Afghanistan: petite histoire de la désinformation occidentale et perspectives d’avenir
TRIBUNE – Profitant du retrait des États-Unis d’Afghanistan, les talibans ont pris le contrôle du pays le 15 août dernier. L’ex-président afghan, Asharaf Ghani, est aujourd’hui en exil aux Émirats arabes unis après la prise de Kaboul. Comment en est-on arrivé à ce renversement du gouvernement afghan soutenu par l’Occident qui a largement investi dans le pays (les USA ont dépensé plus de 2 000 milliards de dollars dans le pays, près de 1 707 milliards d’euros) ?
Est-ce le résultat d’une propagande guerrière US qui a été survendue à l’opinion publique depuis 20 ans ? Quelles sont les perspectives d’avenir aujourd’hui ? Verra-t-on une propagande talibane se mettre en place ou les discours apaisants à la population et à la communauté internationale refléteront-ils la réalité sur le terrain ?
I – Principes de la propagande de guerre
Les principes majeurs de la propagande de guerre (lorsqu’on veut vendre celle-ci à l’opinion publique) peuvent être énumérés comme suit :
- Cacher les intérêts économiques
- Cacher l’histoire / cacher ce qui a été fait pour provoquer la situation
- Diaboliser l’adversaire, inverser l’agresseur et l’agressé, se faire passer pour la victime
- Monopoliser le débat, empêcher que les différentes versions s’affrontent
II- Application de ces principes par les États-Unis en Afghanistan
On peut d’emblée se poser quelques questions légitimes :
- Pourquoi les États-Unis sont-ils allés en Afghanistan ?
- Pourquoi ont-ils soutenu les talibans ?
- Les USA luttent-ils contre le terrorisme ?
- Comment ont-ils mené la bataille de l’information ?
1. Pourquoi les États-Unis sont-ils allés en Afghanistan ?
- Les USA n’interviennent pas pour protéger les droits de l’homme et surtout de la femme
Les déclarations à cet égard émanant du gouvernement US sont une totale hypocrisie : si les États-Unis étaient tellement préoccupés par le sort des femmes en général, pourquoi ont-ils agi contre elles en Irak en détruisant un gouvernement laïque, en Libye en s’alliant avec Al-Qaïda alors que Kadhafi se battait pour le droit des femmes, il était évident que les droits des celles-ci allaient reculer dans ces contextes, sans compter sur les bonnes relations qu’entretiennent les États-Unis avec les Saouds, qui ne sont pas un modèle de respect des droits de la femme. En Afghanistan, il y a eu un gouvernement communiste qui a favorisé l’émancipation des femmes, ce gouvernement, les USA l’ont renversé par la violence. À partir de 1978, celui-ci avait pourtant donné des terres aux petits paysans, construit des routes, alphabétisé la population, développé le doit des femmes. Ce gouvernement a été renversé par les USA en lançant l’opération Ben Laden et en armant des groupes terroristes pour pratiquer la terreur. La CIA a armé des chefs locaux avec des financements US et saoudiens. Les États-Unis se sont appuyés sur les éléments afghans les plus réactionnaires, les plus féodaux, pour renverser ce gouvernement communiste.
- Les États-Unis étaient en Afghanistan pour :
a. Renverser un gouvernement communiste
b. Maîtriser les routes du pétrole et du gaz :
i. Routes vers l’Europe via l’Ukraine (avec un coup d’État réussi avec des milices fascistes),
ii. Routes vers l’Asie (Inde, Asie du Sud-Est et Japon) avec notamment un pipeline à travers l’Afghanistan pour contrôler les ressources de la mer Caspienne. En 1996 entre autres, Madeleine Albright avait invité les talibans au Texas (USA), afin de négocier avec les firmes pétrolières US, et principalement avec UNOCAL Corporation, la construction de ce pipeline. Les talibans, à l’époque, étaient considérés comme des partenaires commerciaux.
2. Pourquoi ont-ils soutenu les talibans ?
Afin de construire le pipeline via l’Afghanistan, les États-Unis avaient besoin d’un gouvernement stable, reconnu internationalement pour garantir l’investissement dans les infrastructures. À cette époque, l’Afghanistan était en proie à une guerre civile avec différents chefs de guerre. Afin de promouvoir un gouvernement stable, les USA ont soutenu les talibans mais le projet de pipeline n’a pas abouti, faute d’accord financier malgré le versement de subventions de plusieurs millions de dollars pour favoriser le projet UNOCAL en 2001. Les talibans, à partir de cette période, ne sont plus apparus comme un partenaire souhaité. Les USA ont commencé à bombarder l’Afghanistan en octobre 2001, en accusant le chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, d’être responsable des attentats du 11 septembre ? bien qu’il semblerait que le bombardement de l’Afghanistan ait été préparé avant lesdits attentats dans un plan de recolonisation du Moyen-Orient élargi.
3. Les USA luttent-ils contre le terrorisme ?
L’intervention US en Afghanistan visait :
- à éviter l’établissement d’une zone de libre échange en Asie, combinant des pays les plus peuplés de la planète avec des pays avec de larges ressources naturelles, et certains pays industrialisés, ce qui était contraire aux intérêts US (analyse d’Henry Kissinger)
- à lutter contre la création d’une alliance Russie-Chine-Iran où l’Afghanistan était géographiquement central (analyse de Zbigniew Brzezinski)
- à continuer à alimenter financièrement le lobby militaro-industriel US
- à assoir la domination mondiale des États-Unis en jouant sur la peur
Les États-Unis ne sont donc pas intervenus en Afghanistan pour mettre fin au terrorisme. Z. Brzezinski a armé et financé les terroristes (Al-Qaïda) pour renverser le gouvernement communiste et, selon Hillary Clinton, financer Al-Qaïda pour lutter contre l’URSS, était un bon investissement. À celà s’ajoute la déclaration de James Backer, conseiller de Carlyle, qui n’hésite pas à affirmer qu’il ne faut s’opposer aux intégristes, que si les intérêts nationaux US l’exigent. À ce titre, les États-Unis n’ont pas hésité à développer des liens avec des terroristes en Libye, en Tchétchénie, en Yougoslavie, en Syrie (opération Timber Sycamore). Il existe aujourd’hui un faisceau d’indices qui permet d’affirmer que Washington a coopéré avec Daech dans le nord de l’Afghanistan (vols d’hélicoptères banalisés depuis 2017 dans des zones d’activité de Daech et, d’après des sources afghanes, les troupes de Daech ont reçu par ce biais des renforts, des armes et des munitions, etc.)
4. Comment les USA ont-ils mené la bataille de l’information ?
À ce stade, on peut s’interroger sur l’indépendance des médias « grand public » et leurs sources d’information qui comprennent la CIA, comme l’a révélé entre autres Udo Ulfkotte. On assiste également à une paupérisation et à une mise à l’écart de journalistes d’investigation qui pourraient « déranger les versions officielles » et à des poursuites judiciaires appliquées aux lanceurs d’alerte notamment aux États-Unis, dont Julian Assange et Edward Snowden sont les plus connus.
La victoire des talibans au vu des rapports de forces ne pouvait pas se réaliser sans un minimum de soutien d’une partie de la population qui ne voulait plus d’un pays envahi, à qui on imposait les lois et que l’on bombardait, selon certains, même si cela a été démenti par les USA, avec des munitions à l’uranium appauvri.
III – Perspectives d’avenir
La guerre en Afghanistan n’était pas semble-t-il la solution et l’Occident a perdu. Il reste un pays à reconstruire.
1. Exploitation des ressources naturelles
Outre des terres extrêmement riches en lithium (composant indispensable pour les batteries de voitures électriques), l’Afghanistan possède de grandes réserves de minerais de fer, d’uranium, de zinc, de tantale, de bauxite, de charbon, de gaz naturel et de cuivre.
Toutefois, les infrastructures d’exploitation de ces ressources naturelles sont coûteuses.
2. Arrêt de la culture du pavot / lutte contre le trafic de drogues
La population vit majoritairement de l’agriculture et de l’exploitation du pavot, culture à l’origine de l’opium et de l’héroïne qui représente un cinquième de son PNB. Les talibans ont affirmé vouloir combattre l’opium et l’héroïne dont les productions ont largement cru sous l’occupation des États-Unis. Suivant diverses sources, la CIA se serait en partie financée avec le trafic de drogues, en contrepartie d’armement et de soutiens politiques.
3. Recherche de financements extérieurs
L’Afghanistan fait partie des États les plus pauvres au monde avec, en 2020, un produit intérieur brut de 19,81 milliards de dollars, et survit notamment grâce aux aides étrangères qui représentent une grande partie de ce PIB selon la Banque Mondiale. Pour l’instant, les talibans n’ont pas accès aux réserves d’environ neuf milliards de dollars de la banque centrale, qui sont principalement logés aux États-Unis (Fed). Quant au FMI et la Banque Mondiale, ils ont suspendu leurs aides.
4. Développement économique et social
Le développement économique et social est une base pour l’amélioration des droits humains dans le pays.
5. Stabilité du pays et lutte contre le terrorisme
La lutte contre le terrorisme est une des conditions pour une reconnaissance internationale. L’Organisation de la coopération islamique (OCI) craint que l’Afghanistan ne devienne un refuge terroriste et a appelé à un dialogue inclusif. La question se pose également pour les milliers d’armes US laissées sur le sol afghan après le départ des États-Unis.
6. Droits humains et notamment ceux des femmes
Cette remarque sur la reconnaissance internationale s’applique également aux droits humains et notamment à ceux des femmes.
7. Réconciliation nationale
Les talibans ont promis d’enquêter sur les accusations de représailles et d’atrocités perpétrées dans leurs rangs.
IV – CONCLUSION
Les talibans en quête de reconnaissance internationale sauront-ils conduire une politique qui assurera paix et prospérité au peuple afghan, et garantira la stabilité de cette région du monde ? Ils ont gagné la guerre, sauront-ils préserver cet acquis face aux multiples défis qui les attendent ? Les talibans seront jugés sur leurs actes et leurs résultats.
Anne Philippe pour France Soir
Image en vedette : Carte de l’Afghanistan, Pixabay.com
Sources principales : Investig’Action (Michel Midi), Sputnik (Florent Zephir, Youlia Zvantsova), Les Echos (Sophie Rolland, Joséphine Boone, Yves Bourdillon), Deep-news media (Maxime Chaix), Réseau Voltaire (Thierry Meyssan)