24 mars : il y a dix ans, les bombardements de l’Otan

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Il y a dix ans, le 24 mars 1999 à 18h45, les premières bombes tombaient sur la Serbie, le Kosovo et le Monténégro. En Serbie, quelques commémorations sont prévues en ce jour anniversaire, mais pourtant, on ne parle que bien peu, aujourd’hui, de ces 78 jours de bombardements intensifs. L’oubli ne permettra pourtant pas à la Serbie de guérir son traumatisme. Pour les jeunes, les souvenirs de l’opposition au régime de Milošević ressemblent déjà aux histoires des partisans de la Seconde Guerre mondiale… L’analyse de Danijela Nenadić.

« Pour eux, les histoires des gens de ma génération sur la lutte contre le régime de Slobodan Milošević ressemblent aux histoires sur les partisans qu’on nous racontait autrefois. » Les bombardements et la génération qui est née sous les bombes, le non-dit, l’avenir… Le 24 mars 2009, dix ans auront passé depuis l’intervention de l’Otan contre la République fédérale de Yougoslavie. Dans dix ans, saurons-nous encore, en Serbie, en Europe, pourquoi la troisième Yougoslavie a été bombardée ? Connaissons-nous les conséquences de ce qui s’est passé et avons-nous appris quelque chose ?

À l’occasion de l’anniversaire des bombardements de Belgrade, une manifestation est organisée sur la place de la République par l’association Mouvement populaire de Serbie. « Le but est de célébrer comme il se doit les victimes de ces attaques, symboles de la résistance du peuple serbe défendant sa province méridionale, mais aussi de montrer au monde l’amour-propre et la dignité de la Serbie contemporaine », lit-on dans le communiqué de presse des organisateurs. Plusieurs personnalités publiques serbes et étrangères s’exprimeront pendant la manifestation.

L’Église orthodoxe serbe, de son côté, évoquera le souvenir des victimes des bombardements dans tous les lieux de culte, tant en Serbie qu’à l’étranger. Les messes commenceront au son des cloches le 24 mars à 18h45, heure à laquelle les premières bombes explosèrent sur le pays. L’Église orthodoxe organisera en outre une rencontre commémorative au Centre Sava, le palais des congrès de Belgrade.

Le Parti démocratique de Serbie (DSS) a demandé à la municipalité de Belgrade de dédier une rue ou un boulevard de la ville à toutes les victimes des bombardements. Les radicaux et autres gardiens proclamés de l’âme serbe commémoreront le jour où l’on entendit la première sirène d’alarme. Espérons que tout se passe dans le calme. C’est ce que je me dis toujours lorsque tous ceux qui détruisent Belgrade avec l’intention d’attirer l’attention sur les injustices commises au détriment des Serbes et de la Serbie appellent à des rassemblements « pacifiques et dignes ».

Dossier 1999-2009 : après les bombes

Je ne suis pas sûre de vouloir être en Serbie le 24 mars. J’ai mal à l’estomac rien que de penser à cette date. Je ne sais pas si je ressens plus de honte que ceux qui organisent des meetings ou des prières, des rencontres commémoratives, que ceux qui exploitent cette date pour souligner l’injuste punition à laquelle la Serbie est soumise chaque jour. Ils prétendent représenter des partis politiques de droite et patriotes, des mouvements patriotiques cherchant à tirer quelque avantage de cette posture toujours patriotique.

Je ne suis pas de ceux qui se taisent sur les bombardements, de ceux qui n’ont rien à en dire, de ceux qui fleurissent les tombes des victimes des bombardements au siège de la Radiotélévision de Serbie. Je ne me sens pas proche non plus de ceux qui disent que la Serbie l’a bien mérité et que les bombardements ont été une bonne leçon.

Je regrette que ni en Serbie, ni en Europe – notre objectif -, aucun dialogue n’ait été ouvert sur les bombardements. Personne ne cherche à savoir à quel point l’intervention de l’Otan a modifié l’image de la Serbie moderne, et plus généralement le pays et toute la société. Personne ne juge utile d’en parler.

Personne aujourd’hui en Serbie ne prête plus attention aux ruines des immeubles et des ponts de Belgrade, de Novi Sad ou d’autres endroits dans le pays. À vrai dire, personne ne les remarque plus. Ils font partie de notre paysage, comme s’ils avaient été là, tels quels, depuis des siècles. Mais ce qui importe, ce ne sont pas les immeubles, ni leur valeur symbolique, ce sont plutôt les blessures dans la société, qui ne peuvent guérir par le silence. Elles ne disparaîtront pas toutes seules si nous avons toujours peur d’ouvrir ce chapitre, comme tous les autres chapitres de notre passé récent.

Génération Kosovo

Nous nous demandons aujourd’hui en Serbie ce qu’il en est de l’agressivité qui traverse toutes les couches de la société, caractérisées par un système de valeurs chancelant, une criminalité et une arrogance qui se sont arrogé tous les pouvoirs. Qu’adviendra-t-il de ces générations de jeunes qui se sont formées sous les bombes et après les bombes ? Il s’agit de personnes qui ne se souviennent pas pourquoi l’on a bombardé la Serbie, mais qui se souviennent bien de leurs parents s’enfuyant dans les sous-sols, et des projectiles des avions invisibles sifflant sur leurs têtes. Ils se souviennent de Šizela et de Mirela, les sirènes qui signalaient le début et la fin du danger aérien. Y aura-t-il quelqu’un, le 24 mars, pour parler de ces générations, peut-être perdues à jamais, pour lesquelles le nom de Slobodan Milošević ne signifie plus rien ?

Pour eux, pourtant, le Kosovo est important. Beaucoup de jeunes aujourd’hui crient que le Kosovo est la terre sacrée de la Serbie, qu’il lui a été enlevé injustement. Beaucoup répètent que la Serbie a été bombardée parce que « ceux-là », les « agresseurs », les « ennemis de la Serbie », les « injustes », les « créateurs d’un nouvel ordre mondial » ont voulu à tout prix soustraire son berceau à la Serbie.

Que savent-ils du Kosovo ? Tout et rien. Ils grandissent et se forment avec le poids du nouveau mythe du Kosovo. Ils ne savent et ne se souviennent pas des guerres en Bosnie et en Croatie. Pour eux, les sanctions n’ont aucun sens, pour eux les histoires du combat contre le régime de Slobodan Milošević ressemblent aux histoires sur les partisans qu’on nous racontait autrefois. Intéressantes mais lointaines. Pour eux, la vie commence justement avec les bombardements.

Une jeunesse en colère

Ils sont en rage. Mais aussi frustrés et prisonniers. Et surtout confus. Ils apprennent que l’Europe est leur maison, mais que c’est elle qui les a bombardés, ils ne saisissent pas la différence entre un cas spécial et le droit international, se sentent comme s’ils étaient punis à vie pour une chose dont ils ne sont pas coupables, qui les concerne à peine. Ils ont grandi avec l’agression et s’expriment avec agressivité. Ils hurlent pendant les manifestations contre la déclaration d’indépendance du Kosovo. Sans trop y réfléchir, ils lapident les ambassades des pays « ennemis » de la Serbie, volent des chaussures de gymnastique dans les vitrines brisées des boutiques belgradoises, parce que ce serait aussi une démonstration du rejet de l’indépendance du Kosovo. À vrai dire, c’est l’expression de l’impuissance. De l’impossibilité de savoir discuter et débattre de ces thèmes.

La faute n’est pas la leur, elle est la nôtre. Nous nous taisons. Nous ne savons pas comment « guérir » des bombardements. Les avons-nous « mérités » ? Les bombes peuvent-elles apporter la paix ? Qu’avons-nous appris ? Qu’est-ce que la Serbie d’aujourd’hui ? Quelle est son identité ? Nous affirmons que notre place est en Europe et dans l’Union européenne. 60% des citoyens de la Serbie le pensent. Mais notre place n’est pas dans l’Otan. Seuls 20% des citoyens soutiennent l’entrée de la Serbie dans cette alliance.

Nous en connaissons tous les raisons. Elles seront tout à fait manifestes le 24 mars 2009. Mais même ce jour-là, je ne m’attends pas à ce que l’on évoque ouvertement les bombardements de la Serbie, ni chez nous, ni en Europe. Il est bien plus facile de se taire sur cela. Comme si rien ne s’était passé.

Article original : http://www.osservatoriobalcani.org/

Traduit par Mandi  Gueguen.  Le Courrier des Balkans.



Articles Par : Danijela Nenadić

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