Une nouvelle « Côte française des somalis »

(In memoriam Paul Nizan)

Le think tank (ne pas traduire par la pensée du tank) stratégique étasunien STRATFOR vient de dévoiler le plan de la première étape de l’invasion du Yémen (voir carte in fine)

Les commandos égyptiens envoyés par le maréchal président Sissi arrivent à Ryad où sont formées les unités égypto saoudiennes de combat au sol. Ceci confirme que le régime saoudien a une confiance limitée dans son armée de terre peu aguerrie. L’envoi d’unités blindées saoudiennes à Bahreïn pour impressionner les manifestants aux mains nues relevait de l’opérette. L’affrontement avec les combattants yéménites promet d’être plus rude et l’encadrement égyptien sera précieux.

La participation annoncée de la Turquie à la coalition anti-yéménite n’est pas encore connue avec précision mais elle se fera très probablement en application d’un accord défense conclu fort opportunément début Mars avec le Qatar qui permettra là aussi d’assurer un encadrement professionnel de haut niveau à des fantassins « Qataris » qui promettent d’être aussi « Qataris » que les ouvriers du bâtiment travaillant dans l’émirat.

De Ryad ces troupes sont expédiées à Berbera le port de la SOMALILAND. L’ex colonie britannique organisée en Etat  indépendant de facto de la Somalie remplit ainsi sa fonction de point d’appui discret de l’impérialisme occidental. Il aurait été possible d’utiliser les bases militaires  française et étasunienne de Djibouti mais cela aurait impliqué la collaboration de l’Etat indépendant de Djibouti. Le SOMALILAND n’étant pas un Etat reconnu n’a aucun compte à rendre aux instances internationales. La France qui a de bonnes relations avec ce quasi-Etat  est ainsi assurée d’être, en toute discrétion, au cœur du dispositif militaire en cours de déploiement. (voir bulletin COMAGUER 0280 joint)

De Berbera les unités égypto saoudiennes auxquelles s’adjoignent au passage quelques unités soudanaises sont envoyées à Aden et la grande guerre du Yémen peut commencer. Ces transports de troupe s’effectuent sous le regard attentif de toutes les marines (étasunienne, britannique, française, indienne, chinoise ….) présentes dans le golfe d’Aden pour lutter contre la piraterie.

Bulletin n° 280 – semaine 50 – 2014

Une nouvelle « Côte française des somalis »

Du temps de l’empire colonial la France avait jeté son dévolu sur le territoire actuel de Djibouti, emplacement stratégique contrôlant le débouché de la Mer Rouge sur le golf d’Aden et l’océan indien. Jusqu’en 1967 cette colonie porte le nom de Côte française des Somalis remplacé, après des affrontements interethniques, par Territoire français des Afars et des Issas.  Dix ans plus tard c’est l’indépendance.

Djibouti est aujourd’hui un état indépendant  où les Etats-Unis ont pris progressivement et massivement la relève de la France et où ils ont installé leur plus grande base  militaire sur le continent africain d’où se propagent leurs drones et leurs forces spéciales en Afrique comme au Yémen et au-delà.

Mais la France sarkollandaise néocoloniale  ne veut pas disparaitre de la région et tente une nouvelle aventure au Somaliland.

 

Le Somaliland est un morceau de la Somalie, Etat reconnu internationalement mais incapable d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire et classé hypocritement dans la catégorie des ETATS FAILLIS ce qui permet à toutes les activités illégales imaginables de se développer sans contraintes : trafics d’armes, entrainement de milices armées, piraterie maritime, enfouissement massifs de déchets toxiques. En pratique il existe ici et là des pouvoirs de fait  à la stabilité incertaine et qui garantissent à la population qu’ils contrôlent les moyens de sa survie quotidienne à défaut de mieux.

Cependant un de ces pouvoirs locaux ou régionaux a réussi à mettre sur pied un appareil politico administratif qui en fait aujourd’hui une quasi-Etat  auquel il ne manque plus que la reconnaissance internationale : le Somaliland.

Avant d’être un Etat, la Somalie a été dans la période de la colonisation européenne partagée entre le Royaume Uni, l’actuel territoire du Somaliland et l’Italie pour les restes du territoire somalien sous l’appellation de SOMALIA. A l’issue de la seconde guerre mondiale la partie britannique devient un protectorat  et la partie italienne est placée sous mandat de l’ONU. L’indépendance est accordée en 1960 et prend la forme d’un regroupement des deux entités coloniales. Sans rentrer plus dans le détail des évènements suivant l’indépendance et qui ont attiré l’attention internationale disons que le regroupement ne sera que superficiel et conflictuel et que le pouvoir théorique de Mogadiscio qu’il voudra même imposer par la guerre ne sera jamais accepté dans le SOMALILAND. Depuis 1991 le SOMALILAND, avec ses 4 millions d’habitants vit de façon indépendante sous l’œil bienveillant du Foreign Office et chouchoutée par le Capital britannique.

Mais voilà que la France s’en mêle. dans le respect de la fiction de l’état somalien unifié, la France a nommé un ambassadeur en Somalie. Comme ses jours et ceux du personnel de la mission diplomatique française seraient en danger à Mogadiscio il est en même temps ambassadeur au Kenya et installé à Nairobi.

Le personnage, Rémi Maréchaux, est particulier et bien représentatif des jeunes loups de la diplomatie française très intrusive promue par Sarkozy et poursuivie sur un mode plus patelin par François Hollande. Très portés sur l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats où ils sont nommés  ces personnages montent très vite dans la hiérarchie du Quai d’Orsay. Remi Marechaux 47 ans aujourd’hui,  lui a fait encore plus vite  puisqu’il s’est retrouvé très vite conseiller technique à l’Elysée pour les affaires africaines et promu par Sarkozy à la tête de la DGSE, rien que ça, en 2010. Un événement dans les « services » !

Il vient donc très officiellement de rendre visite aux autorités gouvernementales de SOMALILAND pour installer un climat de confiance et surtout pour faire avancer les intérêts africains d’une grande firme française : le groupe Bolloré.

Celui-ci a une politique  africaine ambitieuse. Bien installé dans les ports et les transports maritimes et terrestres dans les anciennes colonies françaises, il vise désormais d’autres pays du continent. Le SOMALILAND  a retenu son attention depuis quelques temps car ce pays stable exporte beaucoup de bétail vers le Moyen Orient, a des ressources d’hydrocarbures prometteuses et surtout a vocation à devenir l’exutoire de la vaste Ethiopie vers la mer. Celle-ci est a en effet été privée de son port sur la mer rouge par l’indépendance de l’Erythrée. Djibouti est trop militarisé par les Etats-Unis et corrompu. Reste donc le SOMALILAND et son port de Berbera excellemment placé sur le Golfe d’Aden et d’où pourrait partir un train vers Addis Abeba qui prendrait la place du fameux chemin de fer à voie étroite Djibouti-Addis Abeba, lent,vieilli et toujours à la recherche de nouveaux financements et un oléoduc acheminant du pétrole vers l’Ethiopie.

Notre ambassadeur nommé à Nairobi par Laurent Fabius est donc allé à Hargeisa la capitale du SOMALILAND, où il a rencontré le Président de la République Silanyo  et le Ministre des affaires étrangères Mohamed Behi, défendre les intérêts de Bolloré et montrer les bonnes dispositions de la France en faveur de la reconnaissance diplomatique du nouvel Etat. Ses hôtes ont bien compris la démarche et lui ont demandé tout simplement que la France se fasse le promoteur de la reconnaissance internationale du SOMALILAND au Conseil de sécurité.   Dans ce genre de dialogue on ne sait pas toujours qui va rouler l’autre dans la farine car les dirigeants locaux sont bien conseillés par les britanniques.  Ces amabilités suffiront-elles pour faire avancer le dossier BOLLORE  ou bien vont-elles susciter des réactions  dans le reste de la « Communauté impérialiste internationale »  ou bien, autre hypothèse, la France joue-t-elle  en avançant ses propres intérêts – ceux de BOLLORE en l’occurrence comme elle le fait dans toute l’Afrique, voir la récente visite de Hollande en Guinée où Bolloré vient de mettre la main sur le port de Conakry  – l’avant-garde d’un mouvement de cette communauté impérialiste internationale qui s’apprête à découper la SOMALIE en plusieurs morceaux en ne laissant subsister à Mogadiscio qu’un petit Etat croupion sans avenir.

Après la partition du Soudan  qui n’a engendré qu’une guerre sans fin, l’Union Africaine laissera-t-elle ce nouveau découpage néocolonial se faire ? Quelle place sera donnée aux populations habitant la Somalie dans la définition de leur avenir ? Souhaitent-elles un avenir  commun et auront-elles la capacité de s’exprimer ? Affaire à suivre !



Articles Par : Comaguer

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