Une fois de plus, l’Australie vole ses enfants aborigènes

L’enregistrement atteint un climax. Il y a la voix d’un enfant qui hurle alors qu’il est arraché à sa mère, qui supplie: “Il n’y a rien d’anormal avec mon bébé, pourquoi nous faites-vous tout cela ? J’aurais été pendue il y a des années n’est-ce pas ? Parce qu’en tant qu’Aborigène australien, vous êtes coupable avant d’être prouvé innocent.” La grand-mère de l’enfant demande à savoir pourquoi “le vol de nos enfants se produit-il de nouveau ?”. Un fonctionnaire des services sociaux dit: “Je l’emmène, mon pote”.

Ceci s’est produit envers une famille aborigène dans la cambrousse de Nouvelle-Galles du Sud. Cela se passe à travers l’Australie dans un énorme abus scandaleux des droits de l’Homme, abus largement ignoré et non dit, qui évoque la tristement célèbre période de la “Génération Perdue” du siècle dernier. Jusqu’aux années 1970, des milliers d’enfants métis furent volés à leurs mères par les fonctionnaires des services sociaux. Ces enfants furent donnés à des institutions pour en faire de la main-d’œuvre à très bon marché ou des esclaves, beaucoup d’entre eux furent battus et violés.

Décrite par un Protecteur en Chef des Aborigènes, la politique connue pour être assimilatrice, était aussi connue pour être le tristement célèbre “lavage génétique de la couleur”. Elle fut influencée par le même mouvement eugéniste qui inspira les nazis. En 1997, un rapport référence intitulé “Ramenez-les à la maison”, dévoila qu’au moins 50 000 enfants et leurs mères endurèrent “l’humiliation, la dégradation et la brutalité sans nom de l’acte de la séparation forcée… Le produit de politiques calculées et voulues de l’état australien.” Le rapport appela ceci, génocide.

A part le nom, l’assimilation demeure la politique du gouvernement australien. Des euphémismes tels que “réconciliation” et “meilleurs avenirs” couvrent des mesures d’ingénierie sociale similaires couplé à un racisme de longue haleine tout autant qu’insidieux au sein de l’élite politique, de la bureaucratie et plus largement, de la société australienne. Lorsqu’en 2008, le premier ministre Kevin Rudd présenta ses excuses à la Génération Perdue, il ajouta: “Je veux être franc et direct à ce sujet. Il n’y aura aucune compensation”. Le quotidien du Sydney Morning Herald félicita Rudd  de cette “fine manœuvre” qui “clarifia une politique endommagée qui répond aux besoins émotionnels de certains de ses supporteurs, mais ne change rien.”

Aujourd’hui, le vol des enfants aborigènes, incluant celui des bébés pris de la table d’accouchement, est bien plus généralisé qu’à aucun moment durant le dernier siècle écoulé. Depuis juin de l’an dernier, 14 000 bébés aborigènes ont été “enlevés”. Ceci représente un chiffre cinq fois plus élevé que lorsque le rapport “Ramenez-les à la Maison” fut écrit. Plus du tiers de tous les enfants retirés sont Aborigènes, et ce d’un chiffre d’une population qui ne représente que 3% de la population australienne. A cette vitesse, cette saisie de masse d’enfants aborigènes résultera en une génération volée de plus de 3300 enfants volés rien que pour la province du Territoire du Nord.

Pat (pas son vrai nom) est la mère dont l’angoisse fut enregistrée secrètement au téléphone alors que 4 fonctionnaires des services sociaux et 6 policiers arrivaient chez elle. Sur l’enregistrement, un fonctionnaire affirme qu’ils ne sont venus que pour faire une “évaluation”. Mais deux des policiers qui connaissaient Pat lui dirent qu’ils ne voyaient aucun risque pour l’enfant mais lui dirent aussi “de vite se sauver”. Pat s’enfuit, son jeune enfant dans ses bras, mais l’enfant d’un an fut éventuellement pris sans qu’on ne lui en donne une quelconque raison. Le lendemain matin, un policier retourna pour s’excuser et pour lui dire que son enfant n’aurait jamais dû être pris. Pat n’a aucune idée de l’endroit où se trouve son fils à l’heure actuelle.

Une fois, elle fut “invitée” par des fonctionnaires d’amener ses enfants dans un bureau “neutre” pour discuter d’un “plan d’attention”. Les portes furent verrouillées et les fonctionnaires se saisirent de ses enfants, l’un des plus jeunes s’agrippant à la ceinture révolver d’un policier. Beaucoup de mères indigènes ne connaissent pas leurs droits. Un tribunal pour enfants très discrets est devenu notoire pour valider les saisies d’enfants.

La plupart des familles aborigènes vivent à la limite du seuil de pauvreté. Leur espérance de vie dans des villes proches de Sydney est aussi basse que 37 ans. Les maladies de Dickens sont communes, l’Australie est le seul pays développé qui n’a pas éradiqué la maladie du trachome, rendant les enfants aborigènes aveugles.

Pat s’est à la fois courageusement rebellée contre et a aussi obéi à la bureaucratie punitive qui peut enlever un enfant sur juste un ouï-dire. Elle a été acquittée par deux fois de fausses accusations, dont une incluant le “kidnapping” de ses propres enfants. Un psychologue l’a qualifié de parfaitement capable d’être une bonne mère.

Josie Crawshaw, une ex-directrice d’une organisation respectée de soutien aux familles dans la ville de Darwin m’a dit: “Dans les zones reculées, les fonctionnaires y vont en avion très tôt le matin et emmènent les enfant à des milliers de kilomètres de leurs communautés. Il n’y a aucune explication donnée, aucun soutien et l’enfant peut disparaître à tout jamais.”

En 2012, la coordinatrice générale de l’organisation Remote Services des Territoires du Nord, Olga Havnen a été virée lorsqu’elle révèla que près de 80 millions de dollars étaient dépensés à la surveillance et à l’enlèvement des enfants aborigènes, comparés aux seuls 500 000 dollars alloués pour le soutien des mêmes familles appauvries. Elle m’a dit: “Les raisons principales d’enlèvement des enfants à leurs familles sont dus aux problèmes sociaux qui sont directement liés à la pauvreté et à l’inégalité. L’impact sur les familles est simplement horrible parce que s’ils ne sont pas réunis dans les 6 mois, il est fort probable qu’ils ne se reverront plus jamais. Si l’Afrique du Sud faisait cela, il y aurait une protestation internationale.”

Elle et bien d’autres à la longue expérience, avec lesquels j’ai eu des entretiens se sont tous fait l’écho du rapport “Ramenez-les à la Maison”, qui décrivait une “attitude” officielle en Australie à l’encontre des Aborigènes comme étant “moralement déficient”. Un porte-parole de Département des Familles et des Services Communautaires a dit que la majorité des enfants aborigènes enlevés à leurs familles en Nouvelle-Galles du Sud étaient placés chez des suppléants indigènes. D’après les réseaux de soutien aborigènes, ceci n’est qu’un écran de fumée, ceci ne veut pas dire familles d’accueil et le contrôle par la division est le véritable succès de la bureaucratie.

J’ai rencontré un groupe de grands-mères aborigènes, toutes des survivantes de la première génération volée, toutes ont eu des petits-enfants qui ont été volés. “Nous vivons de nouveau dans la peur” ont-elles toutes dit. David Shoebridge, un député vert ma dit: “La vérité est la suivante, il y a un véritable marché chez les blancs pour ces enfants, spécifiquement les bébés.”

Le parlement de Nouvelle-Galles du Sud va bientôt débattre d’une législation qui va introduire l’adoption forcée et le “gardiennage”. Les enfants de moins de deux ans seront concernés, sans le consentement de la mère, s’ils ont été “enlevés” depuis plus de 6 mois. Pour beaucoup de mères aborigènes comme Pat, cela peut prendre jusqu’à 6 mois pour reprendre contact avec leurs enfants. “Cela met les familles aborigènes manifestement sur la voie de l’échec”, a dit Shoebridge.

J’ai demandé pourquoi à Josie Crawshaw. “L’ignorance voulue de l’Australie au sujet de ses nations premières est maintenant devenue une sorte de tolérance qui arrive au point que vous pouvez écraser un groupe entier de l’humanité et cela n’est pas dérangeant.”

John Pilger

 

Article original en anglais : http://johnpilger.com/articles/once-again-australia-is-stealing-its-indigenous-children, 21 mars 2014

Enfant aborigèneOnce again, Australia is stealing its Indigenous children, Global Research, 27 mars 2014

Traduit de l’anglais par Résistance 71



Articles Par : John Pilger

A propos :

John Pilger is an award-winning journalist and filmmaker whose articles and documentaries have been published worldwide. For more information on John Pilger, visit his website at www.johnpilger.com

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]