Verdict contre Bradley Manning : la criminalisation de la révélation de crimes

Mercredi, le jour qui a suivi la déclaration de culpabilité de Bradley Manning par un juge de l’armée, le Washington Post a publié un article intitulé, « La culpabilité de Manning considérée comme rendant probables des poursuites contre Assange de WikiLeaks. » Le Post notait que les procureurs, c’est-à-dire le gouvernement Obama, avaient spécifiquement adapté leur stratégie contre Manning pour impliquer le fondateur de WikiLeaks.

« Les procureurs militaires à la cour martiale ont dépeint [Julian] Assange comme un « anarchiste de l’information » qui a encouragé Manning…Et ils ont insisté sur l’idée que l’on ne peut considérer ce groupe anti-confidentialité comme un organe médiatique qui publiait les informations fuitées, dans l’intérêt du public, » écrit le Post. L’accusation a continuellement tenté de présenter Assange comme un complice.

D’autres articles présentaient un thème similaire, y compris un article de l’Associated Press qui affirmait que la condamnation de Manning « renforce la politique agressive du gouvernement Obama contre des gens qu’il considère être à l’origine des fuites dans les médias des secrets relevant de la sécurité nationale. » Outre Assange, l’AP a noté que « les accusations du gouvernement contre Edward Snowden, la source des fuites sur les activités de la National Security Agency » vont probablement être « similaires à l’affaire contre Manning. »

C’est une preuve de plus que le procès truqué du jeune lanceur d’alerte Manning fait partie d’une campagne brutale du gouvernement visant à criminaliser toutes les révélations sur la criminalité du gouvernement.

Les poursuites contre Manning, qui risque une peine maximale de 136 ans de prison, visent à en faire un exemple et à établir un précédent. Lancer une alerte, déclare le gouvernement, revient à de l’espionnage et de la trahison.

Le gouvernement Obama a déjà ouvert une enquête de jury d’accusation (grand jury) sur Assange et WikiLeaks, et il y a des indications selon lesquelles une mise en examen secrète a été déposée. Le gouvernement a accusé Snowden en s’appuyant sur l’Espionnage Act pour ses actions dans la révélation de programmes d’espionnage illégaux du gouvernement. Si Snowden ou Assange sont capturés par les États-Unis, il ne fait aucun doute qu’ils seront confrontés au même sort, sinon pire, que Manning.

Obama, ainsi que les hauts responsables de l’armée et de l’appareil des services de renseignement, est tout à fait conscient que les actions prises au cours de la décennie passée violent des lois innombrables et des garanties constitutionnelles.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme, » la classe dirigeante américaine, d’abord sous Bush puis sous Obama, s’est engagée dans une criminalité pernicieuse, dont seule une petite partie a été démasquée par les révélations de Manning et Snowden. Washington est responsable des centres de torture sur toute la planète, de l’espionnage de ses citoyens à une échelle sans précédent, des transferts illégaux de prisonniers vers des pays où ils seront torturés, et des lois antidémocratiques secrètes rédigées par des tribunaux secrets.

Mercredi, le Guardian a fait connaître encore un nouveau programme de surveillance, Xkeyscore, qui permet aux analystes de la NSA, contrairement à ce qu’avaient affirmé des responsables du gouvernement et des services de renseignement, de passer en revue de « vastes bases de données contenant des courriels, des discussions par chat, et les historiques de navigation de millions d’individus » sans devoir pour cela obtenir une décision de justice.

Tous ces crimes découlent des guerres illégales en Afghanistan et en Irak. Manning lui-même a été troublé par les atrocités qu’il a vues en Irak durant une guerre fondée sur des mensonges éhontés. Des centaines de milliers de gens ont été tués. Des villes entières ont été détruites.

Les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak ont été suivies d’autres crimes de guerre, le gouvernement américain opère maintenant une flotte de drones qui font pleuvoir la mort sur les peuples de toute la planète.

Manning va passer des décennies en prison, sinon toute sa vie, pour avoir aidé à révéler ces crimes, pendant que ceux qui les ont commis sont libres ou occupent des bureaux confortables à la Maison Blanche.

Une inquiétude particulière de la classe dirigeante vient de ce que des individus comme Manning et Snowden, utilisant le pouvoir d’internet, ont été en mesure de contourner l’emprise des médias américains, qui ont été complices de toutes les conspirations du gouvernement contre la population.

Le New York Times en particulier a joué un rôle indispensable dans la propagation des mensonges utilisés pour lancer la guerre d’Irak et a utilisé ses pages pour mener une campagne de diffamation contre Assange et Snowden. Dans un éditorial sournois paru mercredi, le Times déclarait, « Il ne fait aucun doute que le soldat Manning a enfreint des lois. » Cette affirmation, lâche et digne d’une crapule, est publiée au moment où Manning est confronté à l’emprisonnement à vie pour avoir révélé les actions illégales du gouvernement !

Un autre article qui accompagnait cet éditorial le même jour, intitulé « Un solitaire qui cherchait un refuge, s’est retrouvé dans une guerre, » s’ouvre sur une référence gratuite aux procureurs militaires qui « classent [les actes de Manning] parmi les plus grandes trahisons de l’histoire du pays. »

Manning, Assange et Snowden ont mis leur vie en danger pour révéler au peuple américain les actions secrètes d’un appareil militaro-secret qui opère sans restriction et au-dessus des lois.

En pensant au sort de ces trois hommes, revient en mémoire le procès d’Hans et Sophie Scholl, exécutés pour trahison parce qu’ils avaient distribué des tracts dans le cadre du groupe de la Rose blanche qui s’opposait au régime nazi en Allemagne et qui révélait ses meurtres de masse contre les Juifs, les Polonais et les Russes. (On peut voir une reconstitution cinématographique du procès des Scholl ici).

« Là où nous nous tenons aujourd’hui, vous serez bientôt, » avait déclaré Sophie Scholl avant d’être condamnée par le juge nazi Roland Freisler et décapitée. Et elle avait raison, c’est ce qui s’est produit.

Dans son mépris pour les normes légales, l’attitude qui prévaut dans les coulisses du pouvoir aux États-Unis n’est pas fondamentalement différente de celle de l’Allemagne hitlérienne. Les lois n’existent que pour faire avancer les intérêts de la classe dirigeante qui contrôle l’Etat. Elles peuvent être violées à volonté par l’exécutif, et recevoir, si cela s’avère nécessaire, l’approbation des tribunaux et d’un Congrès aux ordres. Les révélations sur ces violations, menées dans l’intérêt du public, sont par définition illégales parce qu’elles violent le secret exigé au nom de la « sécurité nationale. »

Les crimes du régime de Hitler, dont l’internement massif et l’exécution des dissidents politiques, n’ont pas encore été reproduits par les États-Unis. Néanmoins, la logique de la dictature est la même, une logique qui est poussée par un antagonisme insoluble entre les intérêts d’une aristocratie financière parasitaire et ceux de la grande majorité de la population.

Il y a une sympathie populaire immense pour Manning, Snowden, et Assange. Les mesures qu’ils ont révélées sont impopulaires, et c’est pour cela que la classe dirigeante doit les dissimuler.

Cette sympathie doit se traduire en un mouvement politique conscient, un mouvement qui fasse le lien entre la défense de la démocratie et le renversement du système politique et économique corrompu qui prévaut aux États-Unis et sur toute la planète.

Joseph Kishore

Article original, WSWS, paru le 1er août 2013.



Articles Par : Joseph Kishore

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