TUNISIE : La dette extérieure, l’inflation et le salaire minimum

Suite à la présentation alternative de la dette extérieure, ce nouvel article propose de la mettre en perspective avec l’évolution de l’inflation et du salaire minimum en Tunisie. Il faut toutefois se remettre en mémoire que la dette extérieure a été gaspillée dans la torture, la répression du peuple Tunisien, le financement de l’administration du régime dictatorial de Ben Ali, l’enrichissement de cet individu et le culte de sa personnalité, l’obscurantisme, la propagande et la désinformation de masse. La dette extérieure de la Tunisie est odieuse et illégitimes car elle est une dette de régime qui a été utilisée comme un outil politico-financier d’appauvrissement et d’asservissement du peuple tunisien par une dictature. Il existe un fondement législatif dans le droit international permettant d’annuler les dettes de régime des dictateurs. Les politiques ultralibérales et d’ajustements structurels imposés avec la dette extérieure et promues notamment par les créanciers, la banque mondiale et le FMI, ont conduit à la destruction du tissu microéconomique du pays et l’instauration durable de la corruption. En plus de la monopolisation de l’économie par le rapt et le délit d’initié exécutés par le clan du pouvoir, s’ajoutent les politiques de privatisations, la dérèglementation de la législation fiscale et douanière devenues inéquitables et injustes et enfin la marginalisation de la dette intérieure dans le financement local.

A – Indicateur de l’économie tunisienne et de la dette extérieure

Figure 1: dette extérieures et indicateurs économiques

Analyser la dette extérieure en rapport avec des indicateurs économiques telles que l’inflation, l’évolution des salaires ou de la valeur de la monnaie TND, permet d’évaluer l’impact de l’endettement extérieure au détriment du peuple tunisien, de son niveau de vie et de son pouvoir d’achat. Sur la figure 1, sont respectivement représentés en rouge et vert l’évolution du stock de la dette d’une part et du service de la dette d’autre part. Sur la décennie 2000-2009, l’endettement extérieur s’est accéléré, n’en déplaise à ceux qui souhaitent uniquement l’évaluer en % du PIB. Son accélération a été plus forte que celle observée par les indicateurs de l’inflation évaluée par la voie du « Consumer Price Index » et du « GDP deflator » (courbes bleu clair et marron). Sur le graphique 1, figure en violet la courbe indiquant la croissance des salaires minimum non agricole en Tunisie obtenu de l’institut national de statistique. Il apparait que l’inflation a augmenté de 30% en dix ans alors que les salaires n’ont augmenté que de 10%.

L’aggravation de l’inflation a été plus rapide que l’amélioration des salaires, avec un écart croissant et qui indique que la tendance s’accélère. Autrement dit, de 2001 à 2009, l’inflation a augmenté trois fois plus vite que les salaires et le phénomène s’accélère. Cet aspect démontre que le niveau de vie des Tunisiens a chuté. A côté de cela, la dette extérieure a augmentée cinq fois plus vite que les salaires et le phénomène s’accélère également. De la même manière, le dinar tunisien poursuit sa dévaluation progressive entamée depuis les années 1970. La dette extérieure n’a pas été investi directement dans des financements ayant profité à la population mais elle a été gaspillée dans le financement de l’administration de la dictature, ce qui caractérise une dette de régime et permet de la qualifier de dette odieuse et illégitime. La dette a profité au dictateur notamment par l’évasion de devises et le financement strictement réservé au cercle du pouvoir avec l’objectif de s’approprier et monopoliser l’économie du pays. Elle a été investi nous dit-on dans la STEG ou l’aéroport Ennfidha ou l’éducation. Pourtant ces projets ne nécessitent pas de financement extérieur. Par contre l’emprunt intérieur et le pouvoir de la BCT d’émettre et injecter de la monnaie dans l’économie locale pour réaliser ce type d’investissement sont suffisants. De plus la BCT détient également le pouvoir d’émettre des bons du trésor sur le marché local pour permettre le financement de l’état. Favoriser l’épargne et établir une politique fiscale juste et équitable qui met à contribution les revenus les plus riches sont également un moyen de générer des revenus à l’état. Recourir à l’emprunt extérieur pour payer les salaires des fonctionnaires, financer l’administration ou bien réaliser des investissements qui ne génèrent pas d’exportations est un suicide économique dont le résultat est un déficit budgétaire irréversible.

B – La méthode classique d’analyse de l’inflation pour la Tunisie

Figure 2: représentation classique de l’inflation de 1960 à 2009

 

Voici avec un peu plus de détails les indicateurs d’inflation obtenue de la base de données de la banque mondiale. Le graphique 2 est la représentation classique de l’a variation de l’inflation exprimée en pourcentage annuel de l’indice des prix à la consommation (en bleu depuis 1982) et L’inflation exprimée par le déflateur du PIB (en rouge depuis 1962). L’intérêt d’exprimer l’inflation par le GDP déflateur ou Déflateur du PIB réside dans le fait que celui-ci permet un regard historique et plus précis que le récent ICP, l’indice des prix à la consommation. On peut constater que la courbe s’infléchit, ce qui peut donner l’illusion que l’inflation a été maitrisée.

Dire de l’inflation qu’elle a baissé à partir d’un tel graphique, c’est induire les Tunisiens en erreur. Au contraire, tant que l’indicateur est situé au-dessus de 0%, l’inflation ne fait qu’augmenter. Ainsi, de 1962 à 2009, l’aggravation de l’inflation en Tunisie n’a jamais été maitrisée. Il est essentielle de noter que le GDP déflateur ou l’IPC sont des indicateurs qui minimise l’accroissement des prix réelle à la consommation. L’augmentation de ces prix se situe à des niveaux beaucoup plus élevé et il n’existe pas à l’heure actuelle d’indicateur précis permettant de refléter l’envolée globale des prix subits par les consommateurs.

C – La méthode alternative d’analyse de l’inflation pour la Tunisie

A partir de la base de données de la banque mondiale, il est possible d’extraire le graphique 3, qui fait la synthèse de l’évolution de l’inflation depuis l’origine des indicateurs exprimés en pourcentage cumulée de leur variation annuelle. Cette représentation alternative permet un regard sans biais de l’inflation. Sur la période 1960-2009, L’inflation à augmenter de près de 275%. C’est-à-dire que la vie est devenue au minimum 3,75 fois plus cher sur les 50 dernières années. Sur le graphique 3, figure en vert l’évolution de l’indice des prix à la consommation avec une méthode de calcul contemporaine qui tient compte d’une année de référence pour laquelle l’inflation aurait atteint la valeur100%, le double de sa valeur. L’intérêt de cet indice est donc d’estimer la période de temps nécessaire au doublement de l’inflation. On peut alors déterminer, par rapport à 2005 comme repère chronologique, que l’inflation a doublée en 30 ans.

Figure 3: Représentation alternative de l’inflation de 1960 à 2009

Ainsi, l’inflation n’a historiquement jamais était endiguée et ce quel que soit la politique de surendettement décidée par la dictature de Ben Ali. La stagnation encore moins la déflation de l’indice des prix à la consommation n’a jamais étaient observées et ne peut en aucun cas être constatée. Or, la dette extérieure, lorsqu’elle est mal employée, appauvrit le pays. En effet, pour rembourser ses intérêts, le pays est contraint de brader ses propres ressources naturelles, de privatiser ses entreprises les plus rentables, de libéraliser le compte de capital principalement en faveur des investissements directes étrangers (IDEs), ce qui invariablement réduit les ressources financière, réduit la croissance et affaiblit le pays. L’indice des prix à la consommation n’a historiquement jamais était aussi élevé. Ce phénomène démontre que le modèle économique néo-libérale est un échec et au final les consommateurs payent toujours plus cher ce qu’on lui donne à consommer, malgré tous les progrès revendiqués. Il est donc impossible dans ces conditions de mettre en évidence une quelconque amélioration durable du pouvoir d’achat des tunisiens par un recourt à l’endettement tel qu’il a été exécuté pendant les 23 ans de dictature de Ben Ali et encore aujourd’hui par le gouvernement de transition et son plan assassin. Non la dette extérieure de la Tunisie n’a pas et ne bénéficie toujours pas au peuple Tunisien !

D – la dette Yankee (MFI) une dette d’usure :

Tableau 1: La dette d’usure Yankee

En 1997, la dictature de Ben Ali a souscrit auprès des états unis, sur les marchés financiers internationaux, une dette sur les marchés financiers internationaux de 150 millions de dollars US avec un taux d’intérêt de 8.25% sur une durée de trente ans. Le règlement de cette dette devra donc se poursuivre jusqu’en 2027. Sur le tableau 1, figure le détail du calcul des échéances. Les échéances sont annuelles et sont appelées des annuités. Il y a donc 30 échéances entre 1997 et 2027. Le taux d’intérêt de 8,25% n’est pas appliqué sur la totalité du montant du principal, mais il est appliqué à chaque échéance sur le montant de la dette restant à payer. Autrement dit, chaque année, le taux est appliqué sur le reliquat de la dette. Ce calcul met en évidence que le taux réel appliqué sur le principal de la dette Yankee contractée est de 127,88% et correspond à un montant de 191,81 MUSD (tableau2). C’est-à-dire que pour les 150 MUSD qu’y ont été prêté à la Tunisie, le pays doit rembourser au total 341,81 MUSD qui correspondent à la somme du principal et des intérêts appliqués à chaque échéance (150 + 191,81 = 341,81). Dire que la dette yankee a un intérêt de 8,25% est un mensonge qui permet de dissimuler l’usure véritable dont le taux est de 127,88%.

Tableau 2: Bilan de la dette Yankee

En 2007 la totalité des 150 MUSD du principal de la dette yankee a été remboursée. Il reste donc 20 ans de règlements qui correspondent uniquement au paiement des intérêts de cette dette. En 2011, 55,71 MUSD (soit 37,14% du montant du principale) ont déjà été remboursé uniquement pour payer ses intérêts. Il reste donc pour la période 2011-2027, un montant de 136,1 MUSD a payé pour l’usure de la dette yankee. Doit-on les payer ? Incontestablement non ! Car comme nous l’avons vu précédemment, 55,71 MUSD ont déjà été payé pour les intérêts sachant que le principal a déjà été remboursé. Ces intérêts correspondent à un taux d’intérêt de 37,14% ce qui est déjà trop pour rémunérer une dette qui est présenté au peuple tunisien comme un aide financière.

E – Perspectives d’avenir.

La Tunisie doit se préparer à sortir de la spirale infernale de l’hémorragie de ses richesses qui viennent garnir des pays étrangers en mal de financement. Le rôle de la dette intérieure et de la BCT doivent être rétabli dans l’intérêt national pour permettre les investissements nécessaires à l’intérieure du pays. S’il est communément admis que la monétisation est une source d’inflation, il est également incontestable que cette inflation peut être compensée par une réévaluation des salaires et le relèvement des aides et des minima sociaux, ce que ne permet pas de faire la dette extérieure du fait des taux d’intérêts.
Le débat et la campagne internationale pour l’annulation de la dette extérieure de la Tunisie est véritablement lancé grâce au travail continu de monsieur Fathi Chamkhi président du Raid-Attac-CADTM-Tunisie. Les premiers fruits de cette campagne ont abouti à mobiliser le peuple Tunisien, les partis politiques engagés dans les élections du 23 octobre 2011 pour l’assemblée constituante et compte les soutiens suivants :

A titre personnel, je soutiens l’initiative de la suspension immédiate du paiement de la dette extérieure, de l’audit citoyen et rigoureux des créances et des finances de l’état Tunisien, l’annulation de la part odieuse et la réduction progressive des nouveaux emprunts qui doivent être associés à un programme économique sérieux et durable. Ceux sont des revendications légitimes de LA Révolution Tunisienne. Je suis partisan du financement des projets de la nouvelle Tunisie par de la dette intérieure grâce à des prêts à taux nul de la BCT, à la monétisation contrôlée par la BCT, l’émission de bons de trésor sur le marché local, la mise en contribution des revenus les plus riches par un politique fiscal équitable et favoriser l’épargne. Il est également primordiale pour le pays de développer l’épargne national ce qui, à ce jour, n’est toujours pas fait.

Le service de la dette pour l’année 2011 s’élève à 2 257 millions de dinars selon la loi de finance. En ce mois de septembre, la BCT et le gouvernement provisoire ont courbé l’échine devant les usuriers ; ils ont payé la deuxième tranche du règlement de la dette extérieure, sans véritable légitimité ni transparence. Ils ont présenté le plan « jasmin » devant le G8 avant même de la présenter au peuple Tunisien et sans même ouvrir un débat national sur la question. Ils ont prétendus avoir consulté les partis politiques mais ces allégations s’avèrent mensongères au fil des investigations. Ce plan prévoit un surendettement de 25 milliards de dollars avec des objectifs contestable et sans garantie d’y parvenir. Une analyse et des alternatives de financement sont présentées d’un travail élémentaire d’appréciation constructive du PLAN JASMIN et intitulé « plan jasmin du 08 octobre 2011 ». La dette du régime de Ben Ali n’a pas servi le peuple tunisien, Les dettes du gouvernement de transition n’ont pas servi les objectifs de la révolution. La suspension des paiements jusqu’à la réalisation d’un audit rigoureux et souverain doivent permettre l’annulation de la part odieuse, illégitime et très probablement illégale. Il est urgent de se mobiliser, d’informer et de diffuser ces informations essentielles à la souveraineté et l’autodétermination de la Tunisie, son avenir et celles des générations futurs.



Articles Par : Mehdi khodjet el khil

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