Agent Orange, chronique 13: Décontamination et technologie de bioremédiation.
Une décontamination à très petite échelle approche, pierre de touche d’une technologie de bioremédiation.

Nous sommes alors le vendredi 9 septembre 2011, le blog.mondediplo.net publie Cinquante ans après, l’« Agent Orange » empoisonne le Viêt Nam, par Marie-Hélène Lavallard.
Le 18 juin dernier, une cérémonie a marqué le coup d’envoi de la décontamination de l’aéroport de Da Nang, proche du grand port en eau profonde du Viêt Nam. Selon le programme publié un an auparavant, 300 millions de dollars seront nécessaires pour remédier en dix ans dans l’ensemble du pays[1] aux épandages de défoliants.
Pendant la guerre du Viêt Nam, d’août 1961 jusqu’en 1971, l’aviation américaine a arrosé le Sud afin de chasser de la jungle les combattants qui s’y abritaient et de stériliser les rizières, forçant les villageois à se regrouper dans les « hameaux stratégiques » et privant ainsi les maquisards de nourriture et d’aide[2]. Plus de 77 millions de litres de défoliants ont été déversés par avion (95 %), par hélicoptère, par bateau, par camion-citerne et par des pulvérisateurs portés à dos d’homme. Plus de 2,5 millions d’hectares ont été contaminés par ces défoliants, dont le plus connu est l’« Agent Orange ». Il contient de la dioxine, le poison le plus violent et le plus indestructible que l’on connaisse. C’est un désastre environnemental immense et une catastrophe humaine multiforme qui atteint aujourd’hui la quatrième génération de Vietnamiens, sur les plans sanitaire, économique et socioculturel.
Le gouvernement américain et les firmes impliquées éludent leurs responsabilités. Une conspiration du silence a caché pendant des années la toxicité des défoliants employés. Le Dialogue Group a été fondé en 2007 sous l’égide de l’Institut Aspen, grâce à un financement de la Fondation Ford. Il réunit des citoyens, des hommes politiques et des scientifiques des deux pays pour se pencher sur les conséquences des épandages d’« Agent Orange ». Son objectif explicite – démontrer qu’au-delà des clivages politiques une action humanitaire peut trouver place – indique la voie suivie et en marque les bornes. En fait, les trois premiers rapports portant respectivement sur l’existence des « points chauds[3]« , sur les dégâts causés à l’environnement et sur les atteintes sanitaires n’apportaient guère d’éléments nouveaux par rapport aux études antérieures. Il n’en va pas de même du rapport rendu public le 16 juin 2010, qui comprend une déclaration et un plan d’action[4]. Le ton de la première rompt avec les précautions de langage habituelles.
Les chiffres avancés par la Croix- Rouge vietnamienne pour le nombre des victimes sont repris comme étant « la meilleureestimation disponible », et les efforts déployés par le Viêt Nam depuis 1980 pour faire face par lui-même aux conséquences des épandages sont salués. Le plan d’action mobiliserait 300 millions de dollars, à raison de 30 millions par an.
Le Dialogue Group n’a ni argent ni pouvoir de décision ; il s’adresse directement au gouvernement américain pour financer la majeure partie du budget prévu – ce qui est nouveau. D’ailleurs, M. Walter Isaacson, son coprésident (il est également président d’Aspen), précise que l’effort serait modéré : « Lenettoyage de notre gâchis de la guerre du Vietnam sera beaucoup moins coûteux que la fuitede pétrole dans le Golfe que British Petroleum (BP) va devoir nettoyer[5]. »
Dès mai 2009, le Congrès américain a publié un rapport sur « les victimes vietnamiennes de l’“Agent Orange” et les relations États-Unis-Viêt Nam[6] ». L’auteur, M. Michael M. Martin, y soulignait la nécessité d’établir de bons rapports avec le Viêt Nam dans la situation géopolitique actuelle et combien la question de l’« Agent Orange », dernière survivance de la guerre, y faisait obstacle alors qu’il serait possible de la traiter de manière humanitaire sans reconnaître – le rapport y insiste – aucune responsabilité à cet égard. Des grands journaux américains ont relayé le débat, posant la même question : le Viêt Nam est-il assez important pour que les États-Unis s’attellent sérieusement au problème de l’« Agent Orange » ? La réponse va de soi, et les récents incidents en mer de Chine méridionale la justifient encore davantage. Dans ses conclusions, le rapport Martin suggérait l’adoption d’un plan pluriannuel d’aide au Viêt Nam comme l’une des mesures susceptibles de favoriser la « puissance douce » (soft power) des États-Unis en Asie. Le Dialogue Group s’est rallié à cette option. Alors que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dévoilait le 28 juin 2010 un projet de 5 millions de dollars pour le traitement de l’aéroport de Bien Hoa, près de Ho Chi Minh-Ville, sous l’égide d’une organisation indépendante, la Global Environment Facility, les États-Unis ont décidé de consacrer 32 millions de dollars à la réhabilitation de la zone de Da Nang Le 19 novembre, l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) a fait part de son plan, sur deux ans, à partir de juillet 2011, au comité populaire de la ville, et un accord a été signé avec le ministère vietnamien des ressources naturelles et de l’environnement. Les couches contaminées du sol seraient enlevées et stockées dans une zone confinée étanche en attendant que soit découverte une méthode de destruction de la dioxine, à moins qu’elles ne soient brûlées à plus de 350 °C dans des tubes.
La « realpolitik » de l’administration Obama a donc un effet collatéral positif. L’exigence de justice demeure. Les États-Unis s’honoreraient en reconnaissant leur responsabilité à l’égard du Viêt Nam et des Vietnamiens. Il en va de même des compagnies (Monsanto, Dow Chemical, etc.) qui ont fabriqué les défoliants, en ont caché la toxicité en falsifiant des résultats de recherches, ont accumulé par leur vente des bénéfices gigantesques et financé leur reconversion dans l’agroalimentaire. Il est par ailleurs évident que 300 millions de dollars ne suffiront pas. Le Viêt Nam a besoin d’une aide massive. Les victimes ne peuvent pas attendre.
Il faut qu’elles reçoivent un soulagement immédiat. La déclaration du Dialogue Group s’adresse à tous les gouvernements. C’est au niveau des États que doivent s’organiser le soutien au Viêt Nam et l’exigence de justes réparations.
Marie-Hélène Lavallard, agrégée de philosophie
Note d’André Bouny
Après un long débat, le Congrès américain a adopté, et le Président Obama a signé, le projet de loi FY11 d’un montant de 18,5 millions de dollars pour la décontamination d’une aire de stockage de l’ancienne base américaine de Da Nang. En première estimation, entre 30 et 40 millions de dollars semblaient nécessaires mais, au final, celle somme atteindra très certainement plus du double. On l’estime aujourd’hui à 84 millions de dollars pour une surface à traiter de 3 hectares et demi seulement. Or, les USA prennent à leur compte moins de la moitié du coût initial, soit 15,5 millions, allouant par ailleurs les 3 autres millions à des programmes liés à la santé… vers les infirmes vietnamiens en général, et pas aux seules victimes de l’AO : une façon de ne pas les reconnaître comme telles. Cet argent parviendrait par l’intermédiaire d’organisations étasuniennes comme East Meets West, Save the Children et Assistance au Viêt Nam pour le Handicap, car le Président de l’Association Vietnamienne des Victimes de l’Agent Orange/Dioxine (VAVA) a déclaré dernièrement que pas un centime n’était arrivé à ce jour. Aujourd’hui les travaux préparant la décontamination rencontreraient des difficultés et seraient à l’arrêt… Et la radio La Voix du Vietnam (VOV) annonce désormais la fin des travaux pour 2016 ! C’est toute la différence entre la carte et le territoire : entre l’information des grands médias, s’arc-boutant à véhiculer une image positive des USA, et la réalité. « Le projet de décontamination proposé concerne l’ancienne base de Da Nang » signale enfin le document, « lieu d’opérations pour de nombreuses unités de l’US Forces durant la guerre au Vietnam », précise-t-il.
Dans cet avis de sollicitation (Appel d’offre) numéro 486-11-028, daté du 1er avril 2013, l’accent est mis sur l’enlèvement des dioxines du sol considéré et la remise en état par désorption thermique (DTPI, application de chauffage par conduction thermique sous vide pour traiter les sols contaminés sans excavation). « L’aéroport de Da Nang au Vietnam a été considéré comme un « point chaud » en raison de la concentration élevée de dioxine 50 ans après que de grandes quantités d’Agent Orange et autres produits chimiques y ont été stockés, transvasés, et utilisés sur ce site », ajoute le document. « Le gouvernement du Vietnam a sollicité l’assistance de celui des Etats-Unis pour remédier à la dioxine contaminant sols et sédiments à l’aéroport de Da Nang. L’USAID a lancé, en 2008, une initiative environnementale dans ce pays, et l’année suivante l’agence a mené une étape d’évaluation détaillée pour entreprendre le nettoyage. USAID prévoit que la phase de remise en état débutera en décembre 2013 et se poursuivra au moins jusqu’en octobre 2015, le contrat d’activité se clôturant après un suivi de six mois. L’entrepreneur principal retenu pour le projet, dont la part est estimée à 10 millions, doit être un fournisseur américain [ainsi les pollueurs auront fait de gigantesques bénéfices en contaminant et gagneront de nouveau en dépolluant. À l’instar de la somme allouée aux handicapés, l’argent étasunien restera étasunien], des entreprises privées vietnamiennes sont admissibles comme sous-traitants ». Cet appel d’offre résume le plan général de l’USAID qui publiera une demande plus détaillée de propositions dans une dizaine de jours, ajoute le document.
Les photos dans cet article illustrent les travaux de la construction du four pour l’élimination de la dioxine sur l’aéroport de Da Nang au Viêt Nam.
Source : Vietnamnet Bridge
Le 24 du même mois, vietnamnews.vnagency.com.vn, titre L’aéroport de Da Nang contaminé à la dioxine serait assaini d’ici à 2015, déclara Le Ke Son, co-président du Comité consultatif mixte sur l’Agent Orange (AO) lors de la conférence de presse d’hier qui a conclu la sixième réunion du comité. La réunion de deux jours a réuni des représentants des gouvernements américains et vietnamiens, mais aussi de la communauté internationale, soulignant que la question de l’Agent Orange / dioxine est devenue une affaire internationale. En 2006, les gouvernements américain et vietnamien ont créé un comité consultatif conjoint pour identifier les problèmes techniques et aider les décideurs. Kevin Teichman, co-président, a déclaré que la réunion de cette année a examiné les progrès récents réalisés pour nettoyer de façon durable le sol et les sédiments contaminés du lac à l’aéroport de Da Nang.
En Avril, le Congrès américain a alloué une somme 18.5 millions de dollars US afin de poursuivre les activités de l’AO au Viet Nam, dont 15,5 millions de dollars sont allés à la décontamination à l’aéroport de Da Nang. Teichman a déclaré que le comité a également discuté des efforts à envisager pour assainir l’aéroport de Bien Hoa dans la province de Dong Nai, et celui de Phu Cat dans la province de Binh Dinh. Le travail de décontamination à l’aéroport de Phu Cat serait probablement réalisé l’année prochaine [il n’en a rien été] tandis que l’évaluation technique globale des travaux de décontamination à l’aéroport de Bien Hoa n’avait pas été achevée. Meur Son note que le gouvernement américain avait promis d’augmenter [?!] ses engagements financiers pour faire face aux conséquences des dioxines / AO. L’année dernière, le Groupe de dialogue américano-vietnamien sur l’Agent Orange / dioxine a publié un rapport demandant au gouvernement américain et d’autres donateurs de lever 300 millions de dollars pour étendre les services aux personnes atteintes de handicaps liés à l’exposition à la dioxine, nettoyer les sols contaminés et restaurer les écosystèmes endommagés dans les «points chauds».
Le 12 octobre 2011, vabenefitblog.com publie Projet de loi pour indemniser les victimes de l’Agent Orange, par Levi Newman.
Agent Orange Relief Act a été présenté à la Chambre des Représentants le 25 Juillet 2011. Le projet de loi cible les problèmes et les préoccupations concernant l’exposition aux herbicides mortels, notamment l’AO, pendant la guerre du Viêt Nam. Le projet de loi vise à rémunérer individuellement les victimes vietnamiennes et les anciens combattants des États-Unis qui ont été exposés à l’AO, ainsi que les enfants des personnes touchées ayant développé des complications liées aux herbicides utilisés pendant la guerre du Viêt Nam.
Dans le cadre du projet de loi, ces personnes recevraient des soins médicaux à domicile dans la durée et des équipements pour les aider. Et des services de consultation seraient également proposés.
Actuellement, le projet de loi est dans les premières étapes du processus législatif. Le 1er août 2011, il était visé au sous-comité sur la santé, car lois et résolutions introduites vont d’abord aux comités qui délibèrent, enquêtent, et révisent avant de voter.
Le président américain Barack Obama a abordé la question, parlant à la 93e Conférence annuelle de l’American Legion [association de vétérans étasuniens]. Il a dit que trois nouvelles maladies sont désormais reconnues liées à l’exposition à l’AO et que les anciens combattants [étasuniens] commencent à recevoir des prestations relatives à ces pathologies.
Au cours de la dernière année, la liste de nouvelles maladies liées à l’AO a augmenté, mais en raison de nouvelles allégations, il se pourrait qu’une longue attente précède le versement des prestations espérées, bien que des progrès dans le partage des dossiers médicaux entre le ministère de la Défense et la Virginie aient été réalisés.
Deux jours après, agrilife.org, titre Des chercheurs de Texas A & M University recherchent un système d’assainissement pour l’Agent Orange, par Kay Ledbetter.
Ça fait presque 50 ans que l’AO a été épandu comme défoliant de la jungle dans certaines régions du Viêt Nam. Le conflit est terminé depuis des décennies. Mais la terre est toujours contaminée, selon la Texas A & M University et les responsables de recherche d’AgriLife, qui explorent des solutions. Le Collège d’agriculture et sciences de la vie (en particulier le Dr Scott Senseman, professeur au département des sciences du sol et des cultures, scientifique spécialisé dans le devenir et la gestion des pesticides) ont été invités à participer à un projet avec Vietnam National University – Hanoi. Le partenariat a été identifié comme un projet stratégique majeur par l’ambassade étasunienne au Viêt Nam. Senseman a récemment été invité à s’adresser à la Commission consultative paritaire, commission clé intergouvernementale pour la coopération entre les deux gouvernements.
Cette réunion a été tenue par des personnes issues de l’Environmental Protection Agency américaine, Center for Disease Control, l’UNICEF, des attachés de l’ambassade américaine au Viêt Nam, des scientifiques vietnamiens et les organismes de réglementation et autres consultants responsables pour le nettoyage de la dioxine dans les aéroports vietnamiens où l’AO a été stocké durant la guerre.
« L’objectif principal du projet initial est de trouver des solutions de bioremédiation pour environ 7 millions d’hectares de forêt [pas tant ?!] et 1,2 millions de terres agricoles qui ont été détruites par l’AO pendant la guerre, ainsi que, de ce fait, la surexploitation de la terre », déclara Senseman. Dr. Randy Kluver, directeur exécutif pour l’Asie et le Pacifique au Bureau des affaires internationales de la Texas A & M, a été contacté par le corps professoral de l’Université nationale du Viêt Nam en 2010 concernant une éventuelle implication de Texas A & M.
Dr Duong Van Hop, directeur de l’Institut de microbiologie et de biotechnologie de Hanoi, a contacté Kluver de Texas A & M en raison de l’expertise de l’université dans l’agriculture, et plus particulièrement des questions liées à la contamination par la dioxine.
En réponse à la demande, Kluver et Senseman ont visité Hanoi en mai et ont rencontré plusieurs représentants éminents et de scientifiques de l’Université nationale du Viêt Nam, ainsi que des représentants de l’ambassade des États-Unis pour discuter d’une collaboration.
Senseman a visité les régions touchées dans le sud du Viêt Nam avec les professeurs de l’université d’Hanoi. Il a également passé en revue le travail de Hop liés aux traces de dioxine détectées dans les régions au sud du Viêt Nam et déterminé qu’il restait dans le sol des concentrations par centaines de parties par million (ppm).
Le projet élargi comprendra la collaboration entre un certain nombre de collèges et les unités et partenaires vietnamiens comme l’Université nationale de Hanoi, Vietnam Académie des Sciences, Université de Hue, Vietnam Université de l’Agriculture et le Centre Tropical Vietnam -Russie.
Les activités de recherche potentielles qui ont été décrites sont: la génétique microbienne, la surveillance des eaux de surface, l’infiltration de celles-ci, l’écophysiologie, la rotation des cultures, des programmes d’analyse des résidus de la biomasse et de fertilité. « Le consortium envisage un projet pluriannuel comportant plusieurs étapes, notamment:
– Collecte des données et informations relatives à la dégradation des sols et la contamination par la dioxine dans le sud du Viêt Nam.
– Analyser des échantillons de sol et sa dégradation, établir des cartes de contamination par la dioxine.
– Développer des technologies pour lutter contre la dégradation des sols.
– Évaluer la fécondité pilote de produits à échelle expérimentale et sur la base de production à grande échelle. Le but ultime est d’améliorer la productivité tout en conservant un environnement de sol fertile, productif, et d’assurer une teneur minimale en dioxine des produits agricoles tels que le riz et le café », déclara Senseman. « Les dernières étapes viseront à former et à éduquer la communauté sur la gestion de la sécurité et du développement agricole durable, ainsi qu’évaluer l’efficacité socioéconomique de ces projets, déclara Kluver. Le financement du projet est recherché à travers différentes sources, y compris nationale, et des partenariats de la Fondation Sciences pour la recherche internationale et de subventions d’éducation », conclut-il.
Le 5 novembre 2011, fr.vietnamplus.vn, diffuse Séminaire vietnamo-étasunien sur l’Agent Orange
Environ 150 délégués ont participé, fin d’octobre, à un séminaire sur l’AO/dioxine, tenu à l’Université de Berkeley, à San Francisco, Californie (États-Unis).
Le séminaire était organisé par le Fonds Rotary, en coordination avec le consulat du Viêt Nam à San Francisco.
Le consul général du Viêt Nam de cette ville, Phan Ba Hung; le chef du Groupe de dialogue Viêt Nam-États-Unis sur l’AO/dioxine, Ngo Quang Xuan; la coordinatrice du groupe, Mme Susan Berresford, et le directeur du bureau de l’Institut Aspen, M. Charles Bailey, le groupe des Étasuniens d’origine vietnamienne « Viet Fellows », entre autres, étaient présents à ce séminaire.
Les participants ont examiné les efforts et les contributions des parties concernées dans le règlement des séquelles de l’AO au Viêt Nam, a annoncé Ngo Quang Xuan, lors d’un entretien accordé à l’Agence vietnamienne d’Information (AVI).
« Ils ont qualifié de succès le projet de décontamination de l’AO à l’aéroport de Da Nang (Centre) et espèrent recevoir davantage d’aides en technologies, en ressources humaines et financières pour faire de même à l’aéroport de Bien Hoa, province de Dong Nai (Sud) », a-t-il indiqué.
« Le règlement des séquelles de l’AO au Viêt Nam nécessite davantage d’efforts et d’aides, car tout ce que la partie américaine a accordé est trop modeste en comparaison des nécessités que demande ce travail », estima madame le professeur en médecine, Nguyen Thi Ngoc Phuong, lors de ce séminaire.
Deux jours plus tard, mondialisation.ca et oulala.net, publient Une scandaleuse émission de Radio-Canada sur l’Agent Orange ! par André Bouny.
Lettre ouverte au médiateur (ombudsman) de Radio Canada
(Copie au médiateur de la CBC)
Monsieur,
La radio nationale du Canada s’est déshonorée en diffusant, samedi 29 octobre, une conversation d’une rare inanité entre un journaliste incapable et un professeur de chimie français – qui peine à s’exprimer. Le sujet pourtant méritait mieux que ce pitoyable échange, que l’on pourrait résumer ainsi :
« En fin de compte, l’Agent Orange… si on peut dire, c’est pas prouvé.
– Ah ouais Ariel ?
– Ben non, Jacques, y’a pas de preuve. »
(Attention, vous voilà prévenus : l’émission… est affligeante, pour utiliser un euphémisme.)
En effet, au seul Canada, 2 600 demandes d’Anciens combattants ont été admises (sur un total de 3 900 déposées) en référence à une liste de maladies associées à l’AO établie par l’Institut de médecine de l’Académie nationale des Sciences étasunienne, à Washington) ; ce sont les victimes directes de ce produit chimique ; c’est certes moins que les 200 000 victimes actuelles chez les familles de vétérans étasuniens… et les millions de victimes vietnamiennes (pays où les victimes civiles sont bien plus nombreuses que les anciens combattants, dont la descendance est affectée jusqu’à la 3e génération à ce jour). En bref, ce n’est pas à proprement parler un sujet sur lequel il convient de dire n’importe quoi.
Rarement émission de radio aura aussi bien porté son nom… « La tête ailleurs »
Nous voulions répondre point par point aux nombreuses approximations et contrevérités énoncées par M. le professeur, mais en relisant ses propos, la faiblesse de l’argumentation ânonnée apparaît tellement évidente, que par souci de concision, nous nous en tiendrons seulement à 3 remarques :
Sur la dangerosité du produit :
« On ne savait pas », dit M. Fenster.
C’est faux. Un document interne du laboratoire de recherche biochimique de Dow Chemical, classé confidentiel, alerte sur l’exceptionnelle toxicité de la dioxine 2,3,7,8 -TCDD (tétrachlorodibenzo-para-dioxine) contenue dans l’AO et représentant un énorme potentiel en terme de maladies systémiques. Ce document date du 24 juin 1965 (année de l’apparition de l’AO sur le théâtre de la guerre). Il prouve que les chimistes fabricant ce produit à l’époque n’ignoraient rien de l’extrême toxicité de la dioxine TCDD. À la suite de quoi les principaux fabricants se réunirent et décidèrent de se taire craignant une «législation restrictive », qui aurait compromis leurs immenses profits. Mais le plus odieux, c’est que la dioxine aurait pu être quasi entièrement éliminée par un mode de production plus long (donc plus coûteux) qui n’a pas été mis en place, car « le produit devait être utilisé sur l’ennemi ».
Sur la corrélation :
Les Anciens combattants de pays alliés de l’armée US qui furent en contact avec l’AO, (ceux de Corée du Sud, de Nouvelle-Zélande, d’Australie), sont atteints, eux et leurs enfants, des mêmes pathologies, alors qu’ils ne résident pas dans les mêmes régions géographiques et connaissent des conditions et des modes de vie fort différents.
D’ailleurs, la Corée du Sud a intenté un procès aux compagnies chimiques étasuniennes et la Haute Cour de Séoul a condamné Dow Chemical et Monsanto. M. Fenster, qui ne dit rien de cela, ne semble pas le moins du monde surpris que des grands groupes industriels à but lucratif acceptent de payer 180 millions de dollars tout en clamant dans le même temps leur non responsabilité…
Sur la causalité :
M. Fenster : « pas de preuve absolue de causalité… »
C’est faux. L’Académie nationale des Sciences de Washington a établi les liens de cause à effet entre l’Agent Orange et des dizaines de pathologies (très graves, voire mortelles), et de malformations congénitales, parfois monstrueuses. Cette liste est remise à jour tous les 2 ans, et s’allonge au fil du temps. D’après le « Rapport Stellman », (du nom de la scientifique canadienne Jeanne Mager Stellman, autorité incontestée sur le sujet), jusqu’à 4,8 millions de Vietnamiens furent exposés directement à l’AO ; ce nombre ne tient pas compte des millions de personnes contaminés ultérieurement (passées, présentes, et à venir) par la chaîne alimentaire sans que l’on sache quand ni si cela s’arrêtera un jour.
Les gens ignorent tout des problèmes sanitaires, humains et environnementaux causés par les épandages d’AO lors de la guerre du Viêt Nam, qui fut la plus grande guerre chimique de l’Histoire de l’humanité. En cela, les médias dans leur ensemble portent une lourde part de responsabilité, car ils ont failli à leur mission d’information ; mais il est particulièrement insupportable d’entendre de telles inepties (« un herbicide qui n’est pas un herbicide, et qui fait que les plantes poussent, mais de trop » !) quand, par extraordinaire, 11 minutes d’antenne sont consacrées au plus grand écocide de tous les temps.
Nous tenons à vous signaler l’excellent travail réalisé par le magazine de la rédaction de la RTBF, radio nationale belge : les journalistes ne se sont pas contentés de lire rapidement un article quelques minutes avant l’émission : ils sont allés sur place, au Viêt Nam, et ont également interrogé des spécialistes. Vous pouvez l’écouter ici (émission « Transversales »).
Par ailleurs, il nous apparaît important de souligner que M. Ariel Fenster entretient des liens avec certains « mastodontes » industriels de la chimie, comme par exemple Dow AgroSciences Canada, filiale de Dow Chemical (l’un des principaux fabricants de l’AO). Par conséquent, est-il normal que la radio nationale du service public l’invite à venir discuter des méfaits de ce produit, sans jamais en avertir l’auditeur ? Doit-on considérer qu’il s’agit d’une grave faute professionnelle, en termes de déontologie et/ou méthodologie, de la part du journaliste Jacques Bertrand, ou à tout le moins de l’aveu d’une terrible et coupable incompétence ? La précédente médiatrice de Radio Canada,
Mme Julie Miville-Dechêne, attachait une grande importance à l’éthique journalistique et à la déontologie. Par ailleurs, « CBC/Radio-Canada s’engage sans réserve à faire preuve d’exactitude, d’intégrité et d’équité dans toutes ses activités journalistiques », peut-on lire sur la page Internet du site du médiateur. Nous espérons donc que vous prendrez cette demande de révision en considération, et y répondrez.
En définitive, nous aimerions connaître la réponse à la question suivante : pourrait-il y avoir un lien de causalité entre le « discours » de M. Ariel Fenster, toujours enclin dans les médias à minorer les risques des merveilleux produits dits « phytosanitaires » issus des recherches de la très puissante et influente industrie chimique (qui compte parmi les plus grandes multinationales au monde), et le fait que M. Fenster a reçu des prix et récompenses de ladite industrie, et participe à des colloques organisés et payés par elle ?
Le fâcheux précédent du professeur Richard Doll nous semble à cet égard intéressant à garder à l’esprit…
Le 13 novembre, aoag.org, fait paraître Problèmes fondamentaux, conséquences humaines et environnementales des agents chimiques/ dioxine au Viêt Nam, par le docteur Le Ke Son, directeur général adjoint de l’Administration de l’environnement au Viêt Nam.
1. Avec environ 80 millions de litres d’herbicides, contenant au moins 366 kg de dioxine pure [80 g peuvent tuer 8 millions d’humains, cf. étude de l’Université de Columbia, NY ] épandue durant la Guerre américaine dans le sud du Viêt Nam est la plus grande guerre chimique de l’Histoire de l’humanité.
2. La concentration très élevée de résidus de dioxine (des centaines de fois le niveau admis par l’Agence de Protection de l’Environnement des État Unis) dans l’environnement, les animaux et les humains, et dans certains points chauds est une preuve claire des impacts à long terme de la dioxine contenue dans les herbicides utilisés par les États-Unis.
3. Plus de deux millions d’hectares à l’intérieur des terres, forêts et mangroves, ont été dévastés par les substances toxiques et produits chimiques. Ils souffrent et endurent des difficultés de réhabilitation. Dans ces zones la biodiversité a été réduite, certaines espèces animales et variétés de flore ont disparu.
4. Les travaux [tardifs] de recherche ont été mis en œuvre par des scientifiques vietnamiens et étrangers. La recherche épidémiologique sur 47.000 anciens combattants révèle des pourcentages de maladies, notamment de cancers, des anomalies catastrophiques de la reproduction, difformités congénitale dans la descendance de ceux exposés aux agents chimiques / dioxine, comparativement à ceux non exposés.
5. Dans leurs recherches les scientifiques vietnamiens ont découvert l’altération des gènes, chromosomes, protéines, immunodéficience chez les personnes ayant une exposition historique à l’AO, ainsi qu’une forte concentration de dioxine dans le sang.
6. La dioxine est le composé le plus toxique produit par l’homme. Elle se trouve dans les produits chimiques toxiques utilisés par les États-Unis pendant la guerre du Viet Nam, une des principales causes du pourcentage très élevé de personnes handicapées au Viet Nam.
7. Le gouvernement et le peuple du Viet Nam ont fait des efforts de recherche, et pour surmonter les conséquences des produits chimiques toxiques / dioxine ; des centaines de travaux scientifique ont été menés en coordination avec des chercheurs étrangers. Près d’un million de victimes de la dioxine ayant contracté des maladies ont reçu le soutien du gouvernement et du peuple du Viet Nam à hauteur d’environ 50 millions de dollars / an.
8. Dans certaines régions fortement contaminées, l’AO / dioxine a continué d’affecter l’environnement et la santé humaine. Le gouvernement du Viêt Nam a pris des mesures de contrôle, mais ne peut répondre que partiellement aux exigences des impacts de la dioxine.
9. Depuis 2005, le gouvernement des États-Unis a participé à des recherches sur les dioxines résiduelles dans la base aérienne de Da Nang. À l’heure actuelle, le gouvernement des États-Unis déclare coopérer avec celui du Viêt Nam pour mettre en œuvre le projet de traitement de la dioxine sur l’ancienne base aérienne de Da Nang. Les deux parties doivent pousser davantage le projet pour le faire progresser, et coopérer dans le traitement de la dioxine à Bien Hoa et Phu Cat, autres anciennes bases aériennes étasuniennes fortement contaminées.
10. Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), en coopération avec le Programme de développement des Nations Unies et le Bureau du Comité National de Pilotage 33 [vietnamien] financeraient la mise en œuvre du projet
« Assainissement des hotspots [points chauds] contaminés à la dioxine dans le Viêt Nam ». Le projet est de lier et de soutenir d’autres nettoyages vers l’élimination de la dioxine des zones névralgiques entre 2011 et 2015 [impossible de l’envisager d’ici là !]
11. Parallèlement à l’assainissement de la dioxine sur les hotspots est mis en place un soutien aux victimes des conséquences de l’AO. Les programmes sur le soutien des personnes handicapées seront mis en œuvre à une plus grande échelle. Des plans sur la santé génésique, avec consultations, afin de diminuer les enfants handicapés, sera développé sur les hotspots.
12. Le gouvernement du Viêt Nam continuera de développer le programme de la recherche scientifique sur la période de 2011-2015 vers des questions fondamentales sur les herbicides, les conséquences pour l’environnement et l’homme, ainsi que des plans de liaison et de soutien sur d’autres projets ayant trait aux conséquences des herbicides.
13. Le projet « Laboratoire de la dioxine » financé par Bill et Melinda Gates, de Atlantic Philanthropies, est mis en œuvre. De jeunes chercheurs expérimentés sur l’analyse de la dioxine au Japon, en Allemagne et aux États-Unis, y travailleront. Ce laboratoire va commencer à analyser les dioxines dans des échantillons de sol, de boue et autres échantillons biologiques et servir à des recherches afin de surmonter les conséquences des herbicides au Viêt Nam.
14. Le gouvernement du Viêt Nam rend les conditions favorables aux organisations et individus de la nation et de l’étranger pour qu’ils puissent participer aux recherches visant à surmonter les conséquences des herbicides, et il demande aux États-Unis d’Amérique de continuer à participer, à grande échelle cette fois et avec plus d’efficacité.
Notes
[1] Lire Francis Gendreau, « Au Vietnam l’“agent orange” tue encore », Le Monde diplomatique, janvier 2006.
[2] W. A. Buckingham Jr, « Operation Ranch Hand : The Air Force and Herbicides in Southern Asia 1961- 1971», Office of United States Air Force History, Washington, DC, 1982.
[3]Anciens lieux de stockage où la concentration de dioxine dans le sol atteint jusqu’à trois cents fois le niveau toléré. Outre les bases de Da Nang, Bien Hoa et Phu Cat, on en dénombre vingt-cinq autres.
[4] « Agent orange in Vietnam program », The Aspen Institute, 26 juillet 2011.
[5] Faut-il rappeler la ferme déclaration du président Barack Obama à ce sujet ? « C’est eux qui ont causé le désastre, c’est eux qui doivent en assumer les conséquences. »
[6] Michael M. Martin, « Vietnamese victims of Agent Orange and U.S.-Vietnam relations » (PDF), Congressional Research Service, 28 mai 2009.
André Bouny, auteur du livre « Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam » (collection Résistances, éditions Demi-Lune, Paris, 2010), et membre fondateur du Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange (CIS), qui regroupe des experts et des personnalités comme Joan Baez, Angela Davis, Noam Chomsky, William Bourdon, Henri Alleg, Stéphane Hessel, (et bien d’autres encore).