Afghanistan : Une guerre brutale et inutile sur laquelle les medias restent silencieux

C’est facile d’oublier que la route pour Guantanamo a commencé dans des endroits comme Kandahar et Jalalabad.

On dit que les journalistes ont fourni la première version de l’histoire. Avec l’invasion de l’Afghanistan menée par les US, cette version a conduit à un consensus presque universel, au moins parmi les américains, que l’attaque était un acte d’auto défense justifié. L’action contre l’Afghanistan est de même communément perçue comme étant un conflit « propre » – une guerre menée avec un minimum de perte en vies humaines, et le type de guerre qui n’a pas provoqué un tollé internationale contre les US, comme la fait celle menée contre l’Irak un an plus tard.

Ces points de vue sont également ceux d’un grand nombre d’américains qui critiquent les excès de l’administration Bush concernant la « guerre contre le terrorisme ». Mais il y a là une coupure d’avec la réalité. Tout ce qui a suivi – emprisonnements secrets, torture, l’invasion de l’Irak, l’assaut mené contre les protestations sur la scène nationale – sont inévitablement la conséquence de l’échec à contester l’affirmation de Bush qu’un acte de terrorisme nécessite une réponse militaire. Les Etats-Unis ont une riche histoire en ce qui concerne l’abandon de leurs valeurs libérales en temps de guerre, et c’est notre acceptation de la façon dont Bush a présenté la guerre qui a conduit aux abus qui ont secoué le statut moral des US sur la scène mondiale.

Dans son livre The Guantanamo files, l’historien et journaliste Andy Worthington offre une correction particulièrement nécessaire à la vision du conflit en Afghanistan projetée dans les infos le soir devant la plupart des américains. Worthington est le premier à détailler les histoires de tous les 774 prisonniers qui sont passés par le « trou noir légal » de l’administration Bush à Guantanamo Bay, Cuba. M ais son livre démarre en Afghanistan et montre précisément que la route pour Guantanamo – sans mentionner Abu Graib – a commencé dans des endroits comme Kandarar.

Alternet a récemment demandé à Worthington comment se présentait ce parcours à son point d’origine.

Joshua Holland : Je pense que la plupart des américains croient que nous sommes allés en Afghanistan pour chasser le « jihad » anti-américain et anti-occidental, mais votre livre présente le fait que les US sont entrés d’un côté d’une guerre civile existant depuis longtemps et qui n’avait rien à voir avec une sorte de « clash de civilisations » entre l’Occident et L’Orient. Pouvez vous nous expliquer sur quoi porte ce conflit ?

Andy Worthington : Certainement, en fait c’est une très bonne question. En bref, les racines du conflit se trouvent dans la résistance afghane à l’invasion soviétique des années 80, quand les Etats-Unis, via les intermédiaires pakistanais, et les Saoudiens ont financé les mujahedeen – des seigneurs de guerre Afghans et leurs soldats, soutenus par un plus petit nombre de recrues arabes.

A la fin des années 80, quand l’Union Soviétique s’est retiré, le pays a plongé dans la guerre civile, car les différents seigneurs de guerre, enhardis par les milliards de dollars d’aide US et Saoudienne, se sont battus entre eux pour contrôler le pays. Des dizaines de milliers de civils sont morts, à cause de crimes et violations des droits humains.

Majoritairement à cause de cet état de non droit, les Talibans – à l’origine un groupe d’étudiants religieux ultra orthodoxes du sud du pays – se sont soulevés pour nettoyer le pays en créant un état purement islamique. Leur projet aussi a vite déraillé à cause de la brutalité et du fondamentalisme religieux qui a choqué l’Occident, mais c’est le combat entre les Talibans et les seigneurs de la guerre de l’Alliance du Nord qui a attiré des milliers de combattants en Afghanistan dans les années 90, poussés par des fatwas proclamées par des Cheikhs radicaux dans leurs patries, qui exigeaient d’eux d’aider les Talibans dans leur lutte contre l’Alliance du Nord.

Osama Ben Laden, qui a vécu en Arabie Saoudite et au Soudan dans la période post soviétique, est retourné en Afghanistan en 1996 (dans les années 80, Osama Ben Laden avait combattu les Soviétiques pour le compte de la CIA ndlt) et s’est impliqué dans le financement de camps d’entraînement militaire et la mise sur pied d’un plan mondial de jihad anti américain, mais – bien qu’il y est eu un certain chevauchement entre Al Qaeda et une partie de la direction des Talibans – la vaste majorité des recrues, comme je l’ai indiqué, étaient impliquées non pas dans un « clash des civilisations » mais dans une guerre provinciale civile entre musulmans.

JH : C’est un pont important. Il y a une opinion répandue qu’il existait un lien intégral entre les Talibans et le groupe de Ben Laden, et que celui – ci justifiait notre attaque contre l’Afghanistan, un état nation, comme action « d’auto défense ». Mais en réalité, les Talibans étaient occupés à combattre cette guerre civile inter musulmane et avait au sein d’Al Qaeda peu ou pas de rôle. Allons un peu plus loin : quel niveau de collaboration y avait-il ?

AW : selon une officier supérieur des renseignements américains interviewé par le journaliste David Rose en 2004, cette coopération était minime. Il a dit à Rose qu’en « 1996, elle était non existante, et comprenait pas plus de 50 personnes en 2001. » Cet officier faisait référence à une coopération à un haut niveau dans les deux organisations, et certains commentateurs ont fait remarquer que la « brigade arabe » d’Al Qaeda d’environ 500 soldats a contribué à la force militaire des Talibans, mais pour revenir à ce que nous discutions auparavant, ceci se passait dans le contexte d’une guerre civile inter musulmane et non pas une guerre contre les US.

Il y avait certainement des divisions importantes au sein de la direction des Talibans concernant Bin Laden, et même le Mullah Omar, le dirigeant Taliban, n’était apparemment pas impressionné par Ben Laden pendant les années de son retour en Afghanistan. En 1998, Omar avait même prévu de trahir Ben Laden en le livrant aux Saoudiens, mais quand Al Qaeda a attaqué les ambassades US au Kenya et en Tanzanie, et les US ont mené des représailles en lançant des missiles de croisière sur les camps d’entraînement en Afghanistan, Omar s’est rapproché de Ben Laden. En dépit de cela, les Talibans ont offert de livrer Ben Laden après e 11 septembre si on leur apportait les preuves de son implication dans les attaques du 11 septembre.

JH : ils étaient si proches en 1998 – l’accord avait été passé, et deux jets transportant le prince Turki et un groupe de commandos saoudiens avaient effectivement atterri en Afghanistan et attendaient pour récupérer Ben Laden quand l’accord a été rompu.

AW : c’est exact. Et un autre signe clair des mensonges sur « l’intégration complète » à laquelle vous faite référence c’est ce qui est arrivé le 7 octobre 2001, la première nuit de l’« Opération Enduring Freedom » quand l’armée US a annoncé qu’elle avait bombardé 2 3 camps d’entraînements d’Al Qaeda. Comme je l’ai mentionné dans le livre, des douzaines de camps établis en Afghanistan dans les années 80 et après, la plupart étaient financés par le Pakistan et de riches donateurs des pays du Golfe. Certains étaient dirigés par des seigneurs de guerre, d’autres par des groupes pakistanais, et d’autres par des groupes militants d’autres pays. Bien que Ben Laden ait eu personnellement quelques camps, c’était inexact de décrire tous les camps d’entraînement en Afghanistan comme des « camps d’Al Qaeda ».

JH : Ok, permettez que je revienne brièvement sur un point évoqué auparavant. Des supporters du réseau de prisons « noires » de Bush ont dit que ceux qui s’y sont retrouvés étaient des « combattants illégaux ». Et vous avez dit qu’un grand nombre de personnes dans le monde musulman ont été attiré pour servir comme recrues dans la guerre civile d’Afghanistan, mais dans le livre, vous dite aussi clairement que beaucoup d’entre eux n’étaient même pas des recrues – pas du tout des combattants – mais des étudiants religieux, des travailleurs sociaux, et d’autre jeunes aventuriers, et beaucoup d’entre eux ont été plus tard pris dans le chaos qui a suivi l’invasion et ont échoué à Guantanamo.

AW : Oui c’est exact. Je dirait qu’entre 70 et 100 des détenus non afghans avaient voyagé en Afghanistan pour fournir une aide humanitaire au peuple afghan, pour enseigner ou étudier le Coran, comme migrants économiques, ou même parce qu’ils étaient curieux de « l’état pur islamique » soit disant établi par les Talibans dans certains endroits. Un nombre identique a été capturé au Pakistan. Des travailleurs sociaux ont été capturés près de la frontière, où ils s’étaient rendus pour fournir une aide dans les camps de réfugiés, et d’autres – dont des missionnaires, des entrepreneurs, des migrants économiques, des réfugiés et des étudiants – ont en fait été capturés ailleurs au Pakistan, dans des villes et villages loin des « champs de bataille » d’Afghanistan.

Et puis il y a aussi les détenus afghans qui constituent environ ¼ de la population totale de Guantanamo. Beaucoup d’entre eux étaient des conscrits forcés, qui ont été obligés de servir les Talibans, et la plupart de ceux restants ont été capturés sur la base de faux renseignements- parce que les forces US ne savaient pas à qui faire confiance – ou ont été livrés par leurs rivaux, en affaire ou en politique, qui ont raconté des fausses histoires aux Américains.

JH : et par quel processus l’armée américaine les a triés – comment faisaient –ils la distinction entre les « combattants ennemis » et les pauvres poires qui ont été attrapés au mauvais endroit au mauvais moment ?

AW : il n’y avait pas de processus. Dans toutes les guerres précédentes, l’armée US avait respecté les Conventions de Genève, et, dans le respect des Articles 5 et 3 de la IVème Convention, avait établi des tribunaux sur le champ de bataille pour séparer le grain de l’ivraie – pour séparer les combattants des fermiers. Lors de la première guerre du Golfe par exemple, l’armée a établi 1196 tribunaux de ce type, et presque trois quarts des prisonniers ont été de ce fait relâchés.

Cependant, en Afghanistan, non seulement il n’y a pas eu de tribunaux sur le champ de bataille, mais Chris Mackey, qui a travaillé comme interrogateur en chef dans les prisons sur les bases aériennes de Kandahar et de Bagram, où les prisonniers de Guantanamo sont passés, a noté dans son livre « The Interrogators » que chaque arabe qui se retrouvait en détention US était envoyé à Guantanamo sur l’ordre de hauts responsables de l’armée et des services de renseignement, qui recevaient la liste des prisonniers à leur base au Koweït.

Bien que seuls les Afghans ayant « une valeur considérable en matière de renseignement» étaient supposés être envoyés à Guantanamo, pour Mackey c’est aussi clair que ce n’est pas avant juin 2002, alors qu’il y avait déjà 600 prisonniers à Guantanamo, que ceux en charge sur le terrain en Afghanistan ont déterminé une catégorie dite de prisonnier temporaire – des personnes sous contrôle US – qui pouvaient être emprisonnés 14 jours sans qu’on leur attribue un chiffre qui rentrait dans le système supervisé par les officiers militaires au Koweït. C’était la seule façon qu’ils avaient de s’occuper d’au moins un certain nombre d’Afghans innocents qui se retrouvaient entre leurs mains.

JH : quelques unes des histoires que vous racontez dans votre livre font découvrir ceci ici, aussi j’aimerai vous demander de nous raconter brièvement les histoires de quelques détenus. Selon l’armée US, il y avait 3 adolescents de moins de 16 ans enfermés à Guantanamo. Choisissez l’un des trois, et dites nous comment il a atterri à Guantanamo.

AW : d’abord premièrement il y avait en fait bien plus que 3 détenus âgés de moins de 16 ans et tous ces détenus auraient du être comptés comme adolescents et traités comme tels, dans toute société civilisée.

Cependant, les 3 dont vous parlez sont trois garçons afghans qui étaient âgés de 12, 13, et 14 ans lors de leur capture. Deux ont été capturés lors d’un raid sur la maison d’un petit seigneur de guerre appelé Samoud, et qui semblait avoir beaucoup d’ennemis dont les Talibans, et l’autre – Mohammed Ismaël Agha âgé de 14 ans – a en fait été livré aux forces US par les Talibans. Il cherchait du travail avec un ami et avait été obligé de passer la nuit dans un avant poste des Talibans. Le matin, les soldats talibans leur ont demandé de se joindre à eux, et quand ils ont refusé, ils ont été livrés à la base US la plus proche.

JH : l’armée dit que des efforts ont été fait pour répondre à « leur besoins spécifiques spéciaux émotionnels et physiques » qu’ils ont été hébergés dans «une prison séparée modifiée pour répondre aux besoins spécifiques des adolescents » et «n’ont pas subi les mêmes restrictions que les détenus adultes ». Est ce que c’est ce que vous avez trouvé ?

AW : jusqu’à un certain point oui. Ces trois là, étaient hébergés séparément dans un bâtiment appelé Camp Iguana, et ils ont été relâchés en janvier 2004, bien qu’ils auraient du être libérés bien plus tôt. Cependant c’était les plus chanceux. Pour donner juste un exemple : le compagnon d’Agha, Abdul Qudus, qui avait aussi 14 ans, n’a pas été libéré avant 2005 ou 2006, et il n’y a pas de preuve qu’il – et d’autres adolescents détenus – ait été détenu séparément du reste de la population adulte, ou même traiter différemment.

Le cas le plus célèbre d’adolescent détenu à Guantanamo c’est bien sûr le canadien Omar Khadr, qui avait 15 ans quand il a été capturé après un combat au cours duquel il a soit disant tué un soldat US. Khadr a été traité de manière horrible en Afghanistan et à Guantanamo, et passe actuellement en jugement devant l’une de ces commissions questionnables de l’administration militaire, au cours de laquelle il a été révélé qu’il ne serait même pas responsable pour la mort du soldat US.

JH : qui est Mohammed Sadiq ?

AW :Mohammed Sadiq était le prisonnier le plus âgé de Guantanamo. Il avait 88 ans au moment de sa capture. Sadiq a apparemment été arrêté parce que son neveu avait travaillé pour les Talibans. Les forces US ont bombardé sa maison, pris tout ce qui lui appartenait et l’ont envoyé sur la base militaire de Kandahar. Il a été l’un des premiers prisonniers à avoir été libéré en octobre 2002. Mais le seul fait qu’il ait été envoyé à Guantanamo est une honte, et il a été rapporté qu’après sa libération qu’il avait été incapable de surmonter ce qui lui était arrivé.

JH : et finalement dites moi qui était Abdul Razeq ?

AW : Abdul Razq était un schizophrène profondément perturbé qui a été gardé en isolement à Kandahar, parce que, entre autres choses, il avait tendance à manger ses excréments. De manière déshumanisante, les soldats parlaient de tous les détenus comme des « Bob » et Razeq était connu comme « Bob le fou ». Lui aussi a été envoyé à Guantanamo. Mais il a été renvoyé en Afghanistan en mai 2002. Chris Mackey a noté qu’il était arrivé « attaché au milieu de l’avion comme Hannibal Lecter ». Il a alors été placé dans une cellule de haute sécurité à l’hôpital, où un journaliste l’a interviewé. Il était si perturbé qu’il a décrit la prison de Kandahar comme un « hôtel » et a dit que les américains l’avaient emmené à Guantanamo pour « traiter ses problèmes mentaux ».

JH : et les US pensaient que ces personnes étaient…

AW : des « combattants ennemis ». C’est ainsi que cela fonctionnait. Chaque personne qui se retrouvait en détention US était un « combattant ennemi ».En fait, quand vous considérez l’absence de tri an Afghanistan et les échecs du processus judiciaire qui s’est déroulé à Guantanamo à partir de 2004- que le lieutenant colonel Stephen Abraham qui a travaillé pour eux, a décrit dans un communiqué explosif l’année dernière comme reposant sur des « preuves » souvent générales et vagues qui n’avaient rien à voir avec les détenus en question, et avaient essentiellement pour but de justifier leur désignation comme « combattants ennemis » – vous réalisez que, en lien avec la « guerre contre le terrorisme », la présomption d’innocence a été complètement liquidée.

Pendant les 4, 5 années qui ont suivi le 11 septembre, chaque prisonnier était effectivement considéré comme coupable jusqu’à ce qu’il soit prouvé être coupable. Après les tribunaux, 38 détenus ont été disculpés et relâchés – bien que l’administration, niant le concept d’innocence et d’arrestation par erreur, faisait référence à eux comme « n’étant plus des combattants illégaux » – et un grand nombre l’ont été chaque année depuis, mais pour les 281 détenus qui restent, il est évident que les « preuves » contre eux n’ont jamais été réellement testées.

JH : alors que je lisais le livre, cela m’a frappé que non seulement le public américain – sans même mentionner l’armée et les renseignements – ait un point de vue complètement faux de qui était « l’ennemi » mais qu’il y avait une croyance largement répandue que l’Alliance du Nord c’était les « bons types ». Je n’ai pas vraiment vu de « bons types » dans votre livre – avec qui étions nous alliés ?

AW : une brève réponse c’est que pour tenter de ne pas s’enliser comme l’avait été l’Union Soviétique, l’invasion US a seulement impliqué quelques centaines d’agents des forces spéciales qui se sont alliés avec différents dirigeants de l’Alliance du Nord, dans le Nord de l’Afghanistan, et les ont soutenu avec de l’argent, des armes et la puissance aérienne.

Il y avait quelques commandants militaires à principes dans l’Alliance du Nord – dont Ahmed Shah Massoud, le dirigeant charismatique de l’Alliance, qui a été tué par des assassins d’Al Qaeda juste deux jours avant le 11 septembre – mais même des hommes de Massoud ont été accusés d’atrocités commis pendant des années, et on devrait peut être considérer qu’à la base de tout, l’Afghanistan est un pays disproportionnément bien armé qui a été brutalisé psychologiquement par une guerre de maintenant bientôt 30 ans.

Néanmoins, l’invasion a conduit à des événements horribles, pour lesquels l’armée US a été au moins partiellement complice. En novembre 2001, après la reddition de la ville de Kunduz, le général Rashid Dostum, l’un des dirigeants de l’Alliance, a massacré des centaines si ce n’est des milliers d’autochtones et de combattants Talibans étrangers en provocant leur suffocation dans des camions containers en route pour sa prison de Sheberghan (la mort dans les camions containers est une innovation plutôt récente pratiquée par les deux camps). Il y a des preuves que les forces américaines n’ont pas été rebutées par la tournure prise par les évènements, et que de plus, elles ont été impliquées dans le traitement particulièrement brutal de certains des survivants à la prison de Dostum.

Bien sûr on pourrait voir cela comme faisant partie des réalités de la guerre, mais l’action US n’est pas meilleure dans le sud du pays, où, pour tenter d’obtenir le soutien au cœur des terres des Talibans/Pashtouns, les forces US ont passé de nombreux accords avec divers chefs de guerre à qui on ne pouvait pas faire confiance, ce qui a conduit de nombreux Afghans innocents à être envoyés à Guantanamo.

JH : En fait dans le livre vous décrivez une scène de chaos total juste après l’invasion, et l’une des affirmations les plus répandues parmi les nombreux détenus qui se sont retrouvés à Guantanamo, c’est qu’ils avaient été vendus aux troupes US par ces alliés – ou par des chefs de tribus ou des unités de Talibans ou quiconque les rencontrait – – jusqu’à 5 000 $ par tête. Il y avait effectivement de réelles incitations financières permettant d’affirmer que des recrues malchanceuses ou étudiants coraniques étaient des agents de haut niveau d’Al Qaeda.

AW : Oh, absolument. Les équipes militaires de psyops sont venus avec plus d’une centaine de prospectus différents et en ont largué des millions d’exemplaires sur l’Afghanistan. La plupart ont offert, sans succès, des récompenses de 25 millions de $ pour la capture d’Osama Ben Laden, Yaman Al Zawahin et Mullah Omar, mais l’un d’eux en particulier portait ce message :

« Vous pouvez recevoir des millions de $ en aidant les forces anti Talibans à attraper les tueurs d’Al Qaeda et Talibans. Ceci représente assez d’argent pour prendre en charge votre famille, votre village, votre tribu pour le reste de votre vie – payer pour du bétail, des visites chez le docteur, et des livres d’école, et des maisons pour toutes les personnes sous votre responsabilité. »

Et au Pakistan il a été dit que la situation était encore plus corrompue. Dans son autobiographie de 2006 « In The Line of Fire », le Président Musharraf s’est vanté qu’en retour pour avoir remis 369 suspects de terrorisme (dont un grand nombre ont été transférés à Guantanamo) « on a été grassement payé avec des millions de dollars ».

JH : Et ceux qui ont été remis par différents clans n’ont pas été chanceux. Je pense que la plupart des gens seraient choqués de la façon abusive et violente avec laquelle les troupes US se sont comportées vis-à-vis des détenus en Afghanistan.

AW : Je pense que vous avez raison de soulever ce point, parce que Kandahar et Bagram étaient les véritables lignes de front dans la « guerre contre le terrorisme », où les conditions étaient, je pense que c’est juste de le dire ainsi, primitives, brutales et terribles. Lors des premiers mois, les prisonniers ont été battus, humiliés, et empêchés de se parler entre eux. Les pires abus cependant, se sont passés à Bagram de juillet 2002 et au-delà. C’est à ce moment là qu’au moins deux prisonniers ont été assassinés- dont un, un chauffeur de taxi innocent nommé Dilawar, dont je parle dans mon livre, et qui est aussi un point central de l’excellent documentaire d’Alex Gibney « Taxi For The Dark Side ».

Et il y a eu des prisons encore pires en Afghanistan – un certain nombre de prisons secrètes gérées par la CIA (à ce jour personne ne sait exactement combien), dont deux près de Kabul. «Dark Prison » ressemblait à un donjon de torture médiéval, mais avec de la musique et du bruit 24h sur 24, et l’autre s’appelait « Salt Pit ». Des douzaines de détenus de Guantanamo sont passés par là, de même que d’autres « prisonniers fantômes » qui ont ensuite disparu.

JH : et c’est un modèle qui a ensuite était reproduit à Abu Graib, de même qu’à Gitmo ?

AW : C’est tristement vrai. L’équipe responsable pour ses pires violences à Bagram – au moment des meurtres – a en fait été transférée à Abu Graib, et une grande partie de la violence institutionnalisée à Guantanamo s’est inspirée de celle pratiquée dans les prisons afghanes. On doit cependant aussi noter ce qui s’est passé à Guantanamo fin 2002. L’administration était déçue par le manque de qualité des renseignements obtenus des détenus et a décidé que c’était parce qu’ils avaient été entraînés par Al Qaeda à résister aux interrogatoires, alors même que la plupart n’étaient que de simples recrues et des hommes innocents, et qu’ils n’avaient aucune information importante à révéler. Pour tenter de « briser » les détenus, le Pentagone a autorisé l’utilisation de « techniques d’interrogatoires poussées ( un euphémisme pour torture ndlt) dont maintien prolongé en isolement, nudité forcée, l’utilisation de températures extrêmes chaud et froid, humiliation sexuelle et l’utilisation prolongée de positions douloureuses. Le commandant de l’époque était Geoffrey Miller, il a plus tard été envoyé à Abu Graib pour « Gitmo-iser » les opérations en Irak, avec les résultats qui ont horrifié le monde entier, quand le scandale a été révélé en avril 2004.

JH : changeons un peu de sujet pour le moment. Les apologistes de Bush excusent souvent ce type d’abus que vous avez décrit en affirmant que les prisonniers retenus à Gitmo avaient été « capturés sur le champ de bataille », est-ce que c’était toujours le cas ?

AW : non pas du tout. La grande majorité n’ont pas été capturé sur un quelconque champ de bataille, et comme une analyse faite de documents du Pentagone par l’école de droit de Seton Hall le montre, n’ont même pas été capturés par les forces US. 86 % ont été capturés par les alliés des américains, qui ensuite les leur ont remis, ou vendus, comme discuté plus haut. Il faut noter que plusieurs douzaines de détenus ont été capturés dans 17 autres pays, dont l’Azerbaïdjan, la Bosnie, l’Egypte, la Gambie, la Georgie, l’Indonésie, l’Iran, la Mauritanie, la Thaïlande et la Zambie.

Après le 11 septembre, de nombreux pays étaient prêts à coopérer avec les US pour tenter de traquer des terroristes potentiels, mais c’est aussi important de comprendre que l’administration a fait énormément pression sur ces pays. Par exemple, c’est ce qui est arrivés aux six Bosniaques d’origine algérienne et qui sont toujours à Guantanamo. (Il semblerait que l’Algérie ait accepté récemment qu’ils y soient rapatriés à condition de pouvoir y être jugés ndlt). Le gouvernement US les a accusés d’avoir comploter pour faire sauter l’ambassade US de Sarajevo. Les Bosniaques les ont alors emprisonnés, ont mené une enquête pendant trois mois mais n’ont trouvé aucune preuve confortant cette accusation. Cependant, dés qu’ils ont été relâchés, des agents US se sont emparés d’eux et ils ont été envoyés à Guantanamo. Les Bosniaques ont été incapables d’empêcher cela.

JH : je pense que nous arrivons au coeur de votre livre. L’administration dit que ceux qui sont à Gitmo sont « le pire du pire ». Mais vous affirmez que sur près de 800 êtres humains que les US ont capturés ou achetés, détenus incognito sans aucun droit légal, régulièrement battus et dans quelques cas assassinés, seulement environ 40 étaient des durs , des terroristes anti US. Comment en êtes vous arrivés là ? Est-ce que de vrais terroristes n’affirmeraient-ils pas qu’ils sont de simples innocents capturés au mauvais endroit au mauvais moment ?

AW : mon affirmation est basée premièrement sur des déclarations faites par des douzaines de sources des renseignements et de hauts gradés militaires citées par The New York Times en juin 2004, alors que 749 détenus se trouvaient à Guantanamo. Ces responsables ont dit qu’aucun de ces prisonniers « ne pouvaient être catalogués comme dirigeants ou agents de haut niveau d’Al Qaeda » et que « seulement une poignée – certains ont cité le chiffre d’une douzaines d’autres plus de deux douzaines – étaient reconnus comme étant membres d’Al Qaeda ou d’autres militants capables d’élucider le fonctionnement interne de l’organisation. »

Dix autres détenus ont été transférés à Guantanamo de prisons secrètes de la CIA en septembre 2004 – bien que je n’ai aucun doute que tous n’étaient pas des terroristes – et en plus, 14 autres détenus de « haute valeur » – dont Khalid Sheikh Mohammed et 4 autres hommes accusés récemment de lien avec les attaques du 11 septembre- y ont été transférés en septembre 2006.

40 c’est peut être un chiffre trop bas, mais je suis sûr que ce n’est pas plus de 50. Comparativement à la population totale de Guantanamo c’est juste 6%, un chiffre décevant et honteux.

JH : Finalement, vous affirmez que toutes ces politiques ont été dictées aux échelons les plus élevés du gouvernement US – pouvez vous expliquer brièvement ce qui vous fait penser cela ?

AW : bien sûr. DickCheney et ses conseillers – spécialement David Addington, son conseiller légal (et maintenant chef du personnel) – est l’auteur de l’ordre militaire de novembre 2001qui autorisait le président à capturer quiconque il considérait comme un terroriste partout dans le monde, les déclarer « combattant ennemi » et les emprisonner sans chef d’accusation ou procès. Ce même document établissait également les commissions militaires. Puis Cheney et sa cabale ont persuadé le président d’accepter que les prisonniers ne soient pas considérés comme protéger par les Conventions de Genève et en août 2002, un « Mémo sur la Torture » a cherché à établir que les interrogatoires constituaient un acte de torture seulement si la souffrance subie était « d’une intensité identique à celle accompagnant une blessure physique tel que défaillance d’un organe, troubles des fonctions corporelles ou même mort ». Ceci a donc encouragé l’utilisation étendue de « techniques d’interrogatoires poussées » qui à Guantanamo ont été explicitement approuvées par Donald Rumsfeld.

De nombreux américains à principe, corrects, ont essayé de résister à ces innovations, ou se sont exprimés contre, mais la citation la plus introspective que j’ai trouvée sur les implications de ces politiques sont celles de Milton Bearden, un ancien chef de bureau de la CIA, qui a dit à David Rose :

« peu importe la distribution de ce Mémo ou s’il a été contrôlé de façon serrée. Cette forme de pensée imprégnera le système de bouche à oreille. Quiconque suggère que celui-ci ou d’autres mémos officiels sur ce sujet n’ont pas d’impact ne connaît pas comment ces choses fonctionnent sur le terrain. »

Article original en anglais, Afghanistan: The Brutal and Unnecessary War the Media Aren’t Telling You About Afghanistan, interview réalisée par Joshua Holland pour Alternet, 26 février 2008: http://www.alternet.org/audits/77500/

Traduction: Mireille Delamarre pour www.planetenonviolence.org, 8 mars 2008.  



Articles Par : Joshua Holland

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