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Al-Qaïda: la fin d’une légende
Par Prof Michel Chossudovsky
Mondialisation.ca, 02 mars 2016
11 octobre 2011
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Tout au long de l’ère post 11-Septembre, Al-Qaïda et la « menace du terrorisme islamique » ont joué un rôle central dans la définition du programme diplomatique de Washington, façonnant sa rhétorique aux sommets mondiaux et établissant les limites de la doctrine militaire étasunienne.

La « guerre défensive » « préemptive »  [1] contre Al-Qaïda et ses soi-disant « États commanditaires » constitue le fondement de la Stratégie de sécurité nationale (SSN) post 11-Septembre des États-Unis, formulée pour la première fois en 2002.

Dans la foulée du 11-Septembre, la légende d’Al-Qaïda s’est intégrée au pilier de la politique étrangère étasunienne. Dans la SSN de 2002, on trouve la notion de « réseau mondial de terroristes djihadistes » et d’« États finançant le terrorisme ». La réaction de l’administration étasunienne est de lancer « une guerre d’envergure mondiale », une « guerre mondiale au terrorisme » (GMAT) :

La guerre contre les terroristes ayant une portée internationale est une entreprise planétaire d’une durée incertaine […] Les États-Unis agiront contre de telles menaces émergentes avant qu’elles ne soient entièrement formées […]

Les États voyous et les terroristes ne cherchent pas à nous attaquer par des moyens conventionnels. Ils savent que de telles attaques échoueraient. Ils s’en remettent plutôt à des actes de terreur et, potentiellement, à l’utilisation d’armes de destruction massive […]

Les cibles de ces attaques sont nos forces militaires et notre population civile, une violation directe d’une des normes principales du droit de la guerre. Tel que démontré par les pertes le 11 septembre 2001, l’objectif spécifique des terroristes est d’infliger des pertes civiles massives et l’importance de ces pertes augmenterait de façon exponentielle si les terroristes obtenaient et utilisaient des armes de destruction massive.

Les États-Unis ont longtemps conservé la possibilité de mener des actions préemptives pour contrer une menace considérable pour notre sécurité nationale. Plus cette menace est grande, plus le risque de l’inaction l’est également et plus le plaidoyer en faveur d’une action par anticipation afin de nous défendre est convaincant […] Afin de prévenir ou désamorcer de tels actes hostiles de la part de nos adversaires, les États-Unis agiront, si nécessaire, de manière préemptive. (National Security Strategy, Maison-Blanche, 2002)

L’objectif sous-jacent de la SSN de 2002 était de présenter l’« action militaire préemptive ». Elle signifiait que la guerre constituait un « acte d’autodéfense » contre deux catégories d’ennemis : les « États voyous » et les « terroristes islamiques », tous deux, disait-on, possédant des « armes de destruction massive ». Les « États voyous » étaient également définis comme des « États finançant le terrorisme ».

La SSN de 2002, ainsi que les documents subséquents de la Sécurité nationale comprenaient une liste de pays identifiés comme l’« axe du mal », sélectionnés pour une intervention militaire préemptive en vertu de la « guerre mondiale au terrorisme ». Cette liste comprenait l’Irak, l’Iran, le Soudan, la Syrie, la Libye et la Corée du Nord.

Alors que la Russie et la Chine, anciens ennemis du temps de la guerre froide, n’étaient pas officiellement désignées comme faisant partie de l’« axe du mal », elles étaient tout de même incluses (dans plusieurs documents militaires) dans la liste de pays ciblés pour une intervention militaire.

Dès le début en 2001, une vaste campagne de relations publiques a été lancée par le Pentagone dans le but de former et de manipuler l’opinion publique. Le coup de relations publiques consistait à couler des rapports sur les liens ou les relations entre Al-Qaïda et ses présumés États commanditaires (par exemple, comment Saddam appuyait ben Laden, etc.). L’objectif était de justifier des actions militaires préemptives contre des pays « abritant les terroristes ».

Ces déclarations émanant d’une autorité supérieure n’étaient ni vraies ni logiques. La « poursuite de ben Laden » est devenue un élément d’un consensus inflexible. La peur et l’insécurité prédominait sur le bon sens. Il s’agit d’une acceptation catégorique des structures du pouvoir et de l’autorité politique.

Immédiatement après les attaques du 11-Septembre, l’Afghanistan a été accusé d’abriter le chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, le cerveau présumé derrière les attaques du 11-Septembre.

L’Afghanistan a été identifié comme un « État finançant le terrorisme ». Les attaques du 11-Septembre ont été catégorisées comme un acte de guerre, une attaque contre les États-Unis par une puissance étrangère. Le droit à l’autodéfense a été mis de l’avant.

Les agresseurs, les États-Unis et l’OTAN, ont été dépeints comme les victimes.

Le 12 septembre, moins de 24 heures après les attaques, pour la première fois de son histoire l’OTAN a invoqué « l’article 5 du traité de Washington, sa clause de défense collective », en déclarant que les attaques du 11-Septembre contre le World Trade Center (WTC) et le Pentagone constituaient « une attaque contre tous les membres de l’OTAN ».

On avait préconnaissance des événements du 11-Septembre. Les analystes militaires confirmeront que la guerre contre l’Afghanistan lancée le 7 octobre 2001 a été planifiée bien avant le 11-Septembre.

On a fait croire à l’opinion publique que les préparatifs de guerre ont été entamés le 12 septembre, à l’improviste, alors qu’il s’agissait du résultat de l’indignation et de l’outrage.

Homeland Security

« La patrie » (homeland) a émergé comme concept politique dans la foulée du 11-Septembre et a mené à l’instauration de l’US Department of Homeland Security (Département de la sécurité de la patrie des États-Unis [2])

La doctrine de guerre préemptive et la « défense de la patrie » sont intimement liées. Al-Qaïda, l’auteur présumé des attaques du 11-Septembre menace la « patrie étasunienne » avec l’appui des États finançant le terrorisme.

Feu Oussama ben Laden a été décrit comme le monstre, « l’ennemi numéro des États-Unis » menaçant la patrie.

Le but était de maintenir l’illusion que « les États-Unis sont attaqués » par Al-Qaïda. Washington a un mandat divin autoproclamé pour anéantir le fondamentalisme islamique et « propager la démocratie » à travers le monde.

La logique de l’« ennemi extérieur » et du scélérat, prétendument responsable des morts civils étasuniens, prédomine sur le bon sens. Dans la conscience intérieure des Étasuniens, les attaques du 11-Septembre 2001 justifient des actes de guerre et de conquête dirigés contre les États appuyant le terrorisme, incluant l’Afghanistan, l’Irak et l’Iran.

À ce sujet, l’« Inquisition étasunienne » post 11-Septembre en tant que concept idéologique est, à bien des égards, similaire à l’ordre social inquisitorial qui prévalait en France et en Espagne durant le Moyen Âge. L’inquisition, ayant débuté en France au 12e siècle, a été utilisée pour justifier des interventions militaires et de conquête.

La guerre mondiale au terrorisme (GMAT)

On dit des actes terroristes qu’ils sont perpétrés par des organisations djihadistes non étatiques, prétendument appuyées et encouragées par les gouvernements de plusieurs pays musulmans, décrits comme les « États commanditaires » de la terreur. L’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Pakistan et l’Arabie Saoudite ont été accusés par Washington de soutenir Al-Qaïda.

Le 11-Septembre demeure le prétexte et la justification d’une guerre sans frontières. Après la « libération » de la Libye organisée par l’OTAN (août 2011), la Syrie et l’Iran, tous deux reconnus dans la doctrine militaire des États-Unis comme des États finançant la terreur, constituent la prochaine étape de la feuille de route militaire des États-Unis et de l’OTAN.

Al-Qaïda, dépeint comme un réseau fondamentaliste sunnite, est de plus en plus considéré comme une organisation djihadiste mondiale, une base, un réseau décentralisé composé d’organisations affiliées nationales et régionales.

La « guerre mondiale au terrorisme » est fondée dans le but de défendre la patrie étasunienne ainsi que le « mode de vie occidental ». Elle nécessite « la poursuite » des terroristes, et l’utilisation de systèmes d’armes sophistiqués, dont des ogives nucléaires. Elle prône une croisade préemptive contre le mal, de style religieux, servant à occulter les objectifs réels de l’action militaire.

L’acceptation de cette croisade contre le mal par le peuple étasunien ne se base sur aucune compréhension rationnelle ni aucune analyse des faits. Les mensonges sous-jacents au 11-Septembre sont connus et documentés. Les preuves confirment amplement qu’Al-Qaïda a été fondé avec l’appui de la CIA, en lien avec le renseignement pakistanais, la Direction pour le renseignement interservices (Inter-Services Intelligence ou ISI).

De la guerre soviéto-afghane à aujourd’hui, Al-Qaïda et ses organisations affiliées ont constitué des « atouts du renseignement » financés par les États-Unis et utilisés dans l’implantation des opérations clandestines de la CIA.

L’inquisition des États-Unis est employée pour étendre la sphère d’influence du pays et justifier des interventions militaires dans le cadre d’une campagne internationale contre le « terrorisme islamique ». Son but ultime, jamais mentionné dans les reportages, est la conquête territoriale et le contrôle des ressources stratégiques.

Dix ans plus tard : le discours présidentiel sur Al-Qaïda et le 11-Septembre continue

Le dogme de la GMAT a été initialement énoncé et formulé par les cercles de réflexions néoconservateurs de Washington. Il a été incorporé à la doctrine militaire étasunienne et fait toujours partie d’un consensus bipartisan. De George W. Bush à Barack Obama, ce dogme est devenu un thème central des discours présidentiels à la Maison-Blanche et dans les conférences de presse :

 [George W. Bush, septembre 2001] « On nous a mis en garde contre la présence de personnes malfaisantes dans ce monde. On nous a avertit très clairement […] Et nous seront vigilants. Votre gouvernement est vigilant. Les gouverneurs et les maires sont conscients que des êtres diaboliques rôdent encore à l’extérieur. Comme je l’ai dit hier, des gens ont déclaré la guerre aux États-Unis et ils ont commis une grave erreur […] Mon administration a un travail à faire et elle le fera. Nous débarrasserons le monde des malfaiteurs. » (George W. Bush, CNN, 16 septembre 2001.)

[Barack Obama, septembre 2011] « Détrompez-vous, ils vont essayer de nous frapper à nouveau, mais comme nous l’avons encore démontré ce weekend, nous demeurons vigilants. Nous faisons tout en notre pouvoir pour protéger notre peuple […] Ils [les terroristes en Afghanistan et en Irak] veulent nous attirer dans des guerres sans fin en sapant notre force et notre confiance nationale. Toutefois, même si nous mettons une pression incessante sur Al-Qaïda, nous mettons un terme à la guerre en Irak et commençons à ramener les troupes d’Afghanistan à la maison. Après une longue décennie de guerre, il est temps de construire notre pays ici, à la maison. »  (Barack Obama, Free Internet Press : President Obama: Al-Qaeda Threat Still Remains, 11 septembre 2011).

L’objectif de la « guerre mondiale au terrorisme » lancée en septembre 2001 était de galvaniser l’appui du public en faveur d’une campagne planétaire contre l’hérésie. Depuis les dix dernières années, une compréhension des événements politiques et sociaux fondamentaux est remplacée par un monde de pure fantaisie, où rôdent « des être malfaisants ».

Entre-temps, dans la foulée des attaques du 11-Septembre, Al-Qaïda a établi de nombreuses organisations affiliées à travers le monde musulman.

Al-Qaïda a proliféré. Là où la CIA mène des opérations de contre-insurrection, il y a des organisations affiliées à Al-Qaïda, dont :

Al-Qaïda en Irak (AQI);

Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) (comprenant Al-Qaïda en Arabie Saoudite et le Djihad islamique yéménite);

Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI);

le Groupe islamique combattant en Libye (GICL);

Al-Shabaab (Mouvement de la jeunesse moudjahidine) en Somalie;

le Djihad islamique égyptien;

le Mouvement islamique du Turkestan oriental au Xinjiang, en Chine;

etc.

Partout où Al-Qaïda s’est installé, les États-Unis ont mené des opérations de contre-insurrection sous l’égide de la « guerre mondiale au terrorisme ». Il semble qu’un bon nombre de ces associations liées à Al-Qaïda aient été établies avec l’appui de la CIA, en utilisant l’ISI pakistanais comme intermédiaire.

Là où se trouve Al-Qaïda, là où « rôdent des méchants », les États-Unis ont l’obligation d’intervenir au nom de la « communauté internationale ». La menace terroriste est utilisée comme prétexte pour interférer dans les affaires internes des pays souverains, impliquant l’envoi de forces spéciales et des attaques de drones, sans qu’il y ait réellement de déclaration de guerre. Ce genre d’opérations est décrit dans le Project of New American Century (Projet pour un nouveau siècle américain, PNAC) comme une fonction de gendarmerie.

Par ailleurs, dans le cadre de la GMAT, des campagnes militaires de grande envergure ont été menées dans plusieurs pays, comme les guerres en Afghanistan et en Irak. Les gouvernements afghan et irakien ont tous deux été identifiés comme des « états finançant le terrorisme ».

On dit également de la République islamique d’Iran qu’elle appuie Al-Qaïda. La doctrine de guerre préemptive de l’administration étasunienne repose sur cette relation présumée entre des organisations terroristes non étatiques et les États terroristes qui les financent. Il est entendu, pari passu, que les États qui financent le terrorisme, peu importe lesquels, sont également responsables des attaques du 11-Septembre, c’est-à-dire d’avoir soutenu et encouragé Al-Qaïda.

Michel Chossudovsky

3 octobre 2011

Article original en anglais : The Al Qaeda Legend : Wither The « Global War on Terrorism »? Part I, publié le 3 octobre 2011.

La version française a été publié initialement le 11 octobre 2011.

Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca 

 [1]  Note de l’éditeur : « préemptive » est une terme anglais qui a été utilisé par l’ex-président Georges W. Bush  en juin 2002. Le terme de « guerre préemptive » est ainsi différent de celui de « guerre préventive » et signifie plus précisément « devancer l’adversaire » face à une menace – soi-disant – réelle et constatée. Ce terme est employé en relation avec la guerre au terrorisme. Pour plus d’informations sur l’utilisation du concept de guerre préemptive voir le site web Ressources pour la Paix http://www.irenees.net/fr/fiches/notions/fiche-notions-175.html

 [2]   NDT : Homeland Security signifie littéralement « sécurité de la patrie », mais on emploie communément « sécurité intérieure ».

Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur émérite de sciences économiques à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en plus de 20 langues).

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