A Lisbonne, lancement de l’OTAN global

Source de la carte des membres et partenaires de l’OTAN : La Documentation française

Aujourd’hui et demain se tient à Lisbonne le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OTAN, auquel participent pour l’Italie Berlusconi, La Russa et Frattini (respectivement président du Conseil, ministres de la défense et des affaires étrangères, ndt).  Un des sommets les plus importants de ce que le secrétaire général Anders Rasmussen définit comme « l’alliance qui a eu le plus grand succès dans l’histoire ». Un « succès » qui constitue la nouvelle narration atlantique, une philosophie renouvelée de l’usage de la guerre, pour un organisme justifié à l’origine pour contenir le Pacte de Varsovie. Cette nouvelle « histoire de soi » est l’introduction nécessaire, de la part des leaders occidentaux, pour motiver à présent sa nécessité et son actualité. C’est ainsi que Rasmussen explique que jusqu’à présent l’OTAN a traversé deux phases, celle de la Guerre froide et celle de l’après-Guerre froide, et dans les deux cas « elle a très bien fonctionné ». Comment le nier ? 

La troisième phase atlantique

La première et la seconde phase terminées, annonce le secrétaire Rasmussen, est arrivé le moment de l’OTAN-version 3.0, une alliance plus moderne, plus efficiente et plus capable de travailler avec nos partenaires au niveau global. Elle a « une puissance militaire qu’aucun adversaire ne peut égaler », fondée aussi sur les armes nucléaires que « l’OTAN doit conserver tant qu’il y aura de telles armes dans le monde ». La menace d’une attaque militaire à grande échelle contre le territoire de l’Alliance est faible, affirme Rasmussen, mais le risque existe d’attaques terroristes et de missiles. Plus de 30 pays sont en effet en train d’acquérir la capacité de construire des missiles balistiques. On annonce ainsi que le sommet lancera officiellement le projet d’un « bouclier » anti-missiles, que les Etats-Unis veulent étendre à l’Europe. Projet auquel s’oppose la Russie, considérant  qu’il est une menace à son égard, et que l’OTAN essaie de faire digérer à Moscou : à cet effet, elle a invité le président Medvedev au Conseil OTAN-Russie qui se déroulera à Lisbonne juste après le Sommet, le 20 novembre, pour « approfondir la coopération politique et renforcer la sécurité commune ».

Aujourd’hui, souligne Rasmussen, la défense du territoire et de ses 900 millions d’habitants n’est pas circonscrite à la zone délimitée par les frontières. La mondialisation a rendu nos économies de plus en plus dépendantes de fournitures provenant du monde entier. Cela signifie qu’une attaque contre ces lignes d’approvisionnement peut avoir des effets dramatiques sur notre sécurité, par exemple dans le cas où nos pétroliers ne pourraient plus passer par le Détroit d’Ormuz (à l’embouchure du Golfe Persique entre Iran et Oman). Il convient donc d’investir moins dans les forces statiques, déployées à l’intérieur des 28 pays membres de l’Alliance, et plus dans les forces mobiles, en mesure d’être projetées rapidement hors du territoire de l’OTAN.

L’OTAN est aujourd’hui engagée, dans le sillage de la stratégie états-unienne, dans différentes « missions » militaires hors de son aire géographique : au Kosovo, où elle opère pour « construire la stabilité et la paix » ; en Méditerranée, où elle conduit des opérations navales « contre les activités terroristes » ; au Soudan, où elle aide l’Union Africaine à « mettre fin à la violence et améliorer la situation humanitaire » ; dans la Corne d’Afrique, où elle accomplit des « opérations anti-piraterie » en contrôlant les voies maritimes stratégiques ; en Irak, où elle contribue à « créer des forces armées efficientes » ; en Afghanistan, où elle a pris, par un coup de main en 2003, la direction de l’Isaf, s’embourbant cependant dans une guerre qui l’oblige maintenant à chercher une « exit strategy » (littéralement : une sortie stratégique). Si bien qu’aujourd’hui le président afghan Hamid Karzaï a été convoqué à Lisbonne. L’OTAN semble pourtant n’avoir rien appris de la leçon afghane : elle se prépare de fait à de nouvelles « missions » hors zone.
 

La mutation génétique

Pour comprendre le passage ratifié par le sommet de Lisbonne, il faut rappeler quelles sont les deux premières phases de l’histoire de l’OTAN.

A travers l’Alliance, pendant la Guerre froide, les Etats-Unis maintiennent leur domination sur les alliés européens, en utilisant l’Europe comme première ligne de la confrontation, même nucléaire, avec le Pacte de Varsovie (fondé en 1955, six ans après l’OTAN). Le scénario change radicalement en 1991, quand se dissout le Pacte de Varsovie, donc l’Union soviétique elle-même.

Les Etats-Unis  en profitent immédiatement, en réorientant leur propre stratégie avec la Première guerre du Golfe. Et en faisant pression sur l’OTAN pour qu’elle en fasse autant : le péril existe de fait que les alliés européens n’effectuent des choix divergents ou ne retiennent même une inutilité de l’OTAN dans la nouvelle situation géopolitique. Le 7 novembre 1991 le Conseil atlantique, réuni à Rome, lance la première version du « nouveau concept stratégique », où l’on établit que la « sécurité » de l’Alliance n’est pas circonscrite à la zone nord-atlantique.

  Peu de temps après ce « nouveau concept stratégique » est mis en pratique dans les Balkans. En Bosnie, après la faillite voulue de l’ONU, l’OTAN intervient en 1994 avec la première action de guerre depuis la fondation de l’Alliance. S’ensuit la guerre contre la Yougoslavie, en 1999. Les Etats-Unis réussissent ainsi à faire éclater une guerre (qui aurait pu être évitée) au cœur de l’Europe, en renforçant leur influence dans cette région au moment où s’en redessinent les assises politiques, économiques et militaires. Tandis que la guerre est en cours, le sommet OTAN convoqué à Washington engage les pays membres à « conduire des opérations de riposte aux crises non prévues par l’article 5, hors du territoire de l’Alliance ».

Ainsi commence l’expansion de l’OTAN dans le territoire de l’ex-Pacte de Varsovie et de l’ex-URSS. En 1999 elle englobe la Pologne, la République tchèque et la Hongrie ; en 2004 l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie ; en 2009, l’Albanie et la Croatie. On prépare en outre l’entrée dans l’Alliance de la Macédoine, l’Ukraine, la Géorgie et le Monténégro. La pression sur le Caucase est emblématique, avec le conflit lancé en Géorgie à la reconquête de l’Abkhazie, et la guerre qui s’ensuit avec la Russie pendant l’été 2008. Et l’on voit de cette façon croître l’influence des États-Unis en Europe, puisque les gouvernements des pays de l’ex-Pacte de Varsovie et de l’ex-URSS, entrés d’abord dans l’OTAN et ainsi presque tous dans l’UE, sont plus liés à Washington qu’à Bruxelles.

Maintenant, explique Rasmussen, s’ouvre la troisième phase. Celle d’une alliance qui, sous leadership états-unien indiscuté, se propose d’étendre sa domination à échelle globale. Et s’accroîtra en conséquence la dépense militaire des pays de l’OTAN, qui se monte aujourd’hui à environ 1.000 milliards de dollars annuels, équivalents aux deux tiers de la dépense militaire mondiale.

 

Il manifesto, 19 novembre 2010.
http://www.ilmanifesto.it/il-manifesto/in-edicola/numero/20101119/pagina/09/pezzo/291579/  

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Lire la suite : Obama déterre le bouclier



A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste, ex-directeur exécutif pour l'Italie de l'International Physicians for the prevention of Nuclear War, association qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1985. Porte-parole du Comitato no Guerra no Nato (Italie) et chercheur associé de Global Research (Canada). Prix international de journalisme 2019 pour Analyse géostratégique du Club de Periodistas de México.

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