Un G7 aux allures d’une réunion de famille dysfonctionnelle

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Le groupe des sept pays les plus industrialisés – le G7 – s’est donné rendez-vous, fin août, sur les plages de la station balnéaire de Biarritz pour un 44esommet.

Cette chronique se veut une réflexion sur l’utilité et la légitimité de ce genre de rencontres de plus en plus coûteuses, contestées, sécurisées et bunkerisées. Aujourd’hui, un sommet du G7 ressemble drôlement à une réunion de famille dysfonctionnelle où chacun tire la couverte de son côté. Cependant, il faut féliciter l’hôte d’avoir su contenir les excentricités d’un oncle aux comportements imprévisibles et contraires aux objectifs de la rencontre.

Comment le G7 s’est éloigné de ses intentions initiales

Conçus à l’origine comme une « réunion au coin du feu » de sages dirigeants politiques préoccupés par les problèmes économiques et géopolitiques du monde, les sommets du G7 se sont peu à peu transformés en grands-messes solennelles destinées, comme le veut ce genre de cérémonie, à mettre en évidence la majesté des célébrants.

Les origines du G7 remontent aux troubles économiques et géopolitiques du début des années 1970 : abolition de l’étalon-or par le président Nixon en 1971, crise pétrolière provoquée par l’OPEP qui réclame une plus grande part des recettes, mouvement revendicateur des pays non alignés et la guerre du Viêt Nam qui s’éternise. Les grandes puissances capitalistes éprouvent le besoin de se concerter.

En avril 1973, les ministres des Finances des États-Unis, de l’Allemagne de l’Ouest, de la France et du Royaume-Uni se réunissent dans la bibliothèque de la Maison-Blanche, pour discuter de l’état tumultueux du système économique et financier international. Au commencement, il y eut donc ce G4 communément appelé le Library Group.

En novembre 1975, le président français Valéry Giscard d’Estaing, inspiré par cet antécédent, décide de porter la concertation sur le plan politique. Aux quatre membres, du Library Group, il ajoute l’Italie et le Japon. Il les invite tous à une rencontre informelle, affranchie de tout protocole, autour de l’âtre du Château de Rambouillet, alors résidence d’été des présidents de la République. Ils étaient six – le G6 – qui estimèrent utile, en se quittant, de se donner rendez-vous pour une autre rencontre similaire.

L’année suivante, le président des États-Unis, Gerald Ford, prend l’initiative d’inviter ses homologues à une autre rencontre, qui aura lieu à Dorado, une ville de Porto Rico reconnu comme territoire états-unien. À l’insistance des États-Unis, le Canada est invité – en la personne de Pierre Elliott Trudeau – à se joindre à ce club sélect des pays démocratiques les plus industrialisés. Le sommet de Dorado prend alors le nom de G7, qui demeure un forum informel : pas de siège social, pas de personnel, aucun règlement de fonctionnement, aucun pouvoir officiel ou légal, aucune loi ou directive qui en découle.

En 1982, le G7, qui se tient de nouveau en France, prend un tournant protocolaire spectaculaire. Le président François Mitterrand accueille ses copains et leurs porteurs de dossiers sous les ors de Versailles, dans un faste inouï, qui n’aurait pas déplu à la cour de Louis XIV. La rencontre s’achève en apothéose : dîner dans la Galerie des Glaces, spectacle de l’Opéra, concert à la Chapelle royale, feux d’artifice dans les jardins illuminés avec jeux d’eau nocturnes.

Dans les années 1980, les sommets sont marqués par la forte présence du tandem Thatcher-Reagan décidé d’imposer un modèle économique néolibéral aux autres membres du groupe. Le G7 de cette époque joue un rôle clé dans les négociations de l’Uruguay Round (1986-1994), qui aboutit à la création de l’OMC, la mère supérieure de l’ordre néolibéral.

En 1997, à l’initiative du Royaume-Uni, la Russie rejoint officiellement le G7 qui devient le G8. Ou plutôt le G7½, car la Russie restera exclue de la partie économique et financière des sommets. Elle est expulsée en 2014, en punition pour l’annexion de la Crimée et la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Manque de représentativité du G7?  En septembre 1999, le G7 financier, qui fonctionne en marge du G7 politique, va pallier cette lacune. À l’initiative du secrétaire au Trésor des États-Unis, le G20 est créé qui rassemble, en plus des membres du G7, une douzaine de pays émergents, comme l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie.  Le G20 est présenté comme « le premier conseil d’administration de l’économie mondiale », selon les termes du ministre des Finances du Canada, Paul Martin, qui participait à cette création historique.

Après le 11 septembre 2001, les États-Unis mettent les pays membres du G7 et du G20 sous pression, les incitant à adopter des lois antiterroristes, à renforcer l’industrie de la sécurité et à augmenter les budgets militaires.

Aujourd’hui, le G20 se décline sous trois formes : 1) le G20 politique, qui regroupe les chefs d’État et de gouvernement; 2) le G20 finance, qui rassemble les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales; 3) le G20 social, qui réunit les ministres de l’Emploi.

L’éléphant dans la pièce

Revenons à Biarritz. Même si l’on doit féliciter le président Macron d’avoir su modérer les excès de Donald Trump, ce dernier n’en demeure pas moins un trouble-fête dans l’agenda du G7 2019.

Malgré l’apparition du spectre de l’Amazonie en feu en plein sommet, Trump n’a pas daigné participer à la session du G7 sur les changements climatiques.

Concernant la guerre commerciale États-Unis–Chine, qui fait planer sur le monde capitaliste la menace d’une récession, Trump a montré un petit signe d’apaisement, mais aucune intention de reculer.

Malgré le coup de théâtre de l’atterrissage inopiné du chef de la diplomatie iranienne sur le tarmac de Biarritz, Trump n’a rien cédé sur ses politiques d’étranglement économique de l’Iran.

Sur la fiscalisation des géants du numérique, Trump s’est montré plus conciliant. Un mois plus tôt, il avait dénoncé la « stupidité de Macron » pour avoir pris les devants en imposant une taxe sur le chiffre d’affaires du GAFAM.

L’Oncle Sam s’est quand même gardé de saborder le sommet, tenant compte du fait que le prochain G7 se tiendra aux États-Unis, ce qui lui permettra d’imposer un ordre du jour aligné sur ses priorités et de se placer au centre du jeu, à quelques mois de l’élection présidentielle.

Revaloriser le rôle des Nations unies au lieu de le court-circuiter

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale et de la Grande Crise qui l’a précédée, les élites politiques qui ont géré ces catastrophes sont conscientes qu’il leur faut créer un système de gouvernance mondiale, qui réponde aux aspirations légitimes des peuples. C’est dans ce contexte qu’est mise au monde, en octobre 1945, l’Organisation des Nations Unies.     L’ONU s’est vue assigner deux objectifs : 1) veiller à la sécurité collective et à la préservation de la paix dans le monde; 2) promouvoir le progrès économique et social de tous les peuples.

Pour accomplir le deuxième volet de sa mission, l’ONU dispose d’un organe important : le Conseil économique et social (ECOSOC). Son mandat embrasse l’ensemble des questions économiques et sociales. On a eu peur des initiatives avant-gardistes de l’ECOSOC qui s’est vu gruger l’essentiel de son mandat par la Banque mondiale, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et, maintenant, par le G7 et le G20.

Il faut redonner à l’ONU le rôle qui lui a été assigné dans la gouverne des affaires du monde. Car, malgré ses défaillances, elle a joué un rôle irremplaçable dans la construction d’une communauté planétaire. Et cela, sur deux plans : la reconnaissance progressive des droits humains et l’émergence d’une société civile planétaire.

Jacques Gélinas

jacquesbgelinas.com

Photo en vedette : Le président Donald J. Trump se joindra aux dirigeants du G7 pour un dîner samedi soir le 24 août 2019 au phare de Biarritz à Biarritz, en France. (Photo officielle de la Maison Blanche par Shealah Craighead)

Source : flickr.com



Articles Par : Jacques B. Gélinas

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