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Alexandre Adler ou l’art de renverser la donne
Par Silvia Cattori
Mondialisation.ca, 31 janvier 2008
Le site de Silvia Cattori 31 janvier 2008
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C’est avec stupéfaction que nous avons entendu, le 24 janvier sur les ondes de France culture, l’interprétation donnée par Alexandre Adler *de l’exode de centaines de milliers d’habitants de Gaza vers l’Egypte.

Tout éditorialiste a le droit d’avoir des opinions. Mais, force est de constater que, M. Adler s’attache davantage à étayer les thèses bellicistes de l’axe Tel Aviv – Washington, plutôt qu’a éclairer les divers points de vues.

 

Exode des Palestiniens de Gaza vers l’Egypte, le 23.01.08

La vérité, dans les guerres militaires et médiatiques menées par cet axe, n’est donc jamais là où M. Adler veut, cyniquement, la faire apparaître.

Mais les gens ne sont pas dupes. En voyant ce flot ininterrompu de Palestiniens paniqués se ruer vers l’Egypte pour échapper à leur abominable ghetto, le 23 janvier 2007, ils ont bien compris que c’était là le geste d’un peuple désespéré, abandonné, affamé, par une des plus cruelles punitions collectives de notre temps, et qui, menacé d’asphyxie, avait décidé de prendre sa survie entre ses mains.

M. Adler, n’en a pas moins prétendu que ce n’était « certes pas de faim ni réduits à l’abandon de tout soin » que les gens de Gaza étaient sortis de l’« enclave » [1], (terme utilisé par M. Adler pour ne pas nommer de son vrai nom cette effroyable prison qu’est Gaza) mais parce que les « violences que le Hamas a perpétrées contre le Fatah ont laissé un goût amer, ainsi que les pillages des maisons des responsables de l’Autorité palestinienne ».

Le flou, la répétition, le vague, l’imprécis, et encore la répétition, voilà les armes utilisées par M. Adler pour désorienter l’opinion, faire diversion et renverser la donne.

De toute évidence, en se ruant en Egypte, les habitants de Gaza voulaient échapper à la mort lente que leur impose Israël. M. Adler ne pouvait l’ignorer. C’est un comble d’insinuer que le peuple fuyait, en quelque sorte, le Hamas ! C’est également un comble de faire dévier le sujet, pour ne parler que du Hamas, en esquivant le fond du problème !

M. Adler, les faits sont têtus. Les gens bien informés savent fort bien que c’est ce même peuple qui fuit présentement les persécutions d’Israël, qui a, en juin 2007, spontanément saccagé les résidences luxueuses appartenant à ces dirigeants « modérés » -en réalité corrompus- du Fatah qui se servaient de milices financées, entraînées et armées par le Mossad et la CIA pour déstabiliser Gaza, et inciter la population à la guerre civile et à la révolte contre le Hamas. De nombreux articles ont documenté ces évènements de manière équilibrée.

M. Adler ne peut ignorer non plus que, si « goût amer » il y a chez les habitants de Gaza, il vient des persécutions israéliennes, et de ceux qui s’en font les complices, dans le but de briser tout esprit de résistance.

Comment M. Adler peut-il faire l’impasse sur les centaines de morts, victimes des frappes effectuées ces dernières semaines à Gaza par l’armée israélienne, et sur les blessés et les mutilés qui gisent dans les hôpitaux, dont la moitié sont des femmes et des enfants ?

Faire porter aux autorités du Hamas la responsabilité de la politique d’étranglement et d’asphyxie inhumaine d’Israël, politique qu’Ilan Pappe qualifie de génocidaire, est une étrange manière de traiter l’information ! [2]

M. Adler se fait le porte parole de la propagande militaire israélienne quand il affirme : « Il y a des sondages qui sont parfaitement sincères montrant que le Hamas n’est plus suivi par la population. L’image de l’Autorité palestinienne est remontée » [3].

Sur quel « sondage sincère » M. Adler fonde-t-il ses dires ? Nous avons cherché. Mais personne, à notre connaissance, ni à Gaza ni en Cisjordanie, n’a entendu parler d’un sondage démontrant que la popularité de l’Autorité palestinienne « est remontée » !?

Il semblerait que, malgré tout ce que le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne de Ramallah, incarnée par MM. Abbas et Fayyad, ont tenté pour couper les Palestiniens du Hamas, et toutes les punitions collectives qui leur rendent la vie impossible, le Hamas disposerait toujours d’un large soutien à Gaza [4].

Le 29 janvier, M. Adler a consacré une nouvelle chronique au Hamas [5]. Ce qui est intéressant, est de constater que, d’une fois à l’autre, M. Adler tape sur le même clou, que cela ferait partie d’une stratégie de communication. On sait bien qu’il suffit de répéter sans fin un mensonge pour le transformer en vérité. Et, à l’antenne, il est d’autant plus facile de raconter des histoires à l’envers qu’il n’y a personne pour vous contredire.

Le but de M. Adler serait donc bien, ici, de mettre le Hamas au centre de tous les problèmes – et non pas l’occupant – et de lui attribuer une importance et un rôle régional qu’il n’a pas.

Quand M. Adler dit cette chose ahurissante, à savoir que ce serait le Hamas qui « a enfermé le million deux cent mille habitants de Gaza dans une situation apparemment sans issue », il affiche un aplomb extraordinaire.

Ainsi Israël, qui a en fait bouclé hermétiquement Gaza, n’aurait imposé selon M. Adler qu’ « un petit blocus ». Oubliées les frappes aériennes dévastatrices et les massacres de civils Palestiniens qui ont mis Gaza a feu et à sang. Selon M. Adler, ce sont bien sûr les roquettes du Hamas qui « augmentent la légitimité des raids israéliens ». Voilà Israël blanc comme neige, légitimé par M. Adler qui a manifestement un parti pris dans cette guerre.

Et M. Adler de répéter -car il faut toujours enfoncer le clou- ce qu’il avait affirmé quelques jours plus tôt, en rappelant que des « sondages menés par des sociologues palestiniens et assez crédibles » montrent une « remontée lente mais inéluctable de la popularité de l’Autorité Palestinienne » et « un effondrement de la popularité du Hamas ». Or, comme dit plus haut, nous n’avons pas trouvé trace de ces sondages.

M. Adler ne dira évidemment pas – c’est pourquoi nous tenons à le rappeler – que le Hamas incarne la résistance de tout un peuple ; qu’il est un mouvement né de l’opposition à l’occupation israélienne et que, sans cette occupation, il n’existerait pas.

Par contre, par amalgames successifs, M. Adler prendra grand soin de toujours associer le Hamas à ces autres cibles d’Israël que sont les Frères musulmans, l’Iran, la Syrie, (que M. Adler s’attache également à diaboliser depuis belle lurette). Les pays, les leaders, et les mouvements considérés par Israël comme un obstacle à sa domination politique et militaire, sont les cibles de M. Adler.

M. Adler a également affirmé que le Hamas a « procédé à des exécutions sommaires d’opposants ».

Tiens donc ! L’armée israélienne, elle, procède tous les jours à des exécutions sommaires, à Gaza et en Cisjordanie ! Le Shin Bet a affirmé avoir tué, donc exécuté sans procès, 1’000 Palestiniens à Gaza ces deux dernières années [6].

Les assassinats ciblés exécutés par des missiles lancés par des drones et des F 16, que M. Adler dit « légitimes », sont des exécutions sommaires pures et simples. Bien entendu, M. Adler n’en dit mot !

Quand M. Adler dénonce les exécutions sommaires du Hamas sans parler des exécutions sommaires commises par l’armée israélienne en Palestine, vérifiées, quantifiées par Betzelem, une organisation des droits de l’homme israélienne, M. Adler n’est pas crédible !

On incrimine le Hamas et on tait ce qui incrimine gravement Israël ! Il suffit de lire ce qu’écrivent les journalistes palestiniens qui ont documenté avec précision qui a fait quoi à Gaza [7] pour comprendre que les propos de M. Adler n’ont qu’un lointain rapport avec la réalité.

Les chroniques d’Alexandre Adler sur le Hamas et les Frères musulmans, sont toutes à l’image de la campagne qu’il avait menée en d’autres temps contre les Talibans. En les écoutant d’une oreille critique on peut comprendre la grammaire et la logique de cette narration et entrevoir ce qu’elles annoncent d’inquiétant : les guerres à venir.

Après avoir longtemps véhiculé la théorie du « choc des civilisations », en divisant le monde entre gentils « judéo-chrétiens » et barbares musulmans, M. Adler s’emploie, avec l’insistance du propagandiste, à nous présenter comme « modérés » les dirigeants qui s’associent aux « guerres de civilisations » d’Israël et des Etats-Unis -comme les Palestiniens Abbas et Fayyad, l’Egyptien Moubarak, le roi d’Arabie Saoudite, le Prince Abdallah de Jordanie ; et à qualifier leurs peuples -qui les rejettent en grande majorité- d’« extrémistes », d’« islamistes », de « terroristes ».

Ainsi, M. Adler se fait le zélé propagateur de l’idée chère aux néoconservateurs pro-israéliens selon laquelle les « judéo-chrétiens » sont menacés par le Hamas, le Hezbollah, l’Islam.

Mais, si elle sert à justifier les guerres d’Israël et des Etats-Unis, cette manière de présenter les « judéo-chrétiens » comme les bons, les civilisés, et les musulmans comme les méchants, les sauvages, ne respecte aucune éthique journalistique.

Quand M. Adler réduit les choses à une opposition entre « modérés » et « extrémistes », à des sunnites qu’il oppose aux chiites ou aux chrétiens et inversement, nous savons que cela fait partie de l’arsenal de guerre des bellicistes qui se servent de la religion pour diviser et mater les populations des pays qu’ils occupent et détruisent.

Après quoi, des mouvements de résistance qui s’enracinent dans une foi religieuse, comme le Hamas et le Hezbollah, mais qui, de fait, sont nés pour combattre l’occupant et se défendre de ses attaques militaires –et constituent un obstacle aux projets de domination et d’expansion d’Israël- sont présentés par M. Adler comme une menace pour la terre entière.

C’est avec ce genre de récit, que M. Adler nous a présenté les guerres, qui ont détruit l’Afghanistan et l’Irak et généré tant de souffrances, comme nécessaires ; en affirmant par exemple qu’elles « libéreraient les femmes de la Bourka » [8]

Il y a heureusement d’autres voix qui s’élèvent, pour nous parler avec humanité des atrocités et humiliations auxquelles ces guerres soumettent ces femmes que M. Adler prétendait « libérer ».

Comme la voix de Nurit Peled, une mère israélienne, qui exprime ainsi sa douleur : « Que pourrons-nous dire aux mères qui vont en quête de pain pour leurs enfants dans les rues de Gaza, et que pourrons-nous nous dire à nous-mêmes ? Seulement cela : soixante ans après Auschwitz, l’Etat des Juifs enferme un peuple dans des ghettos et l’assassine par la faim, l’asphyxie et la maladie » [9].

Chacun pourra le constater par lui-même : une fois mise par écrit, la chronique parlée d’Alexandre Adler dévoile la pauvreté de son analyse. Et ce qui peut apparaître parfois comme de l’habileté narrative s’évapore.

Le danger et l’obstacle à la paix ne sont ni le Hamas ni le Hezbollah. Ce sont les officines de communication au service des guerres d’occupation d’Israël et des Etats-Unis et les propagandistes à leur solde qui, en induisant l’opinion en erreur et en facilitant la poursuite de guerres injustes, sont le vrai danger pour l’humanité et le principal obstacle à la paix du monde.

* Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, Alexandre Adler est presenté comme un « grand spécialiste des questions de géopolitique internationale contemporaines » par la presse dominante. Coqueluche de nombreux médias, chroniqueur à France Culture, membre du comité éditorial du Figaro, il occupe la scène médiatique depuis plusieurs déccennies.

Notes:

[1] Le 24 janvier 2008 sur la radio de France Culture, à la question : « Que se passe-t-il à Gaza ? » Alexandre Adler a répondu : « Il y a la vision minimaliste : celle que nous avons entendue ; manifestation d’épuisement, de fatigue de la population de Gaza qui certes n’est pas à la faim ni n’est réduite à l’abandon de tout soin, mais qui est soumise à un blocus sévère tant que le Hamas continuera à autoriser des tirs de roquettes sur le territoire israélien, ce qu’il n’a pas cessé depuis sa prise de pouvoir dans l’enclave palestinienne (…) »

[2] http://www.ism-france.org/news/article.php ?id=6076&type=analyse&lesujet=Nettoyage%20ethnique -http://www.millebabords.org/spip.php ?article7688

[3] Le passage complet : « Autre vision. Il y a le contexte politique à Gaza : il y a des sondages qui sont parfaitement sincères montrant que le Hamas n’est plus suivi par la population. L’image de l’Autorité palestinienne est remontée. Les violences que le Hamas a perpétrées contre le Fatah ont laissé un gout amer ainsi que les pillages des maisons des responsables de l’Autorité Palestinienne et par ailleurs la situation paraît difficile, extrêmement pénible. Donc par ce coup d’audace le Hamas s’est relancé, s’est redonné une image »

[4] En décembre 2007, environ 400’000 personnes se sont rassemblées à Gaza pour célébrer les vingt ans d’existence du mouvement Hamas, ce qui a permis aux observateurs de penser que le Hamas continue d’avoir un soutien populaire substantiel.

[5] Transcription in extenso (telle que captée sur les ondes) de la chronique de M. Adler diffusée le 29 janvier 2008 sur radio France Culture : « Qu’est-ce qui se passe depuis que le Hamas s’était emparé de Gaza. Mauvaise passe d’abord dans l’image qu’il projetait chez les Palestiniens et dans le monde arabe après avoir liquidé toute présence d’Al Fatah dans l’enclave palestinienne, avoir procédé à des exécutions sommaires d’opposants. Et puis mauvaise passe plus profonde en ayant enfermé le million deux cent mille habitants de Gaza dans une situation apparemment sans issue : un petit blocus israélien qui limite la consommation en terme le plus strict qui soit ; la poursuite d’attaques à la roquette plus symbolique que réelle mais profondément agaçante sur le territoire israélien qui augmentait la légitimité des raids israéliens sur le territoire. Bref la fatigue se faisait sentir dans l’ensemble de la population ; et des sondages menés par des sociologues palestiniens et assez crédibles, montraient en fait une remontée lente mais inéluctable de la popularité de l’Autorité Palestinienne, sinon de son chef Mahmoud Abbas, mais en tous cas du premier ministre Salem Fayyad, et surtout un effondrement de la popularité du Hamas dans son principal fief, la bande de Gaza. Cette situation était difficile il fallait en sortir. Il fallait d’autant plus en sortir avant que les bruits de fond commencent à compliquer la tâche du Hamas. L’Iran est manifestement à la recherche d’un compromis avec les Etats-Unis ; la Syrie elle-même, qui a peur d’être abandonnée par l’Iran à un moment donné de la crise libanaise, essaye elle aussi de renouer avec l’Occident comme elle le peut. Hamas risquait donc de faire les frais d’un tel réalignement. La solution a été trouvée aux origines même du Hamas car, in vitro, Hamas c’est d’abord à Gaza quand il est né sous un autre nom, une branche de la confrérie des Frères Musulmans égyptiens. Or Gaza était un territoire égyptien ; c’est là que son implantation a commencé ; les liens entre le Hamas et la maison mère du Caire restent toujours importants. Or, l’idée brillante qu’ont trouvée les dirigeants du Hamas à Gaza, ça a été de se faire porter sur la frontière égyptienne pour y fraterniser avec l’armée, pour ouvrir la frontière et pour ainsi donner le sentiment que la libération venait du sud. Cette opération a été menée de main de maître ; bien sûr, la population s’y est prêtée avec enthousiasme étant donné les restrictions auxquelles elle est soumise ; mais c’était une opération commandée, organisée par la direction du parti. Que s’est-il passé ? Par peur d’une fraternisation totale de l’armée égyptienne et des manifestants palestiniens, le gouvernement du Caire a cédé, a ouvert sa frontière ; peut être celle-ci sera-t-elle ouverte en permanence ce qui fera peser sur l’Egypte la responsabilité de ravitailler l’enclave ; les Israéliens le souhaiteraient à la limite, mais surtout la fragilité de l’armée Egyptienne a été prouvée une nouvelle fois. Et c’est ici que l’on peut penser à la stratégie à long terme des Frères Musulmans égyptiens ; ceux-ci en effet, depuis des années, caressent une solution a la pakistanaise, un remplacement en douceur d’Osni Moubarak, vieux et de moins en moins écouté par des militaires plus jeunes, plus dynamiques, lesquels par exemple feraient appel à quelques ministres de la confrérie des Frères musulmans. Ce serait le grand tournant de la politique égyptienne qui est déjà bien avancée lorsque l’on regarde l’état de sa société. C’est en tout cas quelque chose que le Hamas pourrait permettre et ceci serait un aboutissement très paradoxal de la crise actuelle du mouvement palestinien. »

[6] http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3493794,00.html
http://www.silviacattori.net/article314.html
http://www.silviacattori.net/article171.html

[7] http://www.ism-france.org/news/article.php ?id=8115&type=analyse&lesujet=Collabos

[8] N’avions-nous pas vu, sur Arte, si nos souvenirs sont bons, M. Adler, flanqué de Bernard Henry Lévy, affirmer que la guerre contre l’Afghanistan allait « libérer les femmes de la Bourka ». Or ces femmes jetées dans cette guerre qu’elles n’ont pas voulue, continuent de porter la Bourka.

[9] http://www.millebabords.org/spip.php ?article7654

Silvia Cattori est journaliste indépendante en Suisse.

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