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5 films pour ouvrir les yeux sur la Palestine
Par Laurent Dauré
Mondialisation.ca, 01 mars 2013

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Je viens de voir un documentaire qui m’a profondément ému : 5 caméras brisées de Emad Burnat et Guy Davidi (en salles depuis le 20 février). En sortant de l’Espace Saint-Michel – un cinéma parisien qui mérite d’être soutenu pour sa programmation intelligente et courageuse –, je me sens obligé d’écrire ce texte. C’est la première fois qu’une telle injonction s’impose à moi après avoir vu un film (et j’en vois beaucoup… beaucoup).

Avant de parler de 5 caméras brisées, je tiens à dire que je ne suis pas un spécialiste de ce qu’il est convenu d’appeler le « conflit israélo-palestinien ». Je m’intéresse à cette question depuis quatre ou cinq ans seulement ; j’ai lu quelques livres, un grand nombre d’articles, j’ai vu des documentaires, des reportages, mais je ne revendique aucune expertise.

J’ajoute que je ne fais partie d’aucun mouvement de solidarité, d’aucune association de soutien à la cause palestinienne, je n’ai participé à aucune manifestation, si ce n’est à celle qui a eu lieu le 18 janvier 2011 devant le Panthéon pour protester contre l’interdiction d’une conférence à l’École normale supérieure (1).

Si je considère aujourd’hui comme une évidence que le peuple palestinien est victime d’une immense injustice et que ses souffrances devraient révolter toute conscience en état de fonctionnement, c’est notamment grâce au cinéma documentaire. Mon but principal ici n’est pas de convaincre de la légitimité de la cause palestinienne, je veux simplement inciter ceux qui ne savent pas quelle position adopter (ou ne veulent en adopter aucune), ceux qui pensent que les torts sont partagés, voire ceux qui soutiennent la politique d’Israël (rêvons…), à voir cinq films documentaires. Un ou deux, ce serait déjà bien. Cela ne prendra que quelques heures.

Le plus récent, 5 caméras brisées, dont voici la bande-annonce, montre le combat non-violent des habitants du village palestinien de Bil’in en Cisjordanie contre l’installation d’un mur de séparation qui exproprie de fait ces paysans d’une grande partie de leurs terres, et cela afin d’étendre la colonie juive de Modi’in Illit. Avec une caméra achetée en 2005 pour filmer les premiers jours de son quatrième fils, Emad Burnat documente parallèlement la résistance de son village. Pendant cinq ans, il enregistre la vie de Bil’in, de ses proches, et suit l’évolution de la lutte contre la colonisation. Les manifestations pacifiques sont parfois violemment réprimées par l’armée israélienne ; il y a de nombreux blessés, et des morts. Emad Burnat sera lui-même blessé à plusieurs reprises. Malgré la destruction de cinq caméras, il continuera de filmer avec obstination. Il continue encore aujourd’hui.

Le co-réalisateur de 5 caméras brisées, Guy Davidi, est un juif israélien qui a participé dès 2005 aux manifestations de Bil’in (2). On voit d’ailleurs dans le film d’autres militants israéliens luttant aux côtés des Palestiniens.

Vous l’avez compris, je recommande au plus point ce documentaire beau et fort. Cette chronique personnelle d’un combat collectif non-violent donne du courage, elle rend humble aussi ; on ne peut qu’être admiratif devant la détermination pacifique des manifestants. Mais on ressent également de l’indignation, de la colère, face aux injustices et violences commises par l’armée israélienne et les colons.

Je mets au défi ceux qui doutent de la légitimité de la cause palestinienne de s’exposer à ce film et de sortir de la salle sans avoir été ébranlés (au moins un peu) dans leur position.

Malgré une sélection aux Oscars pour le prix du meilleur documentaire, 5 caméras brisées bénéficie d’une sortie très discrète en France. Seulement douze copies sont en circulation. Il est donc important d’aller le voir au cinéma et de faire fonctionner le bouche à oreille pour soutenir la diffusion.

Un seul film ne suffira probablement pas à convaincre les sceptiques, a fortiori ceux qui sont hostiles. Par « chance », la production de qualité est abondante sur le conflit israélo-palestinien. Pour ma part, je recommande ces quatre autres documentaires qui abordent différents aspects du sujet (3) :

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Rachel de Simone Bitton (2009) : la réalisatrice franco-israélienne fait un portrait de Rachel Corrie, une activiste pacifique américaine tuée en 2003 – elle avait 23 ans – par un bulldozer militaire israélien alors qu’elle menait une action de protestation non-violente contre la destruction de maisons palestiniennes à Rafah, ville située au sud de la bande de Gaza. (Voir la bande-annonce.)

 

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Gaza-strophe, Palestine de Samir Abdallah et Khéridine Mabrouk (2011) : juste après la meurtrière opération militaire « Plomb durci » (2008-2009), deux documentaristes – l’un franco-égyptien, l’autre algérien – pénètrent avec des délégués du Centre palestinien des droits de l’homme dans la bande de Gaza dévastée. Ils filment ce qu’ils voient, recueillent les témoignages des Gazaouis qu’ils rencontrent. (Voir la bande-annonce.)

 

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Feu sur le Marmara de David Segarra (2011) : un journaliste espagnol de la chaîne teleSUR raconte l’histoire de la « flottille de la liberté », ce convoi humanitaire parti en mai 2010 pour rompre le blocus de Gaza et acheminer de l’aide aux habitants. À partir de témoignages et d’images prises par des journalistes et des activistes, nous revivons notamment l’assaut des commandos israéliens – dans les eaux internationales – sur le navire Mavi Marmara (le 31 mai). Cet assaut fit neuf morts parmi les passagers et de nombreux blessés (4).

 

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My Land de Nabil Ayouch (2012) : le cinéaste franco-marocain montre à des Israéliens – principalement des jeunes – les témoignages filmés de réfugiés palestiniens qui vivaient dans la même région avant eux mais qui durent prendre la fuite lors de la guerre de 1948. Leurs terres ont été colonisées, ils vivent depuis plus de 60 ans dans des camps au Liban. Confrontés à la parole digne de ces vieux palestiniens meurtris par l’exil, les Israéliens réagissent de différentes façons. (Voir la bande-annonce.)

Regardez ces films et jugez par vous-même. Renseignez-vous sur les événements relatés, vérifiez tel ou tel point, informez-vous sur les réalisateurs, sur leurs motivations ; le mieux étant de commencer par prendre connaissance de ce qu’ils en disent eux-mêmes (articles, interviews, entretiens (5)).

Je ne demande à personne d’adopter une approche exclusivement « émotionnelle » ou « compassionnelle » (ce qui d’ailleurs ne veut pas dire grand-chose). Il faut aborder ce sujet de façon rationnelle et ouverte, ce qui n’exclut pas l’émotion, l’empathie – on oppose souvent à tort raison et émotion (6). Considérer que ces films sont biaisés ou manipulateurs est recevable à condition qu’on le démontre par des arguments probants. En revanche il ne serait pas rationnel de supposer a priori que ces documentaires sont malhonnêtes et « idéologiques ».

Pour être valable – fondé –, un jugement moral et/ou politique doit être informé, c’est-à-dire étayé par des faits et une appréciation la plus objective possible de la situation. Aussi, j’ai envie de poser une simple question à ceux qui sont indifférents au sort des Palestiniens, à ceux qui estiment qu’Israël est dans son bon droit, à ceux qui ne trouvent rien à redire au fait que le gouvernement français, suivant servilement les États-Unis et l’Union européenne, soutienne la « seule démocratie du Moyen-Orient »… Voici cette question : que savez-vous de ce qui se passe là-bas ?

Laurent Dauré

Cet article a été publié initialement sur le Grand Soir.

 

Notes :

1) Avec Stéphane Hessel en invité principal, la conférence annulée par la direction de l’ENS devait porter sur la criminalisation du mouvement militant en faveur du boycott d’Israël (campagne internationale Boycott-Désinvestissement-Sanctions – BDS).

2) Guy Davidi est réalisateur de documentaires et professeur de cinéma. Il a été d’une aide précieuse dans la fabrication et la diffusion du film.

3) J’ai choisi de ne parler que de cinq films, on pourrait bien sûr en mentionner d’autres. Je pense notamment à Pour un seul de mes deux yeux du réalisateur israélien Avi Mograbi (2005).

4) Feu sur le Marmara n’a pas encore été diffusé en France (et il est peu probable qu’il le soit). On peut heureusement voir le film en intégralité ici.

5) Je conseille par exemple cet entretien avec Emad Burnat et Guy Davidi.

6) Sur ce sujet, je profite de l’occasion pour recommander la lecture de L’Erreur de Descartes : la raison des émotions (Odile Jacob, 1995) du professeur de neurosciences Antonio R. Damasio.

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