Algérie 1962-2018-2030 : Euphorie, résignation, espérance

«Malheur à la nation qui brandit mille et une croyances, mais qui ignore la foi. Malheur à la nation qui se vêt d’une toge point tissée de ses mains, qui se nourrit d’un pain point pétri de ces mêmes mains, et qui se grise d’un vin point tiré de ses raisins. Malheur à la nation qui acclame son tyran comme un héros, et qui estime bienfaisant son conquérant de pacotille. 

Malheur à la nation dont le politicien est mi-renard et mi-pie, le philosophe un jongleur de mots, et l’artiste un maître en rafistolage et en contrefaçon. Malheur à la nation où les sages sont rendus muets par l’âge tandis que les hommes vigoureux sont encore au berceau. Malheur à la nation divisée dont chaque parcelle revendique le nom de nation.»

Gibran Khalil Gibran

Cette fête de l’indépendance est l’aboutissement d’un combat atroce qui dura 132 ans et que le peuple dans son ensemble a porté à bout de bras et en a payé le prix fort. La dernière étape du recouvrement de l’indépendance ne nous dispense pas d’affirmer que des millions d’Algériennes et d’Algériens sont morts de toutes les façons possibles la torture, les meurtres, les incendies, la guillotine, la déportation vers Cayenne et la Nouvelle-Calédonie, le code de l’Indigénat, pour une survie dans l’indignité et il se trouve encore des Algériens dans les plus hautes sphères du pouvoir qui disent que De Gaulle nous a offert l’indépendance. Khaled Nezzar résume le cessez-le-feu avec ces quelques phrases :

«Les armes se sont tues. Les combattants n’osent pas croire que c’est la fin des marches exténuantes le long des flancs calcinés, des djebels, la fin des affrontements pleins de poussière, de stridences et de détonations. Les rescapés portent sur le visage les stigmates de la longue tragédie qui a clairsemé leur rang (……) Je ressens à travers ma propre émotion, l’émotion qui fait pleurer certains de mes hommes, cachés là-bas derrière les troncs des chênes. Sans doute pensent-ils à nos compagnons absents pour l’éternité…(……)» (1)

n connaît la suite. Les hommes politiques se précipitent vers la capitale dans une course effrénée vers le pouvoir. Ce fut le démarrage de la tragédie dont parle si bien Aimé Césaire : «La lutte pour l’indépendance, c’est l’épopée. L’indépendance acquise, commence la tragédie». Souvenons-nous, à l’indépendance nous étions tout feu, tout flamme. La lune était à portée de main.  Nous avions l’ambition de soulever des montagnes. Nous étions libres ! La révolution de Novembre était un phare qui guidait les pays qui luttaient pour leur indépendance.

Nelson Mandela a fait ses armes à Zeralda. Il n’était pas rare aussi de croiser les révolutionnaires africains dans les rues d’Alger. Samora Machell, Les Blacks Panthers et même l’icône Che Guevara montraient au monde par leur présence que l’Algérie «Mecque des révolutionnaires», était véritablement le maître étalon de la révolution des peuples opprimés.

Qu’était-elle devenue cette indépendance attendue pendant 132 ans ? Qu’avons-nous fait pour être fidèles à nos martyrs ?     Cette indépendance s’est faite grâce au sacrifice de tout un peuple, notamment de ceux qui donnèrent leur vie et à qui on ne rend pas un hommage particulier, leur sacerdoce étant squatté par une évanescente famille révolutionnaire qui dicte la norme en squattant les idéaux de Novembre pour en faire une rente.

Notre pays est un pays qui se cherche, qui peine à se déployer, qui prend du retard, qui vit sur ce qui reste d’une rente, car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur, de la créativité. L’Algérie de 2017 importe pratiquement tout, a perdu son savoir-faire que l’on tente difficilement de réhabiliter. Nous n’avons plus la foi et, pire, nous n’avons pas su la transmettre aux générations montantes comme un moteur feu sacré qui nous faisait espérer en l’avenir avec 100 fois moins de moyens actuellement.

Pire, un scandale comme celui de la cocaïne,  au-delà du trafic, du népotisme, de l’argent. facile, c’est une tentative d’atteinte au corps social d’une façon «industrielle» et non pas artisanale. Il y a lieu de réfléchir à cela à cette nouvelle ligne rouge dans le détricotage du corps social algérien à la fois par l’incantation des discours de la division mais aussi en interne pour en faire un corps drogué

Qu’est-ce qu’ être indépendant au XXIe siècle?

Qu’est-ce qu’être indépendant  quand on est dépendant à 80% pour la nourriture,

Qu’est ce qu’être indépendant quand on est dépendant à 100% pour ses achats de tous les jours ?

Qu’est-ce qu’être indépendant quand notre loi des finances est indexée sur les convulsions erratiques d’un baril de pétrole ?

Qu’est-ce qu’être indépendant quand notre système éducatif est en miettes ?

Qu’est-ce qu’être indépendant quand on donne aux Algériens des habitudes de consommation qui ne sont pas le fruit de l’effort

Qu’est ce qu’être indépendant s nous nous remettons  par fatalisme aux événements qui nous ballottent et qu’on s’enfonce dans le farniente, dans la solution de facilité  du «tidjara chtara» «le commerce c’est de la débrouille»

Cette façon de faire  confirme l’atavisme qui nous colle à la peau. Les Arabes n’ont jamais été des bâtisseurs, mais des jouisseurs qui n’inventent rien, installés dans les temps morts car notre mimétisme de l’Occident ne concerne que la dimension consommation et non dans celle du travail, de l’effort, de l’intelligence et de l’endurance. L’Algérien ne pense pas, il dépense, l’Algérien veut, sans effort, tout en exigeant  tout et tout de suite.

Quoi qu´on dise, les regards sont braqués sur l’Algérie. Braises mal éteintes du régionalisme, l’échec du vivre ensemble, l’appât du gain et l’étendue du pays, sa richesse en hydrocarbures et en terres agricoles, sont autant de critères de vulnérabilité. On ne nous laissera pas tranquilles, un pays avec sa profondeur stratégique, son potentiel énergétique, ses différents climats… son potentiel archéologique et touristique et, par dessus tout, ce caractère frondeur qui fait que nous ne faisons rien comme les autres, même si on doit y laisser des plumes : l’anecdote du terroir profond dite de madfa’e kerrouchrésume le caractère algérien courageux mais entêté. Durant la lutte contre l’occupant français au début de l’invasion, les combattants algériens voyant les Français envoyer des obus à partir de canons, fabriquèrent un canon en évidant un tronc d’arbre kerrouch, on raconte que chaque fois qu’ils tiraient, le canon leur explosait au visage faisant des dégâts impressionnants, à tel point que les mauvaises langues de chroniqueurs français pensaient que les combattants par leur entêtement à chaque fois recommencer, voulaient se suicider en masse !! Ce caractère frondeur n’a pas d’avenir  s’il n’est pas adossé à  des réflexes du XXIe siècle, celui d’une compétence absolue avec des principes issus de notre identité

La grande erreur des gouvernants depuis l’indépendance est de ne pas s’être occupés du système éducatif qui n’a jamais pu se redresser. L’Ecole étant devenue le creuset des luttes idéologiques. D’un côté les artisans de l’arabisation à marche forcée et d’un arrimage à une métropole moyen-orientale qui ne nous a ramené que des avanies. De l’autre les nostalgiques de ce qu’ils appellent la modernité et qui pensent que notre bonheur est d’être dans le giron de la Françafrique !!

Notre système éducatif : La lente et inexorable descente aux enfers

Avons-nous une école qui fait réussir ? Une université vue comme un ascenseur social ? Rien de tout cela ! L’école a été qualitativement un échec. Par ailleurs, Il est navrant de constater dans notre pays que dans un monde de la technologie suprême, les sciences et le technologie ont été exclues par bêtise et par paresse. Il est plus simple de conditionner des cohortes de jeunes en les endoctrinant par une scolastique qui exclut la rigueur scientifique d’autant que par paresse, on va toujours vers la facilité. Il y a à peine 2% de candidats au bac math et math technique.

En Iran 25% des étudiants vont dans les disciplines technologiques. Ce chiffre est de 35% en Allemagne! Cette filière mathématique ainsi que celle des mathématiques techniques sont condamnées à court terme.  Nous aurons alors atteint le fond : plus d’esprit critique qui favorise la raison mais l’abrutissement dont on voit les preuves tout les jours. Le constat est que le curseur est totalement du côté d’un retour vers l’obscurantisme dont nous pensions avoir eu raison dans notre combat pendant la décennie rouge contre l’intégrisme fruit de l’école fondamentale

Nous avons beaucoup d’étudiants, mais que valent-ils ?  De plus la tentation de faciliter qui consiste à implanter une université dans chaque wilaya – pour plaire aux pouvoirs locaux en contravention avec toutes les normes pédagogiques qui font que seul  un corps professoral est à même de  décider ou non de l’ouverture d’une filière- est une erreur !  De ce fait et au vue de ces travers devons-nous condamner définitivement le savoir en Algérie en tournant le dos à la science et à la technologie ?

Aucun pays ne peut se passer d’une élite, même si ce mot sent encore le soufre en Algérie du fait d’une vision égalitariste. Le système éducatif est gangrené par la corruption et la triche. Nous ne pouvons pas mettre un policier derrière chaque élève. C’est vraiment intenable de continuer à organiser un bac dans des conditions pareilles. L’enseignant est de plus en plus vulnérable, livré à lui-même, coincé entre une administration qui souvent lui demande d’arranger et qui s’ingère dans le pédagogique et la tentation de monnayer un savoir pour arrondir des fins de mois dérisoires, comparés à des salaires scandaleux à l’instar de joueurs de football payés grassement. Le dernier entraîneur était payé 10 millions de Da/mois, soit le traitement de 3 professeurs d’université pendant leur carrière ! On comprend dans ces conditions que l’Ecole, ni le savoir, ne fassent plus rêver ; l’ascenseur social est cassé.

Que faut-il faire pour tenter de sauver la rationalité dans l’éducation ?

Le monde avance à la vitesse V. Pour avoir une idée de ce que c’est que le pouvoir de l’intelligence, nous devons prendre exemple sur les meilleurs. En 2011, l’OCDE a classé Israël, le pays au niveau d’éducation le plus élevé au monde, après le Canada. Toute évolution réelle est indexée sur le savoir ou la connaissance.

En 1984, Steve Jobs (le patron de Microsoft) affirme que «le logiciel, c’est le nouveau baril de pétrole». La connaissance mondiale double environ tous les 9 ans. L’Ecole algérienne est à la croisée de chemins. L’éducation a besoin de se remettre en cause, se moderniser, recycler ses enseignants. Doit-on continuer le parcœurisme un héritage colonial ou privilégier le raisonnement ?

Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences, au sein de l’OCDE, écrit: «Le monde moderne se moque bien de ce que vous savez. Il s’intéresse à ce que vous savez en faire. Il a besoin de gens créatifs, capables de croiser les sujets ». Mieux encore, à force de vouloir caporaliser l’élève dans un enseignement sans imagination on atrophie son enthousiasme à l’invention tout en jouant…Il nous faut former le maître capable de faire réussir l’élève en l’instruisant par le jeu. L’Ecole est le bien commun, nous devons veiller sur l’éducation de nos enfants. L’école ouverte, fascinée par l’avenir, avec une identité plurielle et assumée. Nous devons, avec un consensus de la société, militer pour une école tournée vers l’avenir, une école protégée des convulsions politiques et idéologiques.

Cette merveilleuse recommandation d’Abraham Lincoln est là pour nous indiquer ce que devrait être l’éducation qui permet l’enthousiasme. «Il aura à apprendre, je sais, que les hommes ne sont pas tous justes, ne sont pas tous sincères. Mais enseignez-lui aussi que pour chaque canaille, il y a un héros ; que pour chaque politicien égoïste, il y a un dirigeant dévoué…Qu’il apprenne de bonne heure que les tyrans sont les plus faciles à flatter…À l’école, enseignez-lui qu’il est bien plus honorable d’échouer que de tricher… Apprenez-lui à écouter tous les hommes, mais apprenez-lui aussi à filtrer tout ce qu’il entend à travers l’écran de la vérité, et à n’en retenir que ce qui est bon. Il est un si bon garçon, mon fils !» (2)

Plus que jamais  il nous faut un cap et une vision du futur. Partout dans le monde, l’université traditionnelle «l’université de papa» est morte. L’université du nouveau siècle est une entreprise du savoir où seuls les plus compétents, quelles que soient leurs origines, réussiront et seront rétribués à la juste mesure de leurs efforts. Un Etat stratège doit donner sa chance à toutes et à tous, mais il est évident que chacun s’arrêtera là où ses capacités peuvent le faire aboutir. Quelle que soit la santé financière du pays, il est important d’avoir une élite du neurones. Ce n’est ni celle de la naissance ni celle de l’argent. Dans les grandes disciplines (Sciences exactes, métiers de l’ingénieur, droit, médecine économie) nous devons mettre en place des institutions à taille humaine de formation et de recherche. Enfin, il nous faut lutter contre la corruption. Une charte de l’éthique bien expliquée aux acteurs de la communauté du système éducatif (enseignants, administratifs, élèves étudiants) emportera l’adhésion du plus grand nombre.

La bombe démographique et la dépendance alimentaire 

Selon l’Organisme National des Statistiques, la population algérienne au 1er janvier 2018 est de 42,2 millions. La population des moins de 30 ans a été de 22,48 millions, soit 54% de la population globale. C’est, en effet, toute la stratégie de développement qui se pose et avec acuité. Cela rend difficile la satisfaction des besoins de cette catégorie de la population. Il faut assurer à cette jeunesse des places pour étudier, lui garantir des emplois pour travailler, des logements pour y vivre et de la nourriture, et surtout lui offrir des perspectives pour prospérer dans son propre pays. Un vaste chantier dans un monde en pleine mutation technologique et où les nations jouent des coudes pour s’insérer dans les espaces géopolitiques et géostratégiques. Selon l’ONS, la fécondité est de 3,1 enfants par femme. C’est trop !

Dans ses perspectives de l’évolution de la population algérienne jusqu’à 2040, l’ONS avance l’hypothèse d’atteindre un indice conjoncturel de fécondité de 2,4 enfants/femme avec une population de 51,35 millions d’habitants. Ce qui est un vœu pieux, car la situation est loin d’être satisfaisante. En fait, la fécondité est repartie à la hausse et il est impossible d’améliorer les conditions de vie des Algériens si nous n’agissons pas sur la régulation des naissances. Nous aurons 2 millions d’étudiants dans deux ans avec une augmentation nette de 100.000 étudiants, soit l’équivalent de 10 universités de 10.000 places aux normes avec près de 5000 enseignants qualifiés nouveaux. Où les trouver ? 20 cités universitaires nouvelles, 40 restaurants ! Avec une pédagogie qui va avec ! Tout ceci pour un pays qui ne produit pas de richesse, mais qui indexe l’avenir du pays -au jour le jour- sur les convulsions erratiques d’un baril de pétrole.

Last but not least, un rapport alarmant du CREAD (Centre de Recherche en Economie Appliquée)   sur le dépendance alimentaire qui devient de plus en plus importante. Brahim Takheroubt écrit à ce sujet: «Le nombre de calories consommées par les Algériens dans leur régime alimentaire est en constante augmentation au point d’égaler celui consommé par des pays européens comme l’Espagne et le Portugal. Mais il faut savoir que ces calories sont dans leur presque totalité importées. L’Algérie n’arrive pas encore à satisfaire son autosuffisance en viandes rouges, lait et en produits d’alimentation pour le bétail et la volaille». Selon les dernières statistiques publiées par l’ONS, la population algérienne a été estimée à 42 millions de personnes en janvier 2018, la consommation en protéines «est importée à 85%». Qui nourrira les Algériens si nous laissons le secteur agricole en l’état actuel des choses?» (3)

Les autres défis qui attendent l’Algérie.

La science avance Le monde de 2030 est un monde de la guerre de tous contre tous. La pénurie d’énergie et les changements climatiques vont voir la continuation d’une façon plus tragique de la guerre pour s’emparer des pays ou à tous le moins de la partie utile contenant des réserves potentielles d’énergie.      Il y aura la sécheresse, la famine, les maladies due au stress hydrique. Il faut prendre au sérieux cette information qui semble relever du canular : «Un général iranien accuse Israël de «vols de nuages». Israël et un autre pays de la région ont des équipes conjointes qui travaillent à faire en sorte que les nuages qui entrent dans le ciel iranien soient incapables de déverser la pluie», affirme un général iranien, alors que son pays fait face à une grave sécheresse (4)

Il est avéré que la géo-ingénierie permet de faire tomber la pluie. Cette technique est connue depuis longtemps, les Etats-Unis l’ont utilisée en dispersant des obus contenant de l’iode dans les nuages au Vietnam pour tenter de noyer les vietkongs dans les rizières, en vain. Voilà un échantillon de ce que c’est que le monde du futur. l’Algérie est un pays en stress hydrique avancé, avec en prime l’érosion due à l’avancée du désert. Ses réserves d’énergie, ou ce qu’il en restera, à cette cadence frénétique, suffiront à peine à pourvoir à la demande interne qui sera de plus en plus importante. Plus de 55 milliards de m3 en 2030.

Dans un séminaire organisé en février  2018 par le ministère  algérien de l’habitat nous avons traité de la ville du futur, la smart city. J’avais dit qu’il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs. Il fallait d’abord mettre en place des états généraux pour une stratégie vers le développement humain durable en moralisant la consommation pour mettre fin au sport national qui est le gaspillage, en développant un plan Marshall des énergies vertes en misant sur la locomotion électrique.

Quatre mois, le même thème traite de la smart cityen appelant les élites algérienne à l’étranger…Devant tout ces errements que restera-t-il en 2030 ? De quoi vivront les jeunes qui seront là en 2030 ? Ils nous maudiront de leur avoir laissé une planète stérile ouverte à tous les vents ! Est-ce pour cela que la lutte pour l’indépendance s’est faite ?

L’économie de la connaissance va formater le futur. C’est une vision totalement différente des méthodes d’éducation et d’enseignement supérieur que l’Algérie continue à utiliser en traversant le siècle. Ainsi, un exemple ? La santé connectée, la ville intelligente, la voiture électrique, sont autant de Graal inatteignable en Algérie.

Le cri du cœur du regretté président Boudiaf comparant les Algériens et plus largement aux Occidentaux, eut ce mot prophétique «Beche fatouna ? fatouna bi el ‘ilm ! » (Par quoi ils [l’Occident] nous dépassent ? Ils nous dépassent par le savoir !) Ce fut ses dernières paroles avant qu’il ne soit assassiné, assassinant du même coup l’espoir. Si nous repartons du bon pied avec un pouvoir fasciné par l’avenir, si nous faisons preuve d’audace, la rente sera graduellement remplacée par une production de richesses, fruit d’un savoir endogène dans un environnement scientifique, politique, économique qui permettent aux Algériennes et aux Algériens de donner la pleine mesure de leur talent.

Les Algériens de 2030, citoyens à part entière, seront reconnaissants à leurs aînés d’avoir opté pour le développement à marche forcée en privilégiant le savoir, le travail bien fait, le développement durable et surtout, surtout en montrant eux-mêmes le chemin.

L’alternance apaisée au pouvoir 

Les propos  de l’immense écrivain et poète libanais résonnent à nos oreilles et nous incitent à comprendre comment les peuples sont gouvernés. On dit que le pouvoir use, comment l’appât du pouvoir fait que les peuples sont toujours dans l’attente d’une alternance apaisée. Malheur aux pays qui ont besoin de héros, disait Bertolt Brecht. Comment même dans les pays où la démocratie «et le simulacre de la consultation du peuple» ne sont pas des vains mots, les candidats à la magistrature suprême s’étripent et font preuve d’une résilience malsaine.

Pour nous donner un aperçu de ce qu’est l’alternance au pouvoir, mais aussi et surtout le mépris du pouvoir pour le pouvoir, du refus de s’accaparer le pouvoir et le garder par la violence, et le cumul des richesses très souvent acquises de façon malhonnête, nous devons citer l’exemple type retenu par la doxa universelle, à savoir celui de Lucius Quinctius Cincinnatus (c. 519 –c. 430 av. J.-C. ). Il est considéré par les Romains, notamment les patriciens, comme un des héros du premier siècle de la République et comme un modèle de vertu et d’humilité. Selon la tradition, Cincinnatus se consacre à la culture de ses terres quand les sénateurs viennent le supplier de reprendre encore une fois le pouvoir et rétablir l’ordre, ce qui fut fait en seize jours. Sa restitution du pouvoir absolu dès la fin de la crise devient, pour les futurs dictateurs romains, un exemple de bon commandement, de dévouement au bien public, de vertu et de modestie. Comme on le sait, la libération de Mandela qui a passé 27 ans de sa vie en prison, le 11 février 1990, ne fut pas un cadeau. Ce que nous retenons de Mandela, c’est aussi sa dignité et son indifférence envers l’hubris du pouvoir. C’est l’exemple de l’Afrique pour une alternance après seulement un mandat alors qu’il pouvait se présenter plusieurs fois. Un autre président qui a marqué son époque avec un sacerdoce qui ne doit rien à l’argent, au pouvoir, à la puissance, ni au montant d’une fortune acquise d’une façon ou d’une autre est Mujica. Il a une réputation planétaire sans l’avoir demandé. Ce président iconoclaste se distingue par son mode de vie, très éloigné du faste habituel de la fonction présidentielle qui ne se contente pas de donner des ordres, il donne l’exemple de ce qui doit être au service du peuple. Malgré son élection à la présidence, il a refusé de s’installer dans le palais présidentiel, préférant rester dans sa ferme située en banlieue de Montevideo, dans laquelle il travaille et vit depuis vingt ans avec sa femme. Pepe Mujica a fait le choix de vivre avec le salaire mensuel moyen de son pays, l’équivalent de 680 euros par mois. Il fait don de 90% du salaire qu’il reçoit pour sa fonction de président et commandant en chef de l’armée, soit 9.300 euros, à des organisations caritatives, notamment d’aide au logement et d’éducation. Cincinnatus, Mandela et Pepe Mujica nous incitent à ne pas perdre de vue les fondamentaux de la vie. Que peut-on retenir en définitive de ces exemples illustres. Ils font honneur à l’humanité» (5)

Le vivre ensemble plus que jamais nécessaire 

Rien ne peut se faire sans une société apaisée qui conjure les démons du régionalisme et la chape de plomb d’une idéologie à des années-lumières de notre islam maghrébin qui est en train de travailler le corps social. En son temps, le service national participait à l’édification du pays en faisant que les Algériens se connaissent véritablement du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Qu’avons-nous fait de tout cela ? La grande erreur est de permettre à chaque université, certaines sans compétence aucune, d’ouvrir toutes les spécialités au lieu de les répartir judicieusement. La situation du pays impose plus que jamais un consensus politique sur les grands défis qui seront là, quels que soient les pouvoirs en place, mais qui risquent, s’ils ne sont pas pris en charge rapidement, d’être de plus en plus difficiles à gérer.

Le meilleur hommage que l’on puisse rendre à nos martyrs est d’aller vers la science du parler vrai et d’inciter les jeunes à l’effort, à l’endurance et à la performance. L’Algérie du million de martyrs vaut mieux que cela. En son temps, la Révolution de Novembre fut à la fois un miracle et une belle réussite.

Comment faire émerger de nouveaux révolutionnaires capables d’impulser cette Révolution qui fait son Graal de l’économie de la connaissance ; un autre djihad aussi important qui permettra à l’Algérie de garder son rang dans un monde de plus en plus critique où nous ne pourrons survivre que scientifiquement et que ne comptant que sur nous-mêmes en tant que créateurs de richesse. Cela ne pourra se faire, outre le consensus, qu’avec le parler vrai.

Conclusion

La situation du pays impose de donner l’exemple et de parler vrai à cette jeunesse en panne d’espérance pour lui donner la fierté d’être algérien et qu’elle prouve par ses efforts qu’elle est le digne héritier d’une histoire trois fois millénaire qui a commencé avec Massinissa qui battait monnaie il y a plus de 21 siècles, avec Jugurtha, avec Kahina, Khiereddine Barberousse à qui on doit la consolidation des frontières de l’Algérie, de l’Emir Abdelkader de Ahmed Bey qui se sont battus contre l’envahisseur et de tant d’autres à l’instar de Lala Fatma N’soumer pour arriver à la glorieuse révolution de Novembre avec les Boudiaf, Ben Mhidi, Abane, qui ont vaincu un adversaire cent fois plus puissant.

Ce récit rapide devrait être le bréviaire d’une histoire qui lutterait contre l’errance identitaire actuelle qui fait que nous ne reconnaissons plus les Algériens, ni du point de vue cultuel -abdiquant un Islam maghrébin de 15 siècles- pour une idéologie mortifère.

L’Algérie actuelle est en mode «arrêt sur image». C’est tout juste si des scandales la réveillent de sa torpeur après le grand sommeil du mois de ramadan. Il y a lieu pour espérer être objectif de dire que l’exaspération, le déni, la répression, les exactions ont toujours fait le lit de cette dérive et l’ont parfois sciemment entretenue. Il est vrai que l’officialisation de la langue amazigh et le décret instituant Ennayer journée nationale sont porteuses de paix sociale après un long déni identitaire. Dans tous mes écrits et mes interventions, voyant venir les temps difficiles, j’avais prôné le vivre ensemble dans un projet de société œcuménique.

Car, il ne faut se le cacher, nous ne sommes pas pour autant indemnes des dynamiques souterraines internes et surtout externes qui ne laisseront pas un pays de 2,382743 km2 en paix. Cela me rappelle la fameuse phrase de Caton l’ancien qu’il prononçait à la fin de chacun de ses discours «Delenda carthago est» (Il faut détruire Carthage). A Dieu ne plaise, nous devons empêcher que nos adversaires -et ils sont nombreux- ceci sans faire dans la théorie du complot pour cacher nos travers qui sont tout de même nombreux- «Delenda Algeria est» « Il faut détruire l’Algérie ! »

Le défi que nous devons relever se situe aussi bien en interne qu’en externe dans un monde sans repères, si ce n’est le droit du plus fort. Nous devons parler vrai et en finir avec le temps des hypocrisies, de la langue de bois, du dogme importé mortifère à des années-lumières de l’islam de nos pères et mères. Nous devons militer pour un Islam tolérant, ouvert et non pas un Islam de l’interdit au nom d’illuminés qui s’arrogent le droit de dicter la norme du licite et de l’illicite. Notre action doit se situer dans le court terme mais surtout sur le temps long. Il peut s’avérer nécessaire de prendre des décisions impopulaires mais indiquées par le mouvement du monde et pour la nécessité de garantir à une jeunesse en panne d’espérance et qui attend de ses élites un cap.

Bonne fête aux Algériennes et aux Algériens qui ont encore et malgré tout l’Algérie au cœur.

Prof.  Chems Eddine Chitour 

Notes

1. Khaled Nezzar: Recueil des mémoires du général Khaled Nezzar. p 184. Editions Chihab 2017

2.Lettre d’Abraham Lincoln au précepteur de son fils

3.http://www.lexpressiondz.com/actualite/295431-les-specialistes-tirent-la-sonnette-d-alarme.html

4.https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2018/07/02/un-general-iranien-accuse-israel-de-vols-de-nuages-l-agence-meteo-nationale-dement_5324797_4832693.html

5.https://oumma.com/cincinnatus-mandela-mujica-vision-sobre-de-condition-humaine.

Source :

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5263590&archive_date=2018-07-04

 



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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