche à utiliser la position qu’il détient en Afghanistan pour faire respecter son hégémonie dans un continent asiatique instable, le gouvernement de Washington est confronté aux conséquences politiques néfastes de la politique qu’il a menée en 1979 : des seigneurs de guerre trafiquants de drogue, des réseaux terroristes internationaux, d’anciennes républiques soviétiques socialement dévastées suite à l’effondrement de l’URSS et l’état de pauvreté générale de la région.

Les catastrophes présentes découlent des crimes commis dans le passé. L’histoire de la première poussée majeure de l’impérialisme américain en Asie centrale doit être comprise et assimilée si l’on veut évaluer les conséquences que l’actuelle intensification américaine aura pour la région et le monde entier.

Article original, WSWS, paru le 30 décembre 2009.



Articles Par : Alex Lantier

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