Abbas s’en va, quel avenir pour le Fatah?

Le président palestinien Mahmoud Abbas a annoncé jeudi devant les dirigeants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et du Fatah qu’il ne souhaitait pas briguer un nouveau mandat lors des élections générales en janvier prochain. Une décision refusée par le comité exécutif de l’OLP, qui affirme toujours soutenir Abbas.

Comment comprendre ces informations contradictoires? Abbas bluffe-t-il, ou a-t-il réellement l’intention de jeter l’éponge? Quelles seraient les conséquences pour le Fatah et l’Autorité palestinienne, et plus largement, pour le processus de paix dans la région?

Peut-on croire Abbas ?

L’annonce est inédite. Abu Mazen (son nom de guerre) avait déjà évoqué la possibilité de ne pas se représenter, mais en comité restreint. Cette fois, l’annonce en conférence de presse a un impact beaucoup plus important. «Il a fait cette déclaration publiquement, je ne l’imagine pas revenir sur sa décision», explique Julien Salingue, enseignant et doctorant au département de sciences politiques de l’université Paris 8 de Saint-Denis.

Il ne croit pas à la thèse selon laquelle Abbas effectuerait un coup tactique, visant à resserrer les rangs autour de sa personne en menaçant de se retirer. Pour lui, les causes de ce retrait sont multiples: une certaine lassitude, d’abord, chez un homme de 73 ans, lassé des conflits internes dans un parti exsangue.

Les tergiversations américaines dans le processus de paix sont également un facteur important. Abbas l’a d’ailleurs mentionné lors de sa conférence de presse: «Nous avons été surpris par son soutien (ultérieur) pour la position israélienne», a-t-il déploré, en allusion aux propos d’Hillary Clinton sur un gel partiel de la colonisation.

«Ce n’est pas un hasard si Abbas fait cette déclaration quelques jours après la visite de Clinton. Les signaux envoyés indiquaient que le niveau d’exigence américain avait baissé, et qu’Abbas ne pouvait pas espérer obtenir grand chose, détaille Julien Salingue. Il ne voulait pas porter la responsabilité de la destruction du mouvement national palestinien.»

Enfin, la légitimité d’Abbas, pourtant un des derniers cadres historiques de l’OLP et héritier d’Arafat, n’est même plus absolue au sein de l’OLP et du Fatah. «Elle est tombée très bas dans l’opinion de la population palestinienne après l’affaire du rapport Goldstone», souligne Julien Salingue.

Quelle influence pour le Fatah ?

L’impact de la déclaration d’Abbas doit être relativisé, pour la simple raison que la tenue d’élections en janvier prochain était hautement improbable. Depuis 2007, l’Autorité palestinienne n’exerce plus son autorité qu’en Cisjordanie. L’échec récent d’un accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah avait ruiné l’hypothèse d’un vote le 24 janvier prochain. Un scrutin «fantôme», dans la seule Cisjordanie, aurait été désastreux pour l’image du parti fondé par Arafat

Reste que la décision d’Abbas ouvre une période d’incertitude pour le Fatah. «Si le comité exécutif insiste tant pour qu’il se présente, c’est que personne ne veut y aller à sa place. Son retrait, c’est la guerre ouverte à l’intérieur du Fatah, avance Julien Salingue. Personne d’autre n’avait cette légitimité pour parvenir à un consensus.»

Avant de parler de réconciliation avec le Hamas, préalable indispensable à la tenue d’élections crédibles, il va donc falloir que le Fatah se reconstruise. Selon le chercheur, le parti «a autant de lignes que de membres au comité central. C’est un conglomérat de réseaux personnels, de corruption…»

Plusieurs noms sont aujourd’hui évoqués (Fayyad le Premier ministre, les anciens chefs des services de sécurité Rajoub et Dahlan) mais aucun ne semble de nature à rassembler. «Dahlan et Rajoub sont sur une ligne proche, mais ce sont des ennemis personnels», précise Salingue. Quant à Marwan Barghouti, il est toujours emprisonné en Israël

Le processus de paix existe-t-il encore?

Au délitement du Fatah s’ajoutent deux éléments n’incitant guère à l’optimisme: un Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, qui campe sur ses positions et refuse tout arrêt de la colonisation, et une administration Obama qui ne semble plus faire de ce dossier une priorité.

Pour Julien Salingue, «on assiste à l’acte de décès du processus d’Oslo, dont le bilan catastrophique révèle des contradictions indépassables: on demande à l’Autorité palestinienne de maintenir l’ordre, d’assurer la croissance économique mais sans lui accorder de souveraineté réelle ni de continuité territoriale».

Le 6 novembre 2009.


René Naba : Ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l’Agence France Presse, ancien conseiller du Directeur Général de RMC/Moyen orient, chargé de l’information, est l’auteur notamment des ouvrages suivants : —« Liban: chroniques d’un pays en sursis » (Éditions du Cygne); « Aux origines de la tragédie arabe »- Editions Bachari 2006.;  « Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français »- Harmattan 2002. « Rafic Hariri, un homme d’affaires, premier ministre » (Harmattan 2000); « Guerre des ondes, guerre de religion, la bataille hertzienne dans le ciel méditerranéen » (Harmattan 1998); « De notre envoyé spécial, un correspondant sur le théâtre du monde », Editions l’Harmattan Mai 2009.



Articles Par : Sylvain Mouillard

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