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Affaire «Air Cocaïne »: deux pilotes français s’échappent de la République dominicaine
Par Antoine Lerougetel
Mondialisation.ca, 07 novembre 2015
wsws.org
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Dans l’affaire « Air Cocaïne », deux pilotes français qui font appel d’une peine de 20 ans sur des accusations de contrebande de cocaïne en République dominicaine, Pascal Fauret et Bruno Odos, ont été exfiltrés du pays les 24-25 octobre et ramenés en France. Des individus liés aux armées et aux polices françaises et dominicaines les ont illégalement aidé à s’échapper en violation flagrante de la souveraineté dominicaine.

Un membre du complot, Christophe Naudin, a déclaré qu’« une dizaine de personnes », dont lui, ont participé à l’opération, où étaient impliqués « beaucoup d’anciens marines » et « d’autres militaires… surtout de l’aéronavale ». Naudin, qui forme des policiers et des gendarmes, a collaboré avec l’eurodéputé Aymeric Chauprade du Front National (FN) néo-fasciste qui a enseigné la géopolitique au Collège interarmées de défense (CID) et a de nombreux contacts dans l’armée française.

Le comité de soutien aux pilotes a loué le rôle de Fauret et Odos comme pilotes de l’aéronavale dans la guerre de l’OTAN en ex-Yougoslavie dans les années 1990, où ils ont été autorisés à transporter et tirer des armes nucléaires sur ordre du président français.

Selon une source proche de l’enquête, citée par Le Monde, « des Dominicains et des agents de l’Etat français », commandos de marine et agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), « ont participé à cette exfiltration, sans avoir reçu de feu vert officiel de leurs États respectifs ».

Le commando les a amenés en France via l’île franco-néerlandaise de Saint-Martin et le département français d’outre-mer de la Martinique d’où ils ont pris un vol régulier pour la France.

A leur retour en France, les deux pilotes ont été accueillis en héros avec une couverture médiatique généreuse.

Le lendemain de ce retour, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a déclaré que le gouvernement n’appliquerait pas le mandat d’arrêt international de la République dominicaine les visant malgré que la France ait un traité d’extradition avec ce pays: « Nous n’extradons pas des citoyens français lorsqu’ils sont sur notre sol… On est un grand pays, on respecte le droit et on doit être respecté ».

Mais finalement ils ont été arrêtés lundi par la police française, quelque neuf jours après leur retour, et placés en détention provisoire pour être interrogés.

Les personnages impliqués dans cet épisode et leurs activités rappellent l’époque où des militaires tortionnaires d’extrême-droite des opérations anti-insurrectionnelles de l’armée française en Indochine et en Algérie formaient les escadrons de la mort américains et sud-américains dans les années 1960 et 1970.

Les pilotes travaillaient pour Marc Dreyfus, le patron de la compagnie privée de transport aérien SN-THS qui avait affrété le Falcon 50 qu’ils pilotaient, quand ils ont été arrêtés dans un raid conjoint des agences anti-drogue américaine et dominicaine, le 19 mars 2013 à l’aéroport de La Punta. Ils étaient sur le point de décoller avec 26 valises contenant 680 kilos de cocaïne et deux autres citoyens français.

On ne sait pas à qui appartenait la cocaïne. Compte tenu d’une valeur marchande de €50.000 à €60.000 le kilo de cocaïne en France, il est tout de même question d’une somme massive de €30 à €40 millions.

L’ancien président français Nicolas Sarkozy, susceptible d’être à nouveau le candidat conservateur aux élections présidentielles de 2017, est également lié à cette affaire. Son téléphone était sur écoute dans une enquête judiciaire sur d’éventuelles irrégularités dans le paiement de trois vols qu’il a pris, affrétés par la même compagnie de transport aérien, SN-THS, entre décembre 2012 et février 2013. Les vols, ayant coûté €330 000, lui avaient été offerts par la société Lov Group dirigée par Stéphane Courbit.

Bien que la juge d’instruction Christine Saunier-Ruellan n’ait pas déclaré qu’il y avait une connexion avec le trafic de drogue, elle a dit que ces trois vols pouvaient procéder de l’utilisation abusive des actifs de l’entreprise et du recel de biens volés. Courbit avait été inculpé dans l’affaire du financement illicite de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par la multimilliardaire Liliane Bettencourt, de la société L’Oréal.

Marc Dreyfus et son associé Fabrice Alcaud ont été jugés et emprisonnés pour leur rôle dans le trafic de drogue en juin 2013 après une visite de la juge Saunier-Ruellan en République dominicaine. Ils ont été libérés sous caution un an plus tard. Fauret et Odos ont été cités comme témoins assistés.

À l’époque, Saunier-Ruellan enquêtait sur un trafic de drogue impliquant la mafia de la drogue espagnole et marseillaise et leurs collaborateurs dans la police et les douanes françaises.

Fauret, Odos et leurs passagers du Falcon 50 ont tous nié avoir connaissance de l’existence de la cocaïne. Les pilotes ont dit que ce n’était pas leur travail de vérifier le contenu des bagages de leurs passagers.

Cependant, un livre des journalistes en affaires criminelles Jérôme Pierrat et Marc Leplongeon, L’Affaire Air Cocaïne, Mafia et jets privés, cite des SMS envoyés par Fauret à Pierre-Marc Dreyfus et discutant de la cargaison qu’ils transportent, dont un qui déclare « Nature de la charge confirmée ».

Le livre rapporte également que Fauret « aurait aussi participé au chargement des valises dans la soute de l’avion le 20 mars 2013: dans un soupir, Pascal Fauret conclut : ‘Je les ai aidés ‘ ».

Les autorités dominicaines avaient libéré Fauret et Odos avec interdiction de quitter le pays en attendant leur appel contre la peine de prison de 20 ans. En arrivant en France, ils sont restés libres neuf jours, jusqu’à leur arrestation par la police française lundi, et purent donner avec leurs partisans de multiples interviews, donnant leur version des faits à des journalistes sympathisant avec eux.

Ceci en dépit du fait qu’ils avaient été sous surveillance dans une enquête de trafic de drogue sous la conduite de Saunier-Ruellan depuis 2012.

L’opération d’évasion, qui bafoue les tribunaux dominicains, n’a pas été condamnée par le gouvernement du Parti socialiste (PS) français. L’Elysée, le Quai d’Orsay et le ministère de la Défense, ont affirmé qu’ils n’y avaient été impliqués en aucune manière. Un diplomate anonyme est cité qui affirme que « L’Etat français n’a rien à voir, ni de près, ni de loin avec cette évasion. Et les autorités dominicaines l’ont bien compris ».

Un communiqué de l’Elysée a affirmé: « Nous ne sommes pas concernés. C’est une affaire judiciaire ».

En fait, il est patent que l’Etat français est impliqué dans cette affaire. Des agences militaires et de renseignement françaises et des autorités territoriales ont exfiltré ou aidé à exfiltrer les deux pilotes de la République dominicaine, avec ou sans un feu vert officiel de l’Elysée.

On ignore si le président François Hollande a été informé de cette opération. Il est difficile de concevoir une situation où, dans une affaire de relations avec un autre État souverain, les autorités supérieures d’un Etat ne sont pas impliquées. Toutefois, si l’Elysée n’a effectivement pas été informé de cette opération et balaye l’affaire du revers de la main comme ne méritant aucune considération, cela ne ferait que montrer que le PS donne carte blanche aux agences militaires et de renseignement pour violer comme bon leur semble le droit international.

Antoine Lerougetel

Article paru en anglais, WSWS, le 6 novembre 2015

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