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7 années de mensonges sur Assange et ce n’est pas fini.
Par Jonathan Cook
Mondialisation.ca, 16 avril 2019

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Depuis sept ans, depuis le moment où Julian Assange s’est réfugié à l’ambassade équatorienne à Londres, ils nous disent que nous avions tort, que nous étions des théoriciens du complot paranoïaques. On nous a dit qu’il n’y avait aucune menace réelle d’extradition d’Assange vers les États-Unis, que tout cela était dans notre imagination fiévreuse.

Depuis sept ans, nous avons dû subir le chœur de journalistes, de politiciens et d’ »experts » nous racontant qu’Assange n’était rien de plus qu’un fugitif de la justice, et que les systèmes juridiques britannique et suédois pouvaient traiter son cas en pleine conformité avec la loi. Pendant tout ce temps, pratiquement aucune voix « dominante » ne s’est exprimée en sa défense.

Dès qu’il a demandé l’asile, Assange fut présenté comme un hors-la-loi. Son travail en tant que fondateur de Wikileaks – une plate-forme numérique qui, pour la première fois dans l’histoire, donnait aux gens ordinaires un aperçu des recoins les plus sombres des secrets les mieux gardés dans les profondeurs de l’État profond – a été effacé de l’histoire.

Assange est passé de l’une des quelques figures dominantes de notre époque – un homme qui occupera une place centrale dans les livres d’histoire, si notre espèce vit assez longtemps pour écrire ces livres – à rien de plus qu’un délinquant sexuel malpropre qui a violé les conditions de sa liberté provisoire.

La classe politique et médiatique ont élaboré un récit fait de demi-vérités sur des accusations sexuelles pour lesquelles Assange faisait l’objet d’une enquête en Suède. Ils ont négligé le fait qu’Assange avait été autorisé à quitter la Suède par l’enquêteur initial, qui avait abandonné l’enquête, pour être ensuite relancé par un autre enquêteur avec un programme politique bien connu.

Ils ont omis de mentionner qu’Assange s’est toujours déclaré prêt à être interrogé par les procureurs suédois à Londres, comme cela avait été le cas dans des dizaines d’autres affaires impliquant des procédures d’extradition vers la Suède. C’était presque comme si les autorités suédoises ne voulaient pas présenter les preuves qu’elles prétendaient avoir en leur possession.

Les médias et les courtisans politiques n’ont cessé de souligner la violation de la liberté sous caution d’Assange au Royaume-Uni, ignorant le fait que les demandeurs d’asile, fuyant la persécution légale et politique, généralement ne respectent pas les conditions imposées par les autorités de l’Etat à l’origine de leur demande asile.

L’élite politique et médiatique a ignoré les preuves de plus en plus nombreuses d’un grand jury secret en Virginie formulant des accusations contre Assange, et a raillé les craintes exprimées par Wikileaks selon lesquelles l’affaire suédoise pourrait couvrir une tentative plus sinistre des États-Unis pour extrader Assange et l’enfermer dans une prison de haute sécurité, comme Chelsea Manning.

Ils ont minimisé le verdict rendu en 2016 par un groupe d’experts juridiques des Nations Unies selon lequel le Royaume-Uni détenait arbitrairement Assange. Les médias s’intéressaient davantage au bien-être de son chat.

Ils n’ont pas tenu compte du fait qu’après le changement de président de l’Equateur – avec le nouveau président désireux de gagner les faveurs de Washington – Assange a été placé sous des formes de plus en plus sévères d’isolement cellulaire. Il s’est vu refuser l’accès aux visiteurs et aux moyens de communication, violant à la fois son statut d’asile et ses droits humains, et menaçant son bien-être mental et physique.

De même, ils ont ignoré le fait que l’Équateur avait accordé à Assange le statut diplomatique et la citoyenneté équatorienne. La Grande-Bretagne était obligée de lui permettre de quitter l’ambassade, en usant de son immunité diplomatique, pour se rendre sans encombre en Équateur. Aucun journaliste ou politicien « grand public » n’y a prêté attention.

Ils ont fermé les yeux sur le fait qu’après avoir refusé d’interroger Assange au Royaume-Uni, les procureurs suédois décidèrent d’abandonner discrètement les poursuites contre lui en 2015. La Suède avait gardé cette décision secrète pendant plus de deux ans.

C’est une demande d’accès à l’information émanant d’un allié d’Assange, et non d’un média, qui a révélé des documents montrant que les enquêteurs suédois avaient, en fait, voulu abandonner les poursuites contre Assange en 2013. Le Royaume-Uni, cependant, a insisté pour qu’ils continuent cette mascarade afin qu’Assange puisse rester enfermé. Un fonctionnaire britannique a envoyé un courriel aux Suédois : « Ne vous avisez pas de vous dégonfler !!! »

La plupart des autres documents relatifs à ces conversations n’étaient pas disponibles. Ils avaient été détruits par le service du Procureur général du Royaume-Uni en violation du protocole. Mais personne dans l’establishment politique et médiatique ne s’en soucia, évidemment.

De même, ils ont ignoré le fait qu’Assange a été contraint de se cacher pendant des années à l’ambassade, dans des conditions extrêmes de détention à domicile, même s’il n’avait plus de cas à répondre en Suède. Ils nous ont dit – avec le plus grand sérieux – qu’il devait être arrêté pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, ce qui serait normalement sanctionné par une amende.

Et peut-être plus grave encore, la plupart des médias ont refusé de reconnaître qu’Assange était journaliste et éditeur, même si, ce faisant, ils s’exposaient aux mêmes sanctions draconiennes si jamais ils devaient être réduits au silence, eux ou leurs publications. Ils ont approuvé le droit des autorités américaines de s’emparer tout journaliste étranger, où qu’il se trouve dans le monde, et de l’enfermer à l’abri des regards. Ils ont ouvert la porte à une nouvelle forme spéciale de « restitution » pour les journalistes.

Il n’a jamais été question de la Suède ou des violations de la liberté sous caution, ni même du récit désormais discrédité du Russiagate, comme n’importe qui ayant prêté la moindre attention aurait du le deviner. Il s’agissait de l’Etat Profond américain faisant tout ce qui était en son pouvoir pour écraser Wikileaks et faire de son fondateur un exemple.

Il s’agissait de s’assurer qu’il n’y aurait plus jamais de fuite comme celle de Collateral Murder, la vidéo publiée par Wikileaks en 2007 qui montrait des soldats américains célébrant le meurtre de civils irakiens. Il s’agissait de s’assurer qu’il n’y aurait plus jamais de publication de câbles diplomatiques américains, comme ceux publiés en 2010 qui ont révélé les machinations secrètes de l’empire américain pour dominer la planète quel qu’en soit le coût en termes de violations des droits humains.

A présent, le simulacre est terminé. La police britannique a envahi le territoire diplomatique de l’Équateur – invité par l’Équateur après avoir jeté par dessus bord le statut d’asile d’Assange – pour le mettre en prison. Deux États vassaux ont coopéré pour obéir aux ordres de l’empire américain. L’arrestation n’avait pas pour but d’aider deux femmes en Suède ou de réprimer une infraction mineure à la liberté sous caution.

Non, les autorités britanniques ont agi en vertu d’un mandat d’extradition des États-Unis. Et les accusations que les autorités américaines ont concoctées ont trait aux premiers travaux de Wikileaks révélant les crimes de guerre commis par l’armée US en Irak – les choses dont nous avons tous convenu un jour étaient dans l’intérêt public, et que les médias britanniques et américains ont réclamé à cor et à cri de publier eux-mêmes.

Pourtant, les médias et la classe politique ferment les yeux. Où est l’indignation devant les mensonges qu’on nous sert depuis sept ans ? Où est la contrition d’avoir été dupé si longtemps ? Où est la fureur contre la liberté de la presse la plus élémentaire – le droit de publier – piétinée pour faire taire Assange ? Où est la volonté de prendre enfin la parole pour défendre Assange ?

Il n’y a rien. Il n’y aura pas d’indignation à la BBC, ni au Guardian, ni à CNN. Rien de plus que des reportages – curieux, impassibles, voire gentiment moqueurs du sort d’Assange.

Et c’est parce que ces journalistes, ces politiciens et ces experts n’ont jamais vraiment cru ce qu’ils disaient. Ils savaient depuis le début que les Etats-Unis voulaient faire taire Assange et écraser Wikileaks. Ils le savaient depuis le début et ils s’en moquaient. En fait, ils ont conspiré volontiers pour ouvrir la voie à l’enlèvement d’Assange aujourd’hui.

Ils l’ont fait parce qu’ils ne sont pas là pour défendre la vérité, ni pour défendre les gens ordinaires, ni pour protéger une presse libre, ni même pour faire respecter le droit. Ils se fichent de tout ça. Ils sont là pour protéger leur carrière et le système qui les récompense avec de l’argent et de l’influence. Ils ne veulent pas d’un arriviste comme Assange qui donne des coups de pied dans leur fourmilière.

Maintenant, ils vont nous submerger avec une nouvelle vague de mensonges et de distractions à propos d’Assange pour nous maintenir anesthésiés, pour nous empêcher d’être en colère alors que nos droits sont réduits à néant, et pour nous empêcher de réaliser que les droits d’Assange et les nôtres sont indivisibles.

Nous résisterons ensemble, ou nous tomberons ensemble.

Jonathan Cook

Article original en anglais :

After 7 Years of Deceptions About Assange, the US Readies for Its First Media Rendition, 14 avril 2019

Traduction  par VD pour le Grand Soir 

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