Une obsession honteuse : les horribles crimes de l’Europe sont-ils pardonnés?

Un grand nombre d’intellectuels nord-américains sont toujours amoureux de tout ce qui est européen, et en particulier du « système social » européen ou de la « culture européenne ».

Il s’agit là d’une obsession morbide et honteuse, en grande partie fondée sur un désir désespéré de continuer à croire que ce n’en est pas fini de l’Occident, pas encore, et qu’en de nombreux domaines, il demeure supérieur au reste du monde. L’Europe est décrite comme quelque chose « d‘unique » et de différent des États-Unis, quelque chose qui mériterait l’admiration… au moins pour son passé et sa nature profonde.

Bien sûr, ce n’est jamais de cette façon qu’on la met en avant ou qu’on la définit, mais cette croyance (oui, cela ressemble beaucoup à de la foi religieuse) implique de façon indirecte qu’il est légitime pour l’Occident (ou en tout cas une grande partie de l’Occident) de continuer à dominer l’ensemble de la planète.

Il est clair que de nombreux hommes et femmes de gauche d’Amérique du Nord croient réellement en « l’exceptionnalisme » occidental, pas celui des États-Unis, mais celui de l’Europe.

Les intellectuels eurocentriques nord-américains nous expliquent de façon détournée, ou même directement, que les USA sont une sorte de hors-la-loi en train de faire dérailler ce merveilleux, ce glorieux, ce séculaire processus culturel européen et sa quête de l’égalitarisme.

L’Europe est souvent décrite comme ce qui contraste avec les États-Unis, ou leur opposé, l’opposé de leur égoïsme brutal et de leur capitalisme débridé… Telle est la réalité décrite par de très nombreux films, livres et essais progressistes.

 

 

Le Cheval colonialiste allemand en Namibie.
Le Cheval colonialiste allemand en Namibie.

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C’est là un point de vue quelque peu romantique (dans un sens Wagnérien, celui de la recherche d’une idylle), mais il ignore complètement des faits historiques clairs, et il défie la logique la plus fondamentale.

De plus, il trouble la réalité, rendant extrêmement difficile tout tentative sincère de résoudre ce cauchemar qu’est le monde actuel, cauchemar qui puise justement ses racines dans la domination qu’ont exercée pendant de si nombreux siècles la brutalité et la cupidité européennes.

Enfin, ce point de vue est d’un racisme arrogant. A la place de « l’exceptionnalisme » des USA, il promeut tout simplement « l’exceptionnalisme européen » et l’eurocentrisme. Tout doit être défini et jugé à l’aune des dimensions et de la « logique européenne », qu’il s’agisse du socialisme chinois, des « droits de l’homme », de la « démocratie » ou de l’ensemble des autres questions essentielles.

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Mais revenons à ce « système social » européen, la vache sacrée de la grande majorité des sympathisants de la gauche nord-américaine.

Il n’a pas été construit par les efforts et le travail honnête des peuples européens. Quiconque se donne la peine de jeter un œil aux cartes du monde qui décrivaient notre planète jusqu’à la seconde guerre mondiale, et les examine, comprend aisément cette vérité en quelques secondes.

Ce fameux « système social » a été bâti grâce à la réduction en esclavage des peuples colonisés. Il a été bâti sur les horreurs inimaginables qu’ont vécues ces centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants, massacrés sans merci par les puissances coloniales européennes. Il a été bâti sur l’oppression, la terreur, et, presque exclusivement, sur le vol et le pillage.

L’admirer revient à admirer quelque oligarque voyou et brutal, qui aurait amassé une fortune immense par l’extorsion et le pillage sans vergogne, construit un palais gigantesque, et fourni à sa famille ou son village une couverture médicale gratuite, l’éducation, quelques théâtres, des bibliothèques et des parcs.

Les colonialistes européens ont « saigné à blanc » l’Amérique latine. Ils ont volé tout ce sur quoi ils ont pu mettre la main dans ce qui est maintenant le Pérou, la Bolivie, l’Equateur, le Brésil, le Chili, le Mexique et tant d’autres endroits du continent.

Au contraire des néo-colonialistes US, ils ont assassiné tout le monde, la totalité des populations, comme par exemple durant la domination française de la Grenade, ou presque tout le monde, comme dans les îles polynésiennes orientales.

L’Europe a perpétré des massacres inimaginables de nos jours, comme ceux du roi de Belgique Léopold II, responsable d’environs 10 millions de vies perdues au Congo, à une époque où la population de ce pays ne représentait qu’une fraction de ce qu’elle est aujourd’hui.

Et à présent, de nouveau, les compagnies européennes sont responsables, en partenariat avec les compagnies US, bien sûr, d’une autre saignée de population de près de 10 millions de Congolais (en République démocratique du Congo), pour la seule raison que ce malheureux pays est très riche en minéraux stratégiques, comme le coltan ou l’uranium, et que ces occidentaux cupides ne peuvent tout simplement pas contrôler leurs envies. L’Occident soutient des régimes assassins au Rwanda et en Ouganda, qui tuent et pillent en son nom, en manipulant les médias de masse, en échafaudant des versions historiques insensées à propos du génocide de 1994… Les français complotent ouvertement afin de séparer la région du Kivu oriental, riche en minéraux, de la RDC, et de la confier au Rwanda pour qu’elle puisse être ravagée d’une manière bien mieux organisée.

Lorsqu’on en vient à dresser la liste des crimes contre l’humanité commis par l’Europe, aujourd’hui ou dans le passé, je ne sais jamais par où commencer, et par quoi terminer. La liste est si longue, si horrible, qu’un livre entier serait peut-être nécessaire pour en compiler la liste vraiment exhaustive.

Mais pour en donner un court résumé, cette liste devrait inclure l’holocauste allemand contre les peuples locaux de ce qui est à présent la Namibie, les super-génocides belges dans toutes leurs « dépendances », le pillage par les Pays-Bas de ce que l’on appelle maintenant l’Indonésie, les « activités » portugaises au Brésil, en Inde et en Chine, les actes de barbarie italiens en Afrique, les holocaustes et les dévastations déchainées par les Britanniques et les Français sur pratiquement tous les continents, lesquels se poursuivent jusqu’à ce jour, ignorés et sans opposition.

Les sociétés européennes ont été si « profondément impliquées » partout dans le monde qu’il est souvent impossible de séparer leurs activités propres des pires cauchemars fascistes qui se sont déroulés sur notre planète Terre, que ce soit la RDC déjà mentionnée, ou les usines Mercedes en Argentine, ou la « Colonia Dignidad » de l’Allemagne nazie (un grand constructeur d’autoroutes), où les prisonniers étaient sauvagement torturés et les femmes violées.

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La perception d’une Europe qui soit quelque part plus « progressive » que l’Amérique du nord est clairement « fabriquée » par des groupes europhiles et eurocentriques a New-York, Toronto, San Francisco et ailleurs.

Oui, l’Europe possède des filets de protection sociaux, et dans un grand nombre de ses pays, des systèmes décents et subventionnés de santé et d’éducation, mais… encore une fois, ceux-ci n’ont pas été mis sur pied ni alimentés par la créativité et la production ; au contraire, ils proviennent principalement des pillages coloniaux et néocoloniaux perpétrés à travers le Monde.

Combien de familles d’Asie et d’Afrique doivent mourir de faim, pour qu’un homme ou une femme allemande, retraités de bonne heure, encore vaillants, puissent péter confortablement dans leur canapé, à rester immobiles devant leur poste de télévision ?

Combien de fermiers sénégalais doivent-ils perdre leurs moyens de subsistance et faire faillite afin que les fermiers français et espagnols obtiennent leurs « subventions » et puissent conduire leur tout nouveau modèle de BMW ? Tandis qu’ils bénéficient, suivant l’année, d’une compensation généreuse pour « non-production », ou au contraire d’un fort encouragement à produire plus.

Et d’où vient cette théorie suivant laquelle seules les compagnies US seraient en train de piller le monde ? Elle ressemble presque à cette formule des plus sommaires : « multinationales = corporations basées aux USA ».

J’ai vu les groupes pharmaceutiques allemands en action pendant la guerre civile au Pérou. Que d’horreurs et de malveillance pour les populations locales !

J’ai étudié les géants de l’agro-alimentaire français et leurs actions en Indonésie, en Afrique de l’Ouest et ailleurs.

Et certains des plus horribles génocides dans le monde, notamment ceux qui ont eu lieu en République Démocratique du Congo (RDC) et en Papouasie, sont alimentés et stimulés par de nombreux conglomérats basés en Europe, pas seulement ceux dont les sièges sociaux sont situés aux USA.

Oui, les États-Unis se comportent comme des criminels à l’échelle mondiale, comme des bandits, mais ils ne sont assurément pas seuls, et leurs schémas de comportement sont clairement inspirés de la culture et de la mentalité colonialistes du « vieux continent ».

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Et l’Europe est sans remords aucuns, aussi arrogante qu’aux temps où ses armées marchaient par tous les continents et pénétraient dans toutes les capitales du monde, ce qui, si l’on y pense bien, n’est pas si ancien que cela.

Quand le gouvernement namibien a décidé de déplacer « le Cheval » (une statue érigée en tribut au colonialisme allemand, responsable de deux génocides en Afrique) hors de vue, dans la cour de l’ancienne aile du Musée national, la communauté allemande a protesté à grands cris. Ils n’en ressentaient aucune honte !

Comme l’un des membres européens de l’équipe permanente des Nations Unies à Windhoek me l’a dit, lors de ma visite en ces lieux, il y a à peine quelques jours, la statue avait en fait été érigée juste à l’endroit de ce qui avait été l’un des premiers camps de concentration sur terre, construit bien sûr par les Allemands.

A ce jour, le gouvernement de Namibie est toujours en train de négocier avec l’Allemagne pour obtenir le retour des cranes des indigènes décapités dont on avait envoyé les têtes en Allemagne par avion à des fins de « recherche », recherches qui étaient supposées « prouver » que les Africains sont inférieurs à la grande race allemande !

Alors que je filmais mon film documentaire « Rwanda Gambit » (le Gambit Rwandais) – au sujet de deux marionnettes occidentales outrageusement brutales en Afrique, Kagamé et Museveni – j’ai visité Bruxelles, parmi de nombreux autres endroits. Ce fut un choc de réaliser que la ville est encore pleine de statues et de stations de train et de métro portant le nom du Roi Léopold II, le boucher du Congo. Il fut l’homme sous le commandement duquel ceux qui « ne produisaient pas assez vite » sur ses plantations de caoutchouc, avaient les mains coupées, et voyaient leurs « villages de fainéants » brûlés entièrement, avec leurs habitants enfermés à l’intérieur des huttes.

Le Roi Léopold II : l’un des grands « héros européens » ! Pas de repentance.

Winston Churchill : le boucher du Moyen-Orient, et un raciste autoproclamé ; il est l’un des symboles de la « grandeur de l’Europe » jusqu’à ce jour !

L’Espagne, la « Mère Patrie », est ornée de statues de certains des pires bandits qui aient été, responsables du pillage du « Nouveau Monde », ce que nous appelons aujourd’hui l’Amérique latine. Et il n’y a pas si longtemps, avant cette grande révolution qui a balayé pratiquement tout un continent, les statues de bandits comme Francisco Pizarro décoraient fièrement les principaux parcs de Lima et d’autres capitales. Quelle insulte horrible pour les centaines de millions d’autochtones qui furent littéralement exterminés par ce pouvoir colonial européen !

Tout cela est tu par la propagande culturelle européenne. Dans certains pays, et certaines parties du monde (celles qui ont réellement gagné leur liberté et leur indépendance), ce sont des faits connus, mais dans d’autres, comme en Asie du sud-est, la campagne de lavages de cerveaux a été bien plus « efficace » et complète.

Le toilettage de collaborateurs, ceux qui constitueront les élites locales d’Afrique, d’Asie, du sous-continent indien et du Moyen-Orient, c’est principalement dans les capitales européennes qu’il est réalisé, que ce soit à Londres, à Paris ou plus récemment, à Berlin.

C’est l’Europe, et non les États-Unis, qui a développé depuis des siècles un incroyable système de propagande, lequel en arrive à justifier ses massacres colonialistes, ses croisades, son contrôle et son pillage de l’ensemble de la planète, un système mis en œuvre avec une cohérence et une prévisibilité mortelles. Ce système n’a cessé d’évoluer et de s’« auto-perfectionner » depuis le Moyen-âge, et même au cours des temps anciens qui ont précédé. Machiavel n’en était, bien sûr, qu’un des démagogues mineurs, pas le principal coupable.

La propagande US est totalement transparente et profondément vulgaire. Pour contrôler le monde, il est nécessaire de se doter d’une supervision plus « raffinée » et plus « culturellement sophistiquée » ; en un mot, de mensonges mieux formulés.

Voilà pourquoi il est réellement pathétique et ridicule de donner à l’Europe le titre de « complice subalterne du crime ». Elle n’est pas « subalterne » du tout. Elle est juste très vieille, paresseuse et venimeuse. Elle laisse donc à son rejeton le soin de bombarder et de se répandre en hurlements. Mais elle s’emploie à ruiner les esprits et l’intelligence des peuples tout autour du monde. La démagogie et la vraie propagande viennent de Londres, Paris, Madrid et Berlin.

La « culture » européenne est derrière ces crimes, et elle est en charge de la propagande, par ses justifications, par ses mensonges, par sa désinformation.

Et ce sont de très belles pièces de butin que l’Europe récupère.

Dans ce jeu impérialiste et néo-colonialiste, il n’y a pas de rôles majeurs ou mineurs. Tous les rôles sont essentiels, et ils sont répartis avec talent.

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En Europe, on entend souvent répéter que ce sont les États-Unis qui sont coupables d’impérialisme et de néo-colonialisme, et que le reste du monde en est conscient.

C’est une complète ineptie.

Par le passé, j’ai vécu à Hanoi, au Vietnam, pendant plusieurs années. Détenteur de la citoyenneté US, j’étais souvent choqué de voir à quel point les Vietnamiens étaient amicaux et prêts à pardonner. Une fois, alors que nous buvions une bière, j’ai demandé à un bon ami : « Vous n’avez donc aucune rancune envers les USA ? »

Sa réponse m’a choquée, mais très vite je l’ai comprise.

« Nous avons combattu les États-Unis. Cela a été une guerre terrible, et nous avons perdu des millions de personnes. Mais, à la fin, nous avons gagné. Nous avons pardonné… Mais nous n’avons jamais réussi à pardonner aux Français. Ils ne nous ont jamais vraiment combattus, sauf à la fin de l’ère coloniale. Mais ils nous ont humiliés, ils ont pillé notre pays, et violé nos femmes… »

Il est devenu clair à mes yeux que, pour le fier peuple vietnamien, il était plus facile de pardonner le napalm et les tapis de bombes que les tessons de bouteille insérés dans le vagin de leurs femmes, une méthode de torture courante en Indochine. Mieux vaut mourir avec fierté, que souffrir un constant déshonneur.

Demandez aux gens du sous-continent indien où ils préfèreraient aller, s’ils devaient quitter l’Inde. L’Europe, à l’exception de Londres, figure rarement sur leur liste de priorités. Oui, on peut dire que l’Inde est un endroit très particulier, et que les États-Unis et elle sont vraiment devenus bons amis ces derniers temps. Je l’ai critiquée pour cela. Mais la raison pour laquelle une grande majorité d’Indiens choisiraient d’émigrer d’abord vers les USA, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou l’Afrique du Sud, est simplement qu’ils se sentiraient plus à l’aise dans ces pays, où ils seraient bien mieux traités qu’en Europe ; car honnêtement, l’Europe est outrageusement raciste. C’est le continent béni où coulent le lait et le miel si vous êtes blanc, en particulier si vous êtes un blanc de « l’Ouest ».

Les maitres coloniaux – les États-Unis – ont assassiné un million de Philippins. Mais il n’y a pas d’animosité à leur encontre dans le pays. C’est étrange, je sais, et c’est en partie dû au lavage des cerveaux et à la propagande. Mais il y a également une certaine logique à cela : la conquête et la domination espagnole étaient, en comparaison, bien pires.

Les Européens ont versé le sang partout. Et leur arrogance a laissé un terrible arrière-goût à travers le monde.

Le saccage de Beijing par les Français, la colonisation, le pillage et la division de la Chine par les Britanniques, les Français, les Portugais… tout ceci est oublié en Europe, mais pas dans celle qui est la plus peuplée des nations de la terre.

Les Hollandais et leurs crimes sans nombre, ce pillage insensé de ce qui est maintenant l’Indonésie n’a jamais été pardonné ni oublié dans l’archipel ; en Europe, cependant, on ne parle de rien.

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Qui a construit les palais, les théâtres, les hôpitaux et les écoles d’Europe ? Quel sang a été versé afin que les Européens puissent avoir leurs « filets de protection sociaux » ? Quelles terres ont été volées ? Quelles forces de travail ont été utilisées ?

Je l’ai répété à de nombreuses reprises, et je vais le dire encore aujourd’hui : je suis totalement ulcéré, absolument contre toutes ces « couvertures médicales gratuites » en Europe. Je suis contre leurs « couvertures sociales » aussi longtemps qu’elles seront payées avec le sang et les larmes des peuples des pays pauvres.

Je les salue – ces couvertures sociales ou d’autres similaires – lorsqu’elles sont mises en œuvre à Cuba ou au Venezuela, en Chine ou en Afrique du Sud, car là-bas elles le sont « par le peuple » et « pour le peuple ». Mais pas en Europe ! Vu comme leur économie est structurée, il est clair que pour qu’une grand-mère en Allemagne puisse avoir de longues discussions gratuites avec son docteur, des douzaines de personnes en Afrique et ailleurs doivent souffrir de famine et vivre en servitude.

Le meilleur scénario serait une couverture médicale gratuite globale et universelle, de même qu’un système éducatif et tant d’autres projets sociaux gratuits, globaux et universels.

Mais ce n’est pas comme cela que les Européens voient le monde. Ils veulent être « uniques ». Ils veulent être les « élus ». Ils n’en ont strictement rien à faire de savoir combien de personnes meurent pour leur permettre de vivre leurs vies bien abritées et sclérotiques.

Et par-dessus tout, les pays européens visitent leurs anciennes colonies et les sermonnent à propos de « bonne gouvernance », leur allouant des bourses, et enseignant la « démocratie » aux jeunes.

La « bonne gouvernance » n’est bien sûr rien d’autre que la mise en œuvre de systèmes qui continueront à servir les affaires et les intérêts géopolitiques de l’Occident. La « démocratie » est un concept politique qui ne permettrait jamais un réel changement.

Vous n’entendrez jamais dire que le Goethe Institute ou l’Alliance Française organisent une série de conférences en Afrique ou en Indonésie à propos de couverture médicale gratuite ou d’accès gratuit à l’éducation.

Et les gens d’Afrique et d’Indonésie qui voyagent en Europe en viennent à dire : « Mon Dieu ! Quel magnifique système social. Pourquoi n’avons-nous jamais réussi à en construire un nous-mêmes ? » Et bien quoi ? Vous l’avez construit ! Mais pas pour vous ! Vous l’avez construit pour les Hollandais et les autres Européens ! »

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C’est un très mauvais service que la gauche nord-américaine rend au reste du monde avec son eurocentrisme bien dévoué !

Il pourrait réellement s’agir là de la principale raison pour laquelle la « gauche » a été vaincue.

Le monde est mesuré et analysé selon la logique occidentale, principalement européenne, qui est tout à fait étrangère, et même hostile, aux peuples du reste du monde.

L’arrogance et le côté rustaud de ces analyses agissent comme des repoussoirs pour les gens issus des plus grandes cultures et sociétés de la terre, notamment ceux de Chine, de Russie, du Moyen-Orient, d’Afrique, mais aussi dans une grande mesure, d’Amérique Latine.

Et nous parlons ici de sociétés dans lesquelles la gauche – leur propre gauche, qui a grandi en leur sein – a été victorieuse ces derniers temps !

Mais cette gauche-là n’est pas assez bien pour la plupart des Européens et de leurs admirateurs nord-américains. Le socialisme chinois n’est pas vraiment du socialisme, car il n’est pas fondé sur la « culture » européenne. Tant qu’il n’a pas reçu l’approbation officielle des intellectuels de Paris, Londres ou Rome, il ne saurait s’agir de vrai socialisme, en aucune façon !

Depuis des années, depuis le début du Processus [Ndt : l’ensemble des mesures prises par le gouvernement Chavez et ses successeurs en vue d’atteindre une autonomie véritable et complète du Venezuela], je me suis battu pour Chavez. J’ai même commencé à travailler et à réaliser des films pour Telesur. Je suis un chaviste convaincu, pas parce que je crois que sa gouvernance a été sans défaut, mais parce que je suis convaincu qu’il entrainait son pays, et le monde, dans la bonne direction. Et parce que son peuple l’a choisi, encore et encore ! Mais il a fallu plus d’une décennie pour que la gauche occidentale, et encore, seulement une petite partie de celle-ci, commence à prendre la révolution vénézuélienne au sérieux ! Et les mêmes continuent à dénigrer Cuba !

Je suis avec la Chine de tout mon cœur. J’ai vu le socialisme chinois transformer le pays, et j’ai pu assister à l’énorme travail qu’il réalise à l’étranger. Mais plus la Chine devient socialiste (et encore une fois elle l’est, de plus en plus), plus elle s’attire la hargne des intellectuels occidentaux, en particulier des intellectuels européens, lesquels ont échoué aussi platement que manifestement dans leur propre pays et ne savent faire montre aujourd’hui que d’amertume envers toute nation sur terre où cet esprit jeune, progressiste et sain entraine des millions de personnes vers la construction de nouvelles écoles et hôpitaux, de chemins de fer à grande vitesse et de réseaux de métros, de parcs publiques et de logements sociaux. Il leur est impossible d’accepter que des asiatiques montrent le chemin ! Préférable leur semble d’enterrer définitivement tout ce qui fait la gauche plutôt que d’y consentir.

J’assiste à la même chose aujourd’hui, ici, en Afrique du Sud ! Plus ce pays merveilleux change, se transforme, plus il fait pour son peuple, et plus il est la cible d’attaques, et plus on lui crache dessus.

Mais bon sang, tout est différent ici ! Tout ici s’inscrit dans des dynamiques très différentes de celles de l’Europe. La Chine est profondément différente, et c’est également le cas de sa culture et de sa manière de faire les choses. Et Dieu merci si c’est différent ! Les gens partout dans le monde en ont eu assez du chauvinisme culturel européen, qui, finalement, en arrive toujours au même résultat : la recherche de privilèges exceptionnels pour les peuples dont la plus grande « réussite » a été la réalisation de massacres et de pillages d’une ampleur et d’une intensité jamais vues sur notre planète !

Demandez aux Africains s’ils préfèrent accueillir les Chinois ou les Européens sur leur sol, et auxquels des deux ils font confiance ? Malgré la propagande au vitriol de la BBC, la grande majorité des gens sur toute la surface de ce continent ravagé vous dira qu’elle fait bien plus confiance à Beijing qu’à Londres, Paris ou Bruxelles !

Mais ils n’ont aucune importance ! Combien de voix africaines (à l’exception des plus collaboratrices) sont retransmises par les médias européens, ou par les plus progressistes d’entre eux en Amérique du nord ?

Vous voyez, les étrangers, c’est-à-dire la grande majorité du monde, ne sont en fait pas dignes de confiance. Regardez qui écrit sur la Chine, la Russie, l’Amérique latine ou l’Afrique ? Regardez juste leurs noms ! Combien de noms chinois, japonais, coréens ou africains voyons-nous, même dans les publications progressistes occidentales ? Et combien de noms latins y sont admis ?

L’Inde est une exception. Les intellectuels indiens parlent anglais, et beaucoup d’entre eux (pas tous, cependant) font partie du jeu occidental : qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre.

Chacun, en Occident, profère des jugements sur la Chine, le Venezuela ou l’Afrique, et en particulier les Européens ou ceux qui prennent l’exceptionnalisme européen pour en faire le point de départ de leur réflexion.

J’ai des nouvelles très peu plaisantes mais honnêtes pour la gauche eurocentrique nord-américaine : dans un grand nombre de pays, partout dans le monde, là où le socialisme est réellement en train de se construire et où l’on se bat pour cela alors même que nous parlons, la plupart des gens ne veulent plus rien avoir à faire avec la gauche occidentale, précisément pour les raisons que j’ai énumérées plus tôt. Elle est regardée là-bas comme condescendante, hostile et extrêmement peu serviable.

Mes nombreux camarades chinois à Beijing sont indignés. Ils ont l’impression que leur pays, qui a tant fait pour son peuple et pour le monde, est insulté, trainé dans la boue et diffamé… bien souvent par la gauche occidentale, principalement l’européenne !

Je vois la même colère en Afrique du Sud.

Et je dois avouer ici que je partage les mêmes émotions. Si on me forçait à choisir, à prendre parti, je n’hésiterais pas un instant : c’est à l’Amérique latine, à la Chine, à la Russie, à l’Erythrée, qu’irait mon allégeance, pas à la gauche occidentale, et pas à cette vision européenne du monde.

Aucun continent, aucune partie du monde, n’a jamais endommagé ou blessé notre planète autant que l’Europe l’a fait. Pas même les États-Unis. Et les origines de cette terreur que les USA et leurs alliés ont répandue partout, c’est dans les interminables et horribles siècles qui ont précédé qu’elles résident, ce que décrivent si bien les cartes historiques du monde.

Je ne souhaite pas que le monde soit jugé, défini et dirigé par les idées et les perceptions européennes. Je crois à la responsabilité et à la culpabilité collective, et je tiens l’Europe pour responsable de la plupart des conflits, divisions et scénarios de cauchemars que nous vivons actuellement sur cette planète Terre.

Nous avons besoin d’unité, et nous y travaillons.

Il serait impensable pour la Chine de commencer à dénigrer les manières de voir de l’Afrique du Sud ou du Brésil.

Le Venezuela ne se mettrait jamais à critiquer la culture russe, ou la manière de faire des Russes.

Avant que mon dernier film documentaire ne soit diffusé par Telesur, à travers l’Amérique Latine et le monde entier – un film sur les terribles bidonvilles de Nairobi, créés par le cauchemar capitaliste kenyan – l’une des personnalités de premier plan du réseau nous a demandé de retirer du film les passages dans lesquels l’ambassadeur vénézuélien, ainsi que quelques politiciens kenyans, répétaient à l’envi que seule l’adoption du modèle vénézuélien pourrait sauver leur pays.

L’argument avancé par la chaine de télévision la plus influente d’Amérique latine était clair : « C’est une insulte de diffuser ainsi un officiel vénézuélien de haut rang [NDT : tenant de tels propos]… La grande nation kenyane connait et trouvera son propre chemin pour avancer. »

Je n’étais pas vraiment d’accord, mais j’ai compris le principe. L’argument était plein de respect pour ce lointain pays africain qui souffrait, et pour son peuple.

Les camarades vénézuéliens refusaient d’imposer le chemin que doivent suivre leurs frères et sœurs d’Afrique.

La Chine adopte une attitude identique : « Si vous avez besoin de nous, nous vous aiderons, mais n’attendez pas de nous que nous débarquions pour vous enfoncer notre système dans la gorge ! Et nous ne vous jugerons pas. Nous ne vous dirons pas qui vous êtes, ni quoi faire ! »

* * *

J’écris ceci à Maseru, la capitale du Lesotho, qui vient de connaître un coup d’État avorté. Je suis assis au café de l’Alliance Française… Trois blancs sont assis à la table la plus proche, et parlent en allemand. Malheureusement, je les comprends.

Ils sont en train d’affirmer que l’Union Africaine et la CDAA (Communauté de Développement d’Afrique Australe) sont pathétiques et inutiles. Ils méprisent cette partie du monde. Ils sont venus y prêcher. Ils sont pleins « d’idées » pour changer l’Afrique, pour la pousser dans leur direction. Je ne sais pas s’ils travaillent pour une banque ou pour l’Union Européenne.

Je ne veux rien avoir à faire avec eux. Je ne veux pas qu’ils continuent à diriger ce monde. Ils sont venimeux, toxiques.

A quelques minutes de marche de là, je vois des hommes et des femmes de la police sud-africaine. Pretoria a agi immédiatement après le coup d’État dans le pays voisin ; à la demande de ce dernier, ils ont envoyé des forces d’élite de la police pour protéger le gouvernement et les institutions-clé. Tout comme le Brésil en Amérique du Sud, l’Afrique du Sud s’investit directement pour améliorer la vie dans son coin du monde.

Spontanément, je m’approche d’une femme qui vend des fruits à un coin de rue, comme pour me laver de toute cette rhétorique néo-colonialiste européenne :

« En qui avez-vous le plus confiance : les Sud-Africains, ou les Européens ? »

Elle rit, pensant que je plaisante :

« Mais… ce sont nos frères et sœurs », dit-elle en tendant la main vers les policiers sud-africains. « Deux de mes sœurs vivent dans leur pays. Nous sommes au courant de tout ce qui se passe là-bas… Toutes leurs réussites et tous leurs problèmes… »

Alors que je monte dans la navette qui doit me conduire vers le petit aéroport de Maseru, pour une raison inconnue, je me sens léger, heureux, et plein d’espoir.

André Vltchek

 

Article original : A Shameful Obession: Are Europe’s Horrid Crimes Forgiven? (counterpunch.org, anglais, 12-09-2014)

Traduit par Etienne et revisé par Goklayeh pour vineyardsaker.fr

 

André Vltchek est romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il a couvert des guerres et des conflits dans des dizaines de pays. Le résultat en est son dernier livre: « La lutte contre l’impérialisme occidental ». « Pluton » a publié sa discussion avec Noam Chomsky: « Du terrorisme occidental ». Son roman « Point de non-retour », acclamé par la critique politique, est réédité et disponible. « Océanie » est son livre sur l’impérialisme occidental dans le Pacifique Sud. Son livre provocateur sur l’Indonésie post-Suharto et le modèle fondamentaliste de marché a pour titre « Indonésie – L’archipel de la peur ». Son long métrage documentaire, « Le gambit Rwandais » porte sur l’histoire du Rwanda et le pillage de la République Démocratique du Congo. Après avoir vécu de nombreuses années en Amérique latine et en Océanie, Vltchek réside et travaille actuellement en Asie de l’Est et en Afrique. On peut le contacter via son site internet ou son compte Twitter.



Articles Par : Andre Vltchek

A propos :

Andre Vltchek is a philosopher, novelist, filmmaker and investigative journalist. He covered wars and conflicts in dozens of countries. His latest books are: “Exposing Lies Of The Empire” and “Fighting Against Western Imperialism”. Discussion with Noam Chomsky: On Western Terrorism. Point of No Return is his critically acclaimed political novel. Oceania - a book on Western imperialism in the South Pacific. His provocative book about Indonesia: “Indonesia – The Archipelago of Fear”. Andre is making films for teleSUR and Press TV. After living for many years in Latin America and Oceania, Vltchek presently resides and works in East Asia and the Middle East. He can be reached through his website or his Twitter.

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