Un chevalier sur un cheval gris

Israel's Foreign Minister Tzipi Livni (L) greets U.S. Democratic presidential candidate Senator Barack Obama (D-IL) before their meeting in Jerusalem July 23, 2008. Obama pledged staunch support for Israel on Wednesday in Jerusalem, describing the Jewish state as a miracle and holding only a low-profile meeting with Palestinian leaders. From Reuters Pictures by REUTERS.
Livni et Obama
source de la photo Daylife.com

OH MON CHER ! Qu’est-il arrivé au chevalier sur son cheval blanc ?

Cette semaine, beaucoup d’admirateurs de Barack Obama furent choqués. Jusqu’à présent, on croyait que les énormes sommes d’argent affluant dans les coffres de sa campagne provenaient de citoyens anonymes, chacun envoyant un chèque de 100 ou 200 dollars.

Aujourd’hui, hélas, il a été révélé qu’une grande partie de ces millions proviennent en fait de gros donateurs – les grandes sociétés mêmes, leurs PDG et leurs lobbyistes, qui ont corrompu le processus démocratique dans de précédentes compétitions électorales. Ils dispensent leur largesse généreusement et simultanément parmi tous les candidats, de gauche à droite, de façon à être du côté du gagnant quoiqu’il arrive.

Obama avait promis de mettre un terme au vieux et sale système d’influence des entreprises par l’argent. Maintenant il apparaît qu’il participe lui-même à ce système corrompu.

Quelle déception !

POUR QUI vit dans le monde réel, la déception ne peut pas être tellement forte.

La campagne électorale moderne est un monstre insatiable. Elle dévore d’énormes sommes d’argent. Ceux qui innocemment croient que de telles sommes peuvent sortir de petits contributeurs anonymes se bercent d’illusions. C’est tout à fait impossible.

Obama avait reçu beaucoup de dons de citoyens ordinaires, et c’est un signe positif. Mais s’il avait refusé d’accepter la contribution de gros donateurs, qui sont nécessairement des donateurs intéressés, autant retirer sa candidature. Il aurait été noyé par le déluge des annonces TV empoisonnées de ses opposants, sans pouvoir y répondre.

Les États-Unis sont un immense pays, et tout changement significatif dans son système demande des années – sinon des générations, sauf s’il y a une révolution. Dans le système démocratique, un dirigeant seul ne peut effectuer que de petits changements – tout au plus.

Un véritable homme politique ne ressemble jamais à un véritable homme politique. Il n’est pas un chevalier sur son cheval blanc. Il est, au mieux, un chevalier sur un cheval gris.

Mais il y a beaucoup de nuances de gris. Toutes les nuances depuis le presque blanc jusqu’au presque noir.

En réponse à la vieille observation qu’il n’y a qu’une petite différence entre l’homme et la femme, la fameuse réplique française fut : « Vive la petite différence ! » [en Français dans le texte –ndt]

On peut difficilement quel serait le degré de différence entre un président Barack Obama et un président John McCain. Mais que ce soit l’un ou l’autre, il ne sera pas élu seul – après une élection présidentielle américaine, des milliers d’autres postes importants changent de mains. Il suffit de mentionner la prérogative du Président de nommer les juges de la Cour Suprême. Après huit ans de présidence Obama, cette institution vitale aurait un air très largement différent de la Cour qu’il y aurait après huit ans de présidence McCain.

Donc, l’affirmation cynique « Ils sont tous les mêmes » est hors de propos. Il y a une différence.

Alors, si quelques-unes unes des illusions des adulateurs de l’enfant prodige noir ont été ruinées et si tout le monde a été renvoyé dans le monde réel – ils ont été mieux à même de prendre leur décision de vote d’une façon réaliste.

DE CE POINT DE VUE, il existe une ressemblance intéressante entre la campagne américaine et la campagne israélienne. Si on parle là-bas de McObama, on peut parler ici de Molivni.

Tzipi Livni s’affronte à Shaul Mofaz pour la direction du parti Kadima et presque sûrement pour le poste de Premier ministre après le départ d’Ehoud Olmert.

Ici aussi on est tenté de dire « Ils sont tous les mêmes ». Quelle est la différence entre les deux ?

On a beaucoup dit et beaucoup écrit à ce sujet : les deux candidats (comme les deux autres qui ont aussi été en compétition) se présentent aux élections primaires du parti Kadima sans proposer de programme, sans proposer de solutions aux principaux problèmes, sans prévoir de réponses aux questions décisives qui se posent au pays.

ALORS y-a-t-il ou non une différence entre eux ? Il y en a assurément une. Aussi significative que cette petite différence.

Mofaz a beaucoup d’expérience. Livni en a à peine. Mais il est difficile de dire ce qui est pire.

Mofaz a été chef d’état-major des FDI, ministre de la Défense, ministre des Transports. Dans tous ces postes, il ne s’est distingué que d’une façon : il ne s’est pas distingué. Dans tous il fut au plus médiocre.

Il ne fit jamais quelque chose qui lui permettrait d’être mentionné dans les annales d’Israël. Sa seule victoire militaire fut sur les habitants du camp de réfugiés de Jénine pendant l’opération « Rempart », quand une des plus fortes armées du monde l’emporta sur quelques groupes de jeunes équipés de pistolets et de quelques fusils.

Il n’émit jamais une idée originale. Personne ne se souvient d’une seule phrase de lui, sauf la déclaration « Le Likoud est la maison. On ne quitte pas la maison » – exactement un jour avant qu’il quitte le Likoud et saute dans le train de Kadima.

Face à la riche « expérience » de Mofaz, le manque d’expérience de Tzipi Livni ressort. Si Mofaz est une page remplie dans un texte de second ordre, Livni est une feuille de papier presque blanche.

Elle se présente d’abord comme quelqu’un qui a pris le train de Sharon dès le début, ce qui témoigne de son sens politique aigu. Elle a occupé plusieurs positions subalternes et à la fin a eu le ministère des Affaires étrangères. Le poste de ministre des Affaires étrangères en Israël, comme dans tout pays, est très convoité : mais on ne peut pas se tromper. On est toujours sous les feux de la rampe, on est photographié dans des rencontres internationales impressionnantes, on reçoit des invités étrangers importants, et peu de gens réalisent que la politique étrangère est faite par le chef du gouvernement – le Président (aux États-Unis et en France) – ou le Premier ministre (en Grande-Bretagne et en Israël).

Une fois de temps en temps Livni rencontre Abou Ala, le représentant palestinien pour faire du surplace dans les négociations fictives. Après plus d’un an, pas un seul article de l’absurde putatif « shelf agreement » [accord destiné à être mis au placard – ndt] n’a été établi. A ce rythme, on peut attendre la paix dans un siècle ou deux.

Où en sont Mofaz et Livni par rapport à la politique nationale ? Il n’y a pas de doute sur Mofaz : Il est militariste par excellence, de droite à tous les égards, obséquieux devant l’establishment religieux orthodoxe, flattant bassement les colons. Son élection signifierait, au moins, un gel total de la politique et l’expansion accélérée de la colonisation. En bref : la guerre permanente.

Quant à Livni, personne ne sait ce qu’elle pense réellement : dernièrement, elle a essayé de déborder Olmert – quelquefois sur sa droite, quelquefois même sur sa gauche. Comme presque tous les ministres des Affaires étrangères, elle rayonne maintenant de modération. Cela vient du poste qu’elle occupe. Mais il n’y a pas si longtemps elle parlait des « criminels d’Oslo » pour dire Yitzhak Rabin et ses partenaires. Aujourd’hui elle parle de « deux États-nations » et dresse l’image d’un État juif et démocratique. Toutes ces phrases sont désormais des ballons d’essai qui n’engagent à rien. Comme Premier ministre, elle peut nous surprendre dans tous les sens. Impossible de savoir à l’avance.

Certains peuvent dire : nous connaissons Mofaz, et nous ne voterons pas pour lui. Livni nous ne la connaissons pas encore. Aussi donnons-lui une chance. Entre les deux, Livni est peut-être préférable.

A PROPOS des primaires de Kadima, on peut dire qu’elles sont une blague enveloppée dans une farce à l’intérieur d’une comédie (avec des excuses dues à Winston Churchill pour la paraphrase.)

Quand Ariel Sharon quitta le Likoud pour mettre en place son nouveau parti, il attira des réfugiés de tous les autres partis, ceux qui sentaient que leur avancement dans leur propre parti était bloqué. Le slogan aurait pu être : Opportunistes de tous les partis, unissez-vous ! Shimon Peres et Haim Ramon vinrent du parti travailliste, Olmert, Livni, Meir Sheetrit et, au dernier moment, Mofaz, vinrent du Likoud. Ils n’avaient rien en commun sauf l’espoir qu’en s’accrochant à la queue de pie de Sharon, ils pourraient entrer à la Knesset et le gouvernement.

Plus tard, beaucoup plus tard, il en résulta quelque chose qui ressemblait (avec un peu d’imagination) à un parti. Des fonctionnaires apportèrent leurs amis, des  pourvoyeurs de voix apportèrent des centaines et des milliers de bulletins de votes mercenaires, des blocs entiers d’électeurs. Ceux-ci constituent les soixante dix mille « membres enregistrés ». Ce sont eux qui voteront dans les primaires pour la présidence du parti, celui qui deviendra presque certainement Premier ministre.

C’est une caricature de démocratie. Elle confirme la phrase de Churchill selon laquelle « la démocratie est la pire forme de gouvernement excepté toutes les autres formes qui ont été essayées jusqu’alors. »

Penser que quelques centaines de personnes achètent des votes qui décideront de qui sera le prochain Premier ministre d’Israël est effrayant.

TOUS LES SONDAGES montrent que Livni a une très grande avance sur Mofaz pour autant que les gens soient concernés, et une bonne chance de gagner les élections à la Knesset. Mais Mofaz a un grand avantage dans les primaires de Kadima, à partir des blocs d’électeurs qui viennent des pourvoyeurs de voix. Il promet de mettre en place une coalition religieuse-nationaliste de droite dans la présente Knesset, de telle sorte qu’il n’y aura plus besoin d’élections générales jusqu’en 2010.

Alors qu’en est-il de la paix ? De l’occupation ? De la politique économique ? Des problèmes sociaux ? De l’éducation ? De la santé ?

Qui s’en soucie ?

Article en anglais,  « A Knight on un Gray Horse« , Gush Shalom,9 août 2008.

Traduit de l’anglais pour l’AFPS: SW.

 Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom



Articles Par : Uri Avnery

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