A Sigonella, l’œil et l’oreille du grand frère OTAN

Région :

L’épisode des interceptions sera « le plus grand scandale de l’histoire de la République », s’est écrié Berlusconi samedi au comice d’Olbia. Il n’a par contre rien dit du fait que quatre jours avant, son gouvernement a donné le feu vert à l’installation en Italie d’un des plus puissants systèmes d’interceptions du monde, à côté de quoi l’épisode des juges italiens est une affaire de dilettantes. Il s’agit du système d’espionnage OTAN Ags (Alliance Ground Surveillance), qui sera installé à Sigonella. La base, qui sera agrandie pour accueillir les 800 militaires (et familles) employés à la nouvelle installation. Sigonella – a dit le ministre de la Défense La Russa- a été choisie, plutôt que d’autres localités en Turquie et Allemagne- pour sa « centralité stratégique en Méditerranée », qui permettra de concentrer dans cette zone d’ « importantes informations pour les diffuser aux autres alliés », en faisant « interagir les différentes forces de l’intelligence » (terme d’usage chez les forces en question pour désigner les activités d’espionnage…NdT).

Le système Ags –explique l’OTAN- servira à surveiller non seulement le territoire italien et des autres pays européens mais aussi celui de pays extra-européens, surtout moyen-orientaux, en fournissant d’importantes informations « avant et pendant les opérations OTAN ». Il sera « un instrument clé pour rendre  plus incisive la Force de réponse de l’OTAN (Nrf), en mesure  d’être projetée,  en l’espace de cinq jours, « pour n’importe quelle mission dans n’importe quelle partie du monde ». Le système Ags fournira un cadre détaillé du territoire à occuper, en permettant aussi de « repérer et viser des véhicules en mouvement ». Ceci sera  rendu possible par divers types de plateformes aériennes et stations  de contrôle terrestres.  Les premiers consisteront en avions-radars (Airbus A 321 modifiés) et avions sans pilote Block 40 Global Hawk du fabricant étasunien Northrop Grumann : ceux-ci, guidés à distance, volent pendant 35 heures à plus de 18 mille mètres d’altitude, et transmettent au commandement les données relevées par les senseurs. Opèrera  en outre depuis Sigonella un aéroplane italien, le Sigint, qui relèvera des ondes électromagnétiques, y compris téléphoniques (et donc en mesure d’intercepter les communications téléphoniques en Italie aussi). Les stations terrestres seront soit fixes soit mobiles, c’est-à-dire pouvant être transférées sur des terrains d’intervention guerrière lointains. Il s’agit donc du système  d’espionnage électronique le plus sophistiqué, destiné au contrôle de pays européens de l’OTAN comme à la potentialisation de sa capacité offensive « hors zone ».

L’accord  pour la création de ce système a été signé par le gouvernement Berlusconi en novembre 2002, en même temps que les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, la Hollande et l’Espagne. On a donc constitué ainsi un « consortium transatlantique » d’industries militaires, comprenant Northrop Grumann, General Dynamics, Eads, Thalès et Galileo Avionica, qui en 2005 a reçu un premier contrat pour un montant de 23 millions d’euros. Petit acompte seulement : l’OTAN elle-même le définit comme « un des plus coûteux  programmes d’acquisition entrepris par l’Alliance », qui comporte  une dépense  d’au moins 4 milliards d’euros. Des engagements ultérieurs ont été  pris par le gouvernement Prodi, en octobre 2006. Le ministre La Russa assure cependant que l’installation du système Ags à Sigonella  aura « une retombée économique dans toute la zone ».

La seule « retombée » sera en réalité  celle d’augmenter  la déjà très lourde  servitude militaire de cette zone, qui comporte aussi des risques sanitaires pour la population, dus aux fortes émissions électromagnétiques. Dans la US Naval Air Station Sigonella,  qui abrite  le centre logistique  des forces  navales du Commandement  européen des Etats-Unis, se trouve un des deux principaux sites du système Gbs, géré par tous les secteurs des forces armées étasuniennes.  Et sera installée, dans la « dependance »  de Niscemi, où  sont déjà en fonction 41 antennes Us, une des quatre stations terrestres du Muos (Mobile User Objective System), le système de l’US Navy qui reliera –avec des communications à très haute fréquence- les forces navales, aériennes et terrestres pendant qu’elles sont en mouvement, quelle que soit la partie du monde où elles se trouvent. Comme si cela ne suffisait pas, arrive maintenant à Sigonella le nouveau système  d’espionnage OTAN qui, annonce le ministre La Russa, confère à l’Italie un « rôle de prestige » accru.

Cet article est aussi paru dans l’édition de mardi 27 janvier 2009 de il manifesto


Reçu de l’auteur et traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Manlio Dinucci

A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

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