Vie en forêt avec Leonardo DiCaprio: La navrante représentation de nos coureurs des bois dans «The Revenant»

Lettre à la Fondation Leonardo DiCaprio, Los Angeles
Cher Leo, j’ai vu ton film ! Enfin, plutôt le film de monsieur Iñárritu. The Revenant. Je te félicite pour le prix du « meilleur acteur » qui t’a été attribué aux Golden Globes, tu as fait un travail impressionnant avec le personnage de Hugh Glass !

Tu ne te souviens probablement pas de moi depuis notre rencontre en 2002 sur Catch Me If You Can de Steven Spielberg, à Montréal et à Québec. J’interprétais le directeur de la prison où tu étais détenu…

Pendant ces quelques journées de tournage, j’ai eu le privilège et le plaisir de partager le même plateau avec toi et Tom Hanks, et j’ai été en mesure de constater que tu étais un acteur généreux ainsi qu’un homme de coeur.

Au moment où tu es probablement sur le point de recevoir « l’hommage suprême » aux Oscar — je te le souhaite vivement —, je ne veux pas « bouder ton plaisir », mais je me joins à certains de mes compatriotes francophones pour te faire part de notre vive réaction devant le traitement que cette production a réservé à ceux qui ont été nos pères.

Les Espagnols, les Britanniques, les États-Unis, le Canada et le Québec ont participé au génocide culturel et à la dislocation du tissu social des premiers peuples des Amériques. Nous en sommes aujourd’hui aux balbutiements d’une réconciliation.

Mais l’Histoire nous a appris que deux siècles avant Glass et Toussaint Charbonneau, les territoires des Premières Nations étaient explorés par des « coureurs des bois » français, puis canadiens-français.

Partant des basses terres de la vallée du Saint-Laurent, ils ont sillonné l’Amérique du Nord de la baie d’Hudson à la Louisiane et de l’Acadie jusqu’aux Rocheuses, accompagnés et guidés par leurs alliés amérindiens dont ils ont souvent épousé les filles et mis au monde ce peuple métissé que nous sommes.

Avec une de ses épouses, Sacagawea la fille d’un chef shoshone, le vrai Toussaint Charbonneau a servi de guide-interprète pour l’expédition Lewis-Clark, considérée comme le véritable Acte fondateur des États-Unis. Lewis le méprisait. Clark, lui, l’aimait bien ! Charbonneau était peut-être une brute ?

Il est regrettable qu’à partir de la réputation contestable faite à ce seul individu, l’unique représentation que The Revenant fasse des « coureurs des bois » francophones soit celle de voleurs, qui pendent les Amérindiens et qui violent leurs femmes et leurs filles !

Déformer l’Histoire, encore

Les États-Unis ont produit des films extraordinaires qui ont charmé… et envahi le monde entier ! Mais voilà, trop c’est trop !

Trop souvent Hollywood a bâti ses films en déformant l’Histoire, glorifiant ses good guys californiens aux dépens des méchants sauvages, des Japonais, des Arabes et tutti quanti ! Et maintenant, les « méchants Canadiens français » ?

Bien sûr, il y a des « méchants » partout…

Nous devinons que tu n’es sans doute pas responsable de cette partie du scénario qui provoque chez nous un profond malaise.

Nos propos s’adresseraient plutôt au coscénariste-coproducteur et réalisateur Alejandro González Iñárritu. Espérons qu’il sera informé de cette situation ; nous aimons habituellement son cinéma !

Mais tu es « in the Belly of the Beast », le seul qui soit au coeur de l’action, le seul que je connaisse à Hollywood et — pardonne-moi — le prétexte que nous utilisons aujourd’hui pour jeter ce pavé dans la mare du colonialisme « all Canadian » et du défaitisme québécois.

Car ici, petit à petit, et bien avant The Revenant, nous menons un combat courageux, inégal, quotidien pour la sauvegarde de la langue française, et ce film n’est qu’un soufflet de plus ! Cette culture de violeurs barbares que propose le film fait le tour du monde pendant qu’ici, nous frémissons, impuissants et tristes.

Nous n’avons vraiment pas besoin de ça !

Nous sommes un peuple pacifique, des bâtisseurs fêtards, artistes et durs à cuire, mais « peuple vaincu » à qui le conquérant britannique a massacré son histoire, exilé, pendu ses héros, de Chevalier Delorimier à Louis Riel !

Quelle étoile guide les peuples dont les héros sont dépeints comme des traîtres et des renégats ?

Je ne sais pas si Hollywood connaît la tégénaire, une araignée pratiquement aveugle et inoffensive pour les êtres humains ? Elle ne tisse pas vraiment de toile, elle laisse traîner des fils légers et très fins ; lorsqu’une mouche s’y colle, elle s’en approche, l’entoure de fils, l’immobilise en un cocon… et lui dévore le cerveau !

En histoire, la vérité devient celle du conquérant, comme l’a déjà dit Denis Vaugeois.

En utilisant ton nom, nous espérons rejoindre un maximum de nos concitoyens parmi les plus indolents. Nous ne te demandons rien, nous nous accordons le droit de t’envoyer ce discours bavard en espérant que tu le reçoives.

Nous menons le même combat, Leo.

Tes discours, ta fondation en font foi !

La protection de « l’écosystème des minorités fragiles » qui abritent la diversité sur notre planète, bélugas et humains, une position féministe, antiraciste et inclusive !

En 2016, nous sommes toujours là, malgré le Quebec bashing intense, la trop grande mollesse d’un peuple colonisé, les intérêts personnels des gouvernements de comptables et le capitalisme décadent.

Alors, bienvenue chez nous !

Nos maisons sont chaudes et accueillantes, nous parlons toujours une langue française qui est comme un chant d’oiseaux dans la vie et sur nos écrans, nous célébrons l’amour, nous giguons avec l’espoir fou de réconcilier l’envers avec l’endos, le passé avec l’avenir !

Nous nous battrons toujours pour survivre !

Nous vaincrons Leo !

Il le faut !

Longue vie à ta Fondation !

Longue vie à toi !

Guy Thauvette

 

Guy Thauvette – Comédien et scénariste, au nom des cosignataires

Cosignataires : Louis Dussault, K-Films Amérique ; Rock Demers, producteur ; André Turpin, Carlos Ferrand, Paule Baillargeon, Claude Gagnon, cinéastes ; Lise Castonguay, Léa Marie Cantin, Marc Bellier, comédiens ; François Coutu, architecte.

 

 



Articles Par : Guy Thauvette

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