Troisième Guerre Mondiale. C’est pour bientôt.

La France et le Canada avalés par la folie guerrière des États-Unis et d’Israël ?

À la toute fin du mois de novembre, la détérioration rapide et alarmante de la situation politique en Europe et au Moyen-Orient m’avait amené à soulever la possibilité, ici même sur Vigile, du déclenchement d’une Troisième Guerre Mondiale .

J’avais en effet été sidéré de découvrir, sur un site américain d’information financière, l’extrait d’un bulletin de nouvelles chinois où un responsable militaire de haut niveau avertissait les États-Unis, le Canada et la France, que son pays n’hésiterait pas à protéger l’Iran contre toute agression, même au risque d’une Troisième Guerre Mondiale .

Cet article avait attiré l’attention d’un journaliste algérien qui communiqua avec moi quelques semaines plus tard pour savoir si je serais disposé à expliciter ma position dans une entrevue qui serait publiée dans son journal en début d’année. Sans me douter le moindrement du traitement qui serait réservé à cette entrevue (manchette en première page), et de la diffusion qu’elle allait connaître , j’acceptai son invitation à répondre à une série de questions qui allaient me permettre d’aborder le cas de la Syrie et de suggérer qu’avec l’alignement des positions russe et chinoise sur la question du Moyen-Orient, nous étions en train d’assister à une réémergence des blocs, comme au temps de la Guerre Froide.

Les événements de l’hiver allaient me donner raison. Au cours des derniers mois, la Chine et la Russie ont exercé à trois reprises leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies pour contrecarrer la volonté des États-Unis de la France et du Royaume-Uni d’intervenir militairement en Syrie pour déloger le gouvernement de Bachir Al-Assad et favoriser un changement de régime.

Et malgré tous les efforts en sous-main pour déstabiliser Assad, celui-ci demeure encore en poste, un exploit qui serait totalement impossible s’il ne jouissait pas du soutien très large de la population syrienne. Ceux qui en doutent feraient bien de se remémorer l’effondrement du régime communiste en ex-Allemagne de l’Est et la chute du mur de Berlin, en quelques jours, sans aucune effusion de sang. Et pour des exemples plus locaux, voir le renversement des régimes Ben-Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, relativement pacifiques.

Après avoir évincé les « contras » de Homs et de Damas, revenues à la paix civile, le régime Assad tente désormais de les déloger de deux quartiers d’Alep, toute proche des frontières de la Turquie qui les alimente en hommes et en armes. Et le spectacle de ces centaines de milliers d’habitants qui fuient les quartiers sous contrôle des contras pour se réfugier dans les quartiers contrôlés par les forces du régime Assad confirme éloquemment la légitimité démocratique de son pouvoir.

Aucun régime ne peut tenir très longtemps contre la volonté de sa population. Et c’est justement l’absence de cette volonté populaire de changement qui nous amène à nous questionner sur les raisons profondes de pays comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et le Canada à souhaiter si ardemment un changement de régime en Syrie après l’avoir souhaité et obtenu en Libye, et l’avoir souhaité sans l’obtenir en Iran (fiasco de la Révolution Verte).

***

Pour ce qui est des États-Unis, les motivations sont assez claires, même si les intérêts (pas nécessairement les mêmes) et l’influence politique d’Israël viennent un peu brouiller les cartes. Mais c’est quand on se met à s’interroger sur les motivations de pays comme le Royaume-Uni, la France et le Canada que le problème se complexifie.

Le cas du Royaume-Uni est assez facile à régler. Ce pays a depuis longtemps fait le choix de l’alliance géostratégique avec les États-Unis, mais était malgré tout parvenu à conserver une certaine indépendance dans sa politique étrangère au Moyen-Orient sur la base de sa longue expérience politique dans cette région du monde.

Cette situation allait changer dramatiquement après le 11 septembre 2001 et le déclenchement de la guerre contre l’Irak. Le premier ministre travailliste Tony Blair causa une certaine surprise, du moins dans ses propres rangs, en s’alignant sans hésitation et sans faille aux côtés des États-Unis de George W. Bush, alors que la France de Chirac et le Canada de Jean Chrétien refusaient de le faire.

La France était parvenue à maintenir pendant toutes les années depuis le départ de De Gaulle jusqu’à l’arrivée de Sarkozy au moins les apparences d’une certaine indépendance vis à vis des États-Unis et d’un préjugé favorable aux pays musulmans qui s’expliquait, comme dans le cas des Anglais, par sa longue fréquentation de cette culture.

Pays colonial, la France a imposé pendant longtemps sa tutelle sur le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Ceux qui sont moins familiers avec l’histoire de France savent moins que la France de Napoléon s’était aventurée jusqu’en Égypte et que, même si cette aventure fut de courte durée, elle était parvenue à y conserver une importante influence culturelle et commerciale, dans ce dernier cas avec la construction par Ferdinand de Lesseps du Canal de Suez à compter de 1858 et son exploitation de 1868 jusqu’en 1957 par La Compagnie universelle du canal maritime de Suez en vertu d’une concession emphytéotique de 99 ans.

« À la suite de la nationalisation du canal par Nasser en 1956, quand le patrimoine égyptien de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez a été transféré à la Suez Canal Authority, la société touche d’importantes indemnités car elle dispose d’une concession jusqu’en 1968. Rebaptisée Compagnie financière de Suez en 1958, elle engage sa reconversion en multipliant participations et investissements dans divers secteurs de l’économie. »

On notera au passage qu’il s’agit de l’entreprise à l’origine de GDF-Suez dans laquelle le duo Paul Desmarais/Albert Frère détient une participation importante.

Il faut aussi rappeler que la France et la Grande-Bretagne s’étaient partagé les dépouilles de l’empire ottoman en 1920, et que la France avait pour sa part hérité de ce qui allait par la suite devenir la Syrie et le Liban. Quant au Royaume-Uni, il récupérait l’Irak, la Transjordanie et la Palestine. Le Liban allait acquérir son indépendance en 1943, la Syrie en 1946, et Israël, découpée dans le territoire de la Palestine par les Nations Unies, en 1948.

La présence de la France sur l’échiquier politique du Moyen-Orient est donc une donnée de base, d’autant plus que d’importants liens commerciaux ont survécu au mouvement de décolonisation après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

On comprendra dès lors que la France ait joué un rôle actif dans la Crise du canal de Suez qui survient en 1956, lorsque l’Égypte de Gamal Abdel Nasser décide de nationaliser le canal. Wikipédia résume succinctement les faits de la façon suivante :

« La crise du canal de Suez, aussi connue sous le nom de guerre de Suez, campagne de Suez ou opération Kadesh, est une guerre qui éclata en 1956 en territoire égyptien. Le conflit éclata entre l’Égypte et une alliance secrète, le protocole de Sèvres, formée par l’État d’Israël, la France et le Royaume-Uni, suite à la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte.

Cette alliance entre deux États européens et Israël répondait à des intérêts communs : les nations européennes avaient des intérêts politiques, économiques et commerciaux dans le canal de Suez, et Israël avait besoin de l’ouverture du canal pour assurer son transport maritime (ce dernier justifiait toutefois son intervention militaire contre l’Égypte comme étant une réponse aux attaques fedayins qu’il subissait de plus en plus régulièrement sur son territoire). De plus cette crise est considérée comme particulièrement importante car elle survient pendant la période de guerre froide. Plus que les intérêts des pays européens, elle symbolise aussi une union encore contestée de l’Union soviétique et des États-Unis (deux blocs en opposition) et constitue donc un moment clef de cette période de conflits. L’union reste contestée car il semble qu’elle aurait aussi pu être interprétée comme une sorte « d’échange de bons procédés » entre les deux puissances. Ce sont ces deux États qui ont imposé l’arrêt du conflit en renvoyant chez elles les forces françaises et britanniques. […] »

La crise de Suez allait être l’occasion de la première grande intervention du Canada en politique internationale avec sa proposition de créer une force d’interposition entre les belligérants (les Casques Bleus). Voici comment l’Encyclopédie canadienne présente l’affaire :

« Le 26 juillet 1956, le président égyptien Nasser s’empare de l’importante Compagnie du canal de Suez, qui exploite le canal depuis 1869 ; les principaux actionnaires de la compagnie sont la France et l’Angleterre. Cette occupation par Nasser du canal reliant la Méditerranée et la mer Rouge porte un coup à la fierté et au commerce de l’Occident. La diplomatie ayant échoué, l’Angleterre, la France et Israël conviennent en secret d’une action contre l’Égypte. Israël passe à l’attaque le 29 octobre et, en un seul jour, avance à un peu moins de 42 km du canal. Tel que convenu avec Israël, l’Angleterre et la France somment Israël et l’Égypte de se retirer de la région immédiate du canal. Nasser refuse. Le 31 octobre, l’Angleterre et la France interviennent directement en bombardant la zone du canal.

Dans les coulisses, le gouvernement du Canada se montre irrité par ce geste qui divise le Commonwealth et qui aliène les États-Unis. Toutefois, publiquement, le Canada joue le rôle de conciliateur. Le 4 novembre, L.B. Pearson, secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada, et ses collègues aux Nations Unies obtiennent un appui écrasant de l’Assemblée générale en proposant la création d’une force internationale chargée de maintenir la sécurité et de coordonner la cessation des hostilités. Le général canadien E.L.M. Burns est aussitôt nommé commandant de la Force d’urgence des Nations Unies (FUNU). Les Anglais et les Français décident cependant de passer outre à la résolution de l’ONU et larguent des parachutistes dans la zone du canal tard le 4 novembre. Grâce à la pression, principalement américaine, exercée sur le premier ministre britannique sir Anthony Eden, un cessez-le-feu est conclu le 6 novembre. Pearson se bat avec succès pour que des soldats canadiens fassent partie de la FUNU, dont les unités d’avant-garde arrivent à la mi-novembre. Bien que Pearson reçoive le Prix Nobel de la paix en 1957 en récompense pour ses efforts de conciliation, bien des gens en Angleterre et au Canada sont consternés par le manque apparent de soutien envers l’Angleterre de la part d’Ottawa. La défaite du gouvernement libéral aux élections générales de 1957 est sans doute en partie attribuable à ce facteur. »

En 1956, la France est dirigée par un gouvernement socialiste aux prises avec la décolonisation. Elle a perdu l’Indochine à l’issue d’une guerre en 1954, et cherche encore à conserver l’Algérie. Ces conflits la déchirent sur le plan politique et la laissent exsangue sur le plan financier, conditions qui vont favoriser le retour aux affaires du général Charles De Gaulle, l’homme qui a sauvé la France de la déroute en 1940 et qui s’est retiré « en réserve de la République » en 1946, en désaccord avec l’Assemblée constituante élue pour doter la France d’un nouveau régime politique sur la question des rôles respectifs de l’État et des partis politiques.

De Gaulle, c’est également l’homme qui a tenu tête aux Américains, aux Anglais et aux Russes malgré la précarité de sa position, et qui a permis, par la force incroyable de sa volonté, que la France figure parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale.

Pour De Gaulle, tout tenait à « une certaine idée » qu’il se faisait de la France :

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai d’instinct l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur. » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1, Plon, Paris, 1954)

Dans les dix années qui suivent son retour aux affaires, De Gaulle va remettre la France sur pied, d’abord sur le plan économique, avec la collaboration de son ministre des Finances Antoine Pinay, et de son principal conseiller Jacques Rueff, Ce dernier croit aux vertus disciplinaires de l’or pour empêcher la fuite en avant par les déficits, sur lesquels les États-Unis commencent à compter pour financer leur guerre au Viet-Nam.

La France est bien placée pour le savoir. Les coffres de la Banque de France débordent des dollars US que les banques françaises encore majoritaires au Vietnam après son indépendance lui envoient sans dérougir. De Gaulle décide d’exiger sa conversion en or au taux officiel de 35 $ l’once » Il envoie aux États-Unis des navires de guerre chargés de dollars, et ceux-ci rentrent en France chargés de l’or obtenu en échange. Les Américains sont furieux.

Et ils le sont encore davantage lorsqu’ils voient De Gaulle se lancer, sur la base du redressement économique de la France et de l’indépendance qu’elle lui confère, dans une offensive diplomatique tous azimuts qui l’amènera à quitter l’OTAN, se doter de l’arme nucléaire et proposer aux pays non alignés une troisième voie dans une série de discours à travers le monde qui vont s’inscrire résolument en faux contre les pratiques hégémonistes américaines.

Ainsi, le 28 septembre 1964, De Gaulle déclare en Bolivie

« Que chaque peuple dispose à tous égards de lui-même, afin que son avance en fait de civilisation soit effectivement la sienne. Qu’il fasse en sorte que son progrès soit celui de tous ses enfants pour susciter dans les profondeurs les ardeurs et les capacités qui multiplient les efforts, qu’il transforme en émulation créatrice et productrice par rapport aux autres nations, ce qui demeure trop souvent rivalité d’ambitions, que les puissances qui en ont le moyen prêtent leur concours au développement des moins avantagés, cela suivant les affinités réciproques, et sans qu’il y ait, sous aucune forme, intervention étrangère dans les affaires de qui que ce soit, voilà, en effet, quelles sont, pour la France, les conditions nécessaires de l’équilibre général, du progrès de tous et de la paix dans l’univers. » (Pochette du disque « Charles De Gaulle, Discours aux peuples du monde », Disques Déesse DDLX 87, Paris)

À Pnom-Penh, le 1er septembre 1966, De Gaulle s’en prend directement à la soif de guerre des États-Unis . Voici le commentaire du professeur et président du parti UPR François Asselineau dans le cadre de la dernière campagne présidentielle française :

« Le 1er Septembre 1966, présent dans la capitale Cambodgienne, le Général de Gaulle prononce devant plus de 200 000 personnes, le « Discours de Phnom-Penh ». Ce discours est un des plus habiles de l’histoire politique de l’humanité. En effet, tout en rappelant l’indépendance de la France, il affirme l’existence d’une troisième voie représentée par les non-alignés. Cependant, le Général de Gaulle est également visionnaire et marque un tournant dans la manière d’envisager les relations Internationales pour les anciennes puissances coloniales. Ces propos ont été ressentis à l’époque comme une gifle et une trahison par les américains alors en guerre au Vietnam. Les Américains outrés, n’ont alors pas compris toute la subtilité et les nuances de ces paroles car il rend aussi un hommage aux valeurs de libertés qui fondent la démocratie américaine. Ils n’ont pas non plus saisi la lucidité de ses propos. En 1968, c’est à Paris que s’ouvrira la conférence qui mettra fin à la guerre du Vietnam (la guerre la plus inutile et la plus chère de l’histoire des Etats-Unis après la guerre d’Irak). Ce qui est impressionnant, c’est qu’après plus de 40 ans, ces paroles résonnent encore d’une manière originale et sont plus que jamais d’actualité concernant par exemple la guerre en Afghanistan. » (Voir aussi)

La visite du général de Gaulle au Québec from Delorimier on Vimeo.

L’été suivant, le 24 juillet 1967, De Gaulle, venu rendre visite à son « ami Johnson » http://www.vigile.net/La-visite-du-… à l’occasion de l’Expo 67, lançait son « Vive le Québec libre » depuis le balcon de l’Hôtel de ville de Montréal . À lire ce qui précède, on comprend facilement que cette déclaration était loin d’être spontanée, qu’elle était mûrement réfléchie et qu’elle procédait d’un plan bien défini. On n’est pas général pour rien.

D’ailleurs, cette analyse est confirmée par un de ses intimes, Jacques Foccart, qui relate son échange avec De Gaulle le 27 juillet 1967 dans son Journal de l’Élysée paru chez Fayard en 1998 (t. I, p. 685), au cours duquel lui aurait déclaré ceci :

« Le fait est qu’un jour le Canada français deviendra une grande puissance et que nous y aurons aidé et que la France en tirera un bénéfice. Bien sûr, pas moi. Ce n’est pas pour tout de suite, bien que, du fait de notre attitude, nous ayons considérablement accéléré le processus. C’est une affaire dont l’avenir s’inscrit d’avance, et de manière certaine depuis notre action, et le développement, croyez-moi, sera beaucoup plus rapide qu’on ne le croit. […] Il fallait le faire, c’était évident. Je savais à quoi m’en tenir à partir du moment où j’y allais. Alors on m’a dit : Ottawa… Ottawa, je m’en fous ! C’est au Canada français que je rendais visite, c’était l’essentiel. […] J’aime mieux crever que d’aller au Canada porter un toast à la reine d’Angleterre ! Croyez-moi, j’étais bien soulagé quand ils m’ont offert l’occasion de m’en aller : j’ai sauté dessus avec bonheur. Tout cela va faire des remous, c’est sans importance. Tout cela va donner des motifs d’articles à toute cette presse infâme et avachie, aux pieds et à la botte des Américains, des Israéliens et de tous les autres, mais qui ne soutient pas la France parce qu’ils ont honte de parler de la France ou de défendre la France : tout cela est sans importance. »

On connaît la réaction au Canada. Mais c’en est également trop pour Washington et pour ses alliés en France. Le premier ministre George Pompidou, ancien directeur général de la Banque Rothschild, s’inquiète de plus en plus des projets de De Gaulle. Chez les acteurs économiques, la « troisième voie » passe mal :

« En sus des Américains, De Gaulle avait à dos leurs suiveurs atlantistes, de Mitterrand à Lecanuet, sans compter Jean-Jacques Servan-Schreiber [alors rédacteur en chef de l’hebdomadaire d’information L’Express et l’auteur du Défi américain, une apologie de l’Amérique] qui, en plein mois de mai, dénonçait « la dictature intellectuelle du Général qui avait tout gelé en France ». Et cela dans un magazine américain : « Life » qui par ailleurs voyait dans l’Elysée un nid d’espions du KGB. Aux USA une campagne de presse antigaulliste d’une violence et d’une bêtise inouïes battait son plein…

Participaient encore à cette curée, le ban et l’arrière ban du vichysme et de l’OAS : « mai » c’était l’occasion de régler son compte à l’homme de la France libre et au décolonisateur de l’Algérie. Sans compter les milieux d’affaire : « De Gaulle a pour opposants les mêmes gens, haute finance et classe moyenne, qui firent tomber le gouvernement Blum dans les années trente en spéculant contre le franc et en plaçant leur argent à l’étranger (écrit Hannah Arendt dans une lettre à Mary Mc Carty fin 68). Le tout non pas en réaction aux émeutes étudiantes, mais aux idées grandioses de De Gaulle sur la participation des travailleurs dans les entreprises »… ».

En fait, quand on examine qui avait intérêt en 1968 à ce que la situation politique se dégrade rapidement en France, celui des Américains et de leurs « suiveurs atlantistes » est tellement évident qu’ils y ont nécessairement contribué s’ils n’en sont pas carrément les instigateurs, ce que les historiens finiront éventuellement par nous révéler.

Après la démission de De Gaulle devant le rejet de son référendum sur la participation le 27 avril 1969 , la France retombe rapidement sous l’influence des États-Unis.

En 1971, l’administration Nixon, enlisée dans l’aventure vietnamienne, et incapable de faire face aux dettes et aux obligations de conversion du pays, décide de dévaluer sa monnaie en supprimant sa convertibilité en or. La banque centrale des États-Unis (la FED) a désormais les mains libres pour monétiser la dette, avec les résultats que nous découvrons aujourd’hui.

La France emprunte le même modèle en 1973 en adoptant sa Loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France. Même modèle, même endettement catastrophique aujourd’hui.

Mais si les Américains sont parvenus à reprendre le contrôle du jeu économique avec l’élimination de De Gaulle, la France n’en conserve pas moins quelques velléités d’indépendance diplomatique à l’égard des États-Unis qui vont lui coûter très cher lorsqu’elle s’aventurera à les exercer, l’expérience la plus probante à cet égard étant survenue lors de son refus très spectaculaire de suivre les États-Unis dans sa guerre contre l’Irak.

Dominique de Villepin à l’ONU – 14 février 2003 par Chroniques-vieille-europe

On se souviendra de l’indignation que la brillante prestation du ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 février 2003 , avait soulevé aux États-Unis. La France avait alors dû affronter un boycott de ses intérêts que son patronat avait très mal vécu.

« Comme par hasard », de Villepin s’était retrouvé peu de temps après au coeur d’une affaire politique tordue, l’affaire Clearstream, qui allait prendre rapidement une tournure judiciaire grave, coupant court à ses ambitions présidentielles pour 2007 et laissant la voie libre à Nicolas Sarkozy.

C’est sans doute le même « hasard » qui a valu à Dominique Strauss-Kahn, brillant économiste et directeur général du FMI, quelques mois d’emprisonnement dans une prison de New York pour une pitoyable affaire de moeurs alors que son véritable crime, tout comme le Général De Gaulle en son temps, avait été de remettre en cause l’hégémonie du dollar US .

Et parce qu’Israël et les États-Unis voguent de concert et que l’affront fait à l’un vaut pour l’autre, que penser de l’audace « irresponsable » du président Chirac qui avait accueilli en 2004 sur son territoire le chef historique des Palestiniens, Yasser Arafat, gravement malade, pour qu’il puisse s’y faire soigner, qui s’était même rendu à son chevet pour lui offrir ses voeux de rétablissement, et qui, à son décès, lui avait fait rendre les hommages de la France lors d’une cérémonie officielle à l’aérodrome militaire de Villacoublay avant de le transporter au Caire ?

Heureusement pour lui, Chirac était en fin de mandat et n’était plus en mesure de nuire aux intérêts américains.

On comprend dès lors beaucoup mieux comment Nicolas Sarkozy, que les Américains contrôlaient entièrement, y compris par des liens familiaux , a pu servir leurs intérêts au point même de leur permettre de se cacher derrière lui (et derrière le Canada de Harper) à certains moments, comme dans l’opération contre la Libye.

Mais Sarkozy parti, ce qui surprend et déçoit sûrement une bonne partie de l’électorat de gauche en France, c’est de voir le président Hollande suivre exactement la même politique étrangère que son prédécesseur et se ranger docilement, sans le moindre bémol, dans le camp des États-Unis et d’Israël au Moyen-Orient.

Le Canada n’a pas une histoire diplomatique aussi riche que celle de la France. Comme je l’ai souligné plus haut, sa première intervention marquante sur la scène internationale fut sa suggestion de créer les casques bleus dans la foulée de la guerre du Canal de Suez en 1956.

Pour le reste, voisin des États-Unis, sa marge de manoeuvre n’est pas très grande, ce qui n’a pas empêché l’ancien premier ministre Libéral, Pierre-Elliott Trudeau, mort en 2000, de multiplier les pieds de nez à leur endroit, en entretenant notamment des liens d’amitié avec Fidel Castro qui s’est d’ailleurs déplacé à Montréal pour ses funérailles .

En 2003, le Canada n’avait pas, lui non plus, suivi les États-Unis dans leur engagement militaire en Irak. Le refus du premier ministre Jean Chrétien, Libéral lui aussi, était lié à des considérations bassement électoralistes. Si, dans son ensemble, l’électorat canadien était également divisé sur l’opportunité de cet engagement, la ventilation des résultats par régions donnait une toute autre image de la situation, les Québécois y étant très majoritairement opposé.

La question de la participation du Canada à cette guerre était même parvenue à mobiliser à Montréal, en plein hiver, 150 000 personnes qui n’avaient pas hésité à braver un froid de -26 °C pour faire connaître leur opposition, tant la tradition pacifiste est forte au Québec.

Pour des raisons sur lesquelles les Américains n’ont eu aucune influence, les Libéraux allaient se retrouver à la tête d’un gouvernement minoritaire aux élections générales suivantes en 2004, et par la suite perdre le pouvoir aux mains du Parti Conservateur de Stephen Harper, d’abord appelé à former un gouvernement minoritaire en 2006, puis majoritaire en 2011.

Depuis son élection en 2006, Harper n’a eu de cesse d’aligner les positions canadiennes dans tous les domaines sur celles des États-Unis, au point même de se distinguer parfois par son excès de zèle, notamment sur la question de son soutien à Israël.

Cette inféodation systématique de la France et du Canada aux intérêts des États-Unis et d’Israël est particulièrement intrigante, survenant à un moment où les États-Unis sont en perte de puissance, tant sur le plan économique que politique, une réalité si forte qu’elle ne peut échapper aux stratèges des deux pays. Cette réalité commanderait de la part de la France et du Canada une stratégie totalement différente, sauf si…

Oui, sauf si les dirigeants de ces deux pays étaient au courant d’une menace si forte et si effrayante qu’elles les privait de toute marge de manoeuvre et qu’elle les contraignait au soutien inconditionnel des États-Unis et d’Israël, et au reniement de tous les principes démocratiques sur lesquels ils sont fondés.

Si tel est le cas, on aimerait bien le savoir… Quelle menace ? Une Troisième Guerre Mondiale ? Car au rythme auquel s’accumulent, s’enchaînent et se succèdent les événements, c’est pour bientôt.

 



Articles Par : Richard Le Hir

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