40 ans après. Juger les violences sexuelles commises pendant le terrorisme d’Etat en Uruguay

Pour la première fois dans un pays d’Amérique latine qui a subi le terrorisme d’Etat et la dictature, une plainte a été déposée concernant les violences sexuelles subies par les femmes prisonnières. Faire reconnaitre ces crimes comme imprescriptibles et non-amnistiables demeure un combat.

C’était le 28 octobre 2011, 28 femmes ex-prisonnières politiques ont porté plainte contre plus d’une centaine de militaires qui ont participé à la torture et aux violences sexuelles qu’elles ont subies durant la dictature et le terrorisme d’Etat en Uruguay. Ces plaintes portent sur des actes qui se sont déroulés dans vingt lieux de détention entre 1972 et 1985.

Pour y parvenir, ce fut un très long et très douloureux chemin qu’ont du parcourir ces femmes meurtries au plus profonds de leur chair. Comment formuler et dire l’indicible. Tel fut leur ultime défi après avoir du subir des actes de barbaries aussi violents, trente ans auparavant. Briser le silence. Sur le groupe de 60 femmes, seules 28 ont pu aller au bout de leur combat après plus de deux de rencontres et d’échanges.

Des juges mal préparés, instruisant ces plaintes entre deux délits de droits communs, sans aucune formation, mettant vite les victimes en position de coupables d’avoir été « là bas » à cette époque là, ou trop jeunes ignorant une partie de l’histoire, ou pire ayant peur pour leur carrière et donc réticents à instruire ce type de plaintes… comme en a témoigné de façon bouleversante Yvonne Klinder Larnaudie, ex prisonnière, lors d’une récente conférence organisée notamment par les associations « Donde Estan ? » et « Justice et Paix » sur le thème « Lutter contre l’oubli, libérer la parole ».

Les crimes de violences sexuelles perpétrés durant le terrorisme d’Etat doivent être déclarés comme des crimes contre l’humanité et donc imprescriptibles et non amnistiables.

Mais alors que 40 ans ont passé depuis l’arrivée de la dictature en Uruguay, la justice a du mal à avancer sur les procès liés aux exactions commises durant cette période. Une décision la Cour Suprême, prise il y a quelques mois, va même à l’encontre du fonctionnement de la justice et du droit international (voir : « Le chemin chaotique des procès de la dictature en Uruguay »), rétablissant l’impunité, en déclarant inconstitutionnels deux articles de la loi 18 831 permettant de juger les auteurs des crimes de la dictature.

Comme l’expliquait, lors de cette conférence, Madelon Aguerre, représentant le SERPAJ en Uruguay qui mène une lutte active contre l’impunité aux cotés d’autres organisations depuis plus de trente ans, il faut lutter contre le silence de plomb qui est tombé sur la société uruguayenne et la volonté de certains de tourner la page, de laisser faire la culture d’impunité.

« Car les actes barbares de torture commis sous la dictature ne l’étaient plus à un moment pour obtenir de l’information mais ont été généralisés et systématisés pour faire régner la peur et le silence et détruire à jamais la population » .

Or, les générations futures ont le droit et le devoir de savoir ce qui s’est passé. C’est pourquoi l’Etat ne doit pas organiser l’oubli et qu’il faut faire obstacle au silence qu’on a voulu installer dans l’espace public. Le documentaire « Prison Liberté » réalisé, par Lucia Wainberg, souligne bien le degré d’occultation de la société uruguayenne au niveau de la conscience collective, dans l’enseignement ou l’autocensure des médias pendant ces dernières années, malgré le retour à la démocratie, il existe une sorte d’ anesthésie de la mémoire collective.

« Aujourd’hui, comme le rappelle Louis Joinet, défenseur des droits de l’homme, artisan de la convention des Nations Unies sur les disparitions forcées, après la décision de la Cour Suprême, en Uruguay l’application de la loi est devenue un acte de résistance dans un pays pourtant revenu à la démocratie ». Il est donc nécessaire que des tribunaux spécialisés soient crées pour enquêter et instruire ces dossiers, et que la justice puisse suivre son cours, avec l’appui du gouvernement uruguayen. En France, pour soutenir et faire connaître le combat de ces 28 femmes ex-prisonnières, un comité de 28 « Marraines » vient d’être créé.

Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo

El Correo. Paris, 27 juin 2013.

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Articles Par : Estèle Leroy-Debiasi

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