40 000 km de mur?

Le nombre de barrières censées protéger les populations d’une menace supposée ou réelle s’est envolé depuis trente ans : jusqu’à soixante-dix sur la planète. Bienvenue dans l’ère du repli sur soi.

Vue du ciel, la Terre doit désormais sembler lacérée de coups de griffes. Autant de murs, barrières, barbelés, érigés sur tous les continents et qui incarnent l’impératif de l’époque : se protéger. C’est une évidence : la chute du communisme n’a pas enterré les grandes peurs séculaires. Et les nouvelles menaces, prétendues ou réelles, ont même conduit à multiplier les murs de séparation. Il y en avait onze à travers le monde au moment où l’euphorie d’une ère nouvelle semblait s’imposer à coups de pioches à Berlin. Il y en aurait désormais entre vingt et soixante-dix, selon qu’on prenne en compte dans ce calcul les grillages et barbelés ou uniquement les murs bétonnés. Sophistication des nuances qui révèle d’ailleurs combien la panoplie s’est élargie.

In fine, ces nouvelles barrières couvriraient l’équivalent de la circonférence de la Terre, soit 40 000 km de long. C’est déjà considérable. Mais les intentions des nouveaux bâtisseurs ont également changé. Car si le mur de Berlin avait été érigé pour empêcher la sortie, et donc la fuite des Allemands de l’Est, les nouveaux murs sont, eux, tous destinés à bloquer l’entrée de ceux qui sont jugés indésirables. Réflexe défensif qui en dit long sur la méfiance et le repli sur soi, la peur de l’Autre, qui contaminent le monde actuel. La palme du mur le plus médiatisé revient évidemment aux Etats-Unis depuis que Donald Trump a fait du bétonnage total de la frontière avec le Mexique sa principale promesse électorale. Trois ans après son arrivée à la Maison Blanche, les coups de menton restent plus visibles que les coups de truelle. Mais, début septembre, le président américain a fini par obtenir du Pentagone le déblocage de 3,6 milliards de dollars pour la construction de 280 km de mur supplémentaires. Lesquels viennent ainsi s’ajouter aux 1 050 km déjà érigés par ses prédécesseurs. Avec un coup d’accélérateur donné par George W. Bush en 2006, dans un pays hanté par les attentats du 11 septembre 2001.

Terrorisme et migrations sont d’ailleurs partout les deux épouvantails agités par les dirigeants qui s’emploient à transformer leurs pays en châteaux forts. C’est au nom de ces deux «menaces» que l’Europe est ainsi en passe de devenir une vaste «community gate» du terme de ces résidences fermées où se calfeutrent les plus riches. Concept apparu aux Etats-Unis et en Amérique latine et qui tend à s’étendre à tous les pays marqués par un écart grandissant des richesses. Vivre séparé des pauvres ou du moins de plus pauvres que soi ? C’est également ce qui motive implicitement l’érection des nouveaux murs transfrontières depuis la fin de la guerre froide. La mondialisation a rendu la circulation de l’argent immatérielle, et celle des biens, inévitable. Seule la circulation des personnes est perçue comme une menace que les nouveaux murs doivent limiter.

Un réflexe qu’on retrouve aussi hors du monde occidental. Depuis 2002, Israël multiplie ainsi les «murailles de protection» pour s’isoler des Palestiniens en Cisjordanie, et plus récemment, a accéléré la construction de clôtures «antimigrants» le long de ses frontières avec la Syrie et la Jordanie. L’Arabie Saoudite a bâti un mur antimigrants de 75 km à sa bordure avec le Yémen, et un autre de 965 km l’isolant de l’Irak. Depuis 2007, le Brésil s’emploie, lui aussi, à dresser des murailles avec tous ses voisins pour freiner les migrants et les trafiquants. En 2010, l’Iran a amorcé la construction d’un mur de 700 km de long sur la frontière afghane.

Tous ces remparts sont-ils pour autant efficaces ? A court terme peut-être. Mais il y aura toujours des chemins détournés et des failles qui déjouent ces stratégies sécuritaires. La semaine dernière, des trafiquants mexicains ont ainsi réussi à percer des trous dans la nouvelle section du fameux «mur puissant» de Trump à la frontière. Visiblement, sans beaucoup de mal. Avec de simples petites scies ordinaires.

Bob Woodward



Articles Par : Bob Woodward

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