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A propos de la liberté d’expression et de la neutralité des médias
Par Guillermo Navarro J.
Mondialisation.ca, 26 février 2007
Argenpressinfo, Risal 26 février 2007
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https://www.mondialisation.ca/a-propos-de-la-libert-d-expression-et-de-la-neutralit-des-m-dias/4941

Devant la décision du gouvernement du président Hugo Chavez Frías de ne pas renouveler, pour des raisons strictement légales, la concession de [la chaîne de télévision] Radio Caracas Televisión (RCTV), tous les grands médias de masse du continent ont poussé des cris d’horreur, alléguant que cette pratique est une entrave à la « liberté d’expression ». Cela mérite une première analyse.

Si, par « liberté d’expression », on entend le droit que tout citoyen a, soi-disant, d’exprimer toutes ses opinions, ses positions idéologiques, politiques, religieuses, culturelles, nationales, etcetera, on peut se demander comment l’application de ce droit est possible face au monopole de fait de la propriété des médias. A ce sujet, Louis Molle, rédacteur du Washington Daily News, à la question de savoir qui jouit de la « liberté de presse », estimait que ce droit se réduit aux « propriétaires des journaux et à leurs semblables ». C’est pourquoi, a-t-il ajouté : « La liberté de presse, c’est la propriété », une allusion claire à la propriété privée des médias de masse et, ce qui est plus important encore, une dénonciation implicite de la relation pouvoir économique-médias qui permet l’imposition de limites à la « liberté de presse » par les propriétaires de ces médias. Une position qui, dans une autre optique, détermine le fait de privilégier l’exclusion anti-démocratique comme modèle social, étant donné qu’« il ne peut exister de droits de citoyenneté pour tous et toutes ». En effet, « des droits pour quelques-uns, aussi nombreux soient-ils, ne sont pas des droits mais des privilèges », comme le dit bien Candido Grzibowski, de l’Institut brésilien d’analyse sociale et économique (IBASE).

S’il en est ainsi, pourquoi faire autant de bruit, pourquoi faire tout un plat au sujet de la décision du gouvernement vénézuélien, qualifiée par tous les médias de moyen pour « limiter la liberté d’expression », en adoptant des postures dramatiques, horrifiées, des attitudes de fin du monde ? Comment expliquer un tel cynisme alors que les médias en question ont pleinement conscience des limites, des restrictions qu’ils imposent à la « liberté d’expression » qu’ils prétendent défendre ? L’explication réside dans le fait que leurs plaintes sont utiles pour maintenir une des principales sources de leur pouvoir de manipulation de l’opinion publique : préserver la conviction que « la liberté d’expression » est une réalité qui existe pour l’ensemble de la société, sans aucune discrimination ; une réalité qui, dès lors, mérite le déploiement de tous les efforts pour la maintenir intacte. Un moyen qui consolide le pouvoir des médias, puisque, grâce à cela, ils ont réussi à ce que les citoyens d’un pays considèrent que le droit à « la libre expression » existe de façon générale, alors qu’il s’agit d’un droit limité aux propriétaires des médias et, tout au plus, à ceux qui y travaillent et qui, évidemment, ne jouissent que d’une autonomie relative, dépendant de l’agenda, de la ligne politique établie par leurs patrons, sans compter les décisions du pouvoir occulte qu’il y a derrière les médias.

La deuxième raison à ce tollé est beaucoup plus importante : la décision du gouvernement vénézuélien signifie le commencement du démantèlement du monopole que le pouvoir économique a maintenu sur les médias depuis la naissance de nos républiques. Un exemple qui, sans aucun doute, se répandra tôt ou tard, pour répondre à une vieille aspiration des forces progressistes de tous les pays du monde. En Amérique latine, au moins dans les pays où les forces progressistes ou de gauche asystémique ont conquis le pouvoir politique. S’opposer à ce processus est l’objectif réel de la mise en scène en cours puisque le fait d’avancer comme les médias eux-mêmes le prévoient est l’amorce de la fin d’un des monopoles les plus pervers du pouvoir économique, celui des moyens d’information qui leur a permis de contrôler les « esprits » des classes qu’ils dominent au point qu’elles finissent par défendre un prétendu droit de « libre expression » qui n’est, en fait, qu’un privilège du pouvoir économique qui les soumet.

Il faut ajouter à ce qui précède que le plaidoyer dont les médias s’acquittent avec diligence contre la décision légale du gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela revêt une fausse neutralité, non seulement en raison de ce qui a été dit plus haut, mais aussi à cause de la discrimination qu’ils affichent face à des positions qui pourraient être qualifiées de similaires, n’était le caractère ouvertement, constamment et brutalement attentatoire dont font preuve, idéologiquement et politiquement les gouvernements voisins à l’égard des propriétaires des médias. Je me réfère au silence absolu et complice de tous les médias face à l’interdiction par le gouvernement mexicain de Felipe Calderon de la transmission du programme du Parti de la Révolution Démocratique (PRD) sur les temps d’antenne officiels. Dans ce cas précis, c’est bien, à la lettre et au sens strict du terme, un silence complice qui s’affiche et qui est la preuve que la neutralité à laquelle prétendent les médias est fausse, absolument fausse.

Par conséquent, la protestation en faveur de la prétendue « liberté d’expression » ne représente pas autre chose que la défense de la discrimination qui rend possible que nous, la majorité, nous n’ayons pas de voix, pour que le privilège de ceux qui sont propriétaires de médias soit préservé, de sorte qu’ils continuent d’exercer le droit absolu de décider qui il faut attaquer et devant qui il faut se taire. En somme, il s’agit de défendre le droit à l’expression des moins nombreux face au droit des plus nombreux. Une aspiration que les médias tentent de revêtir d’une fausse neutralité, neutralité qui se trahit par leurs propres agissements.

Source : Argenpress.info (http://www.argenpress.info), 7 janvier 2007.

Traduction : Marie-Paule Cartuyvels, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).

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