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Algérie – Hommage au professeur Kaci Hadjar: Un moudjahid du fusil et du bistouri
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 18 juillet 2019

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« Il dort. Quoique le sort fut pour lui bien étrange,Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange. La chose simplement d’elle-même arriva.Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va». Victor Hugo (Les Misérables)

«Je n’ai fait que mon devoir»

Le professeur Kaci Hadjar nous quitte en nous laissant dans un profond désarroi Il m’honorait de son amitié. C’était un citoyen du monde, éclectique, mais qui, dans les haltes importantes de la vie, a su faire le bon choix et être du bon côté de l’Histoire. Qu’il repose en paix !

Qui est le professeur Kaci Hadjar ?

Il est, par excellence, un pur produit de l’Algérie profonde qui a réussi à émerger dans cette atmosphère de pesanteur coloniale qui pensait pouvoir durer mille ans. Il est né en 1939, à Aït Boumahdi (wilaya de Tizi Ouzou). Après l’école indigène, puis celle des Pères blancs d’Aït Yenni, il rejoint son père mineur dans le Nord de la France, où il fréquente l’école des Jésuites et les grands et prestigieux lycées parisiens. En 1960,laissant ses études, il avait vingt ans, il rejoint les rangs de la Révolution armée dans les maquis de l’Oranie (Wilaya 5 historique). Après avoir combattu dans les rangs de l’ALN, démobilisé après l’Indépendance, il reprend aussitôt le chemin des études à la Faculté de médecine d’Alger. Il a dirigé pendant de longues années en tant que chef de service la gynéco-obstétrique de l’hôpital de Bologhine, Kaci Hadjar n’est pas seulement professeur de médecine depuis 1992, puis chef de service, Il a aussi été un écrivain éclectique

Un intellectuel éclectique témoin de son temps

De quelque côté que l’on décrypte Kaci Hadjar, il ne cesse de nous intriguer. Intellectuel éclectique, le professeur Hadjar s’est découvert graduellement une âme de témoin du siècle. C’est avant tout un fils aimant qui nous raconte son affection pour ses parents dont il tire la substantifique moelle en termes de règles dans la vie. C’est aussi un poète. C’est enfin un témoin du XXe siècle qui, à sa façon, nous propose non seulement une grille de lecture, mais aussi tente de nous convaincre de ce que serait un monde apaisé en prenant en exemple les relations algéro-françaises. Enfin, comme on le constate, le sort des minorités dans le monde semble le préoccuper au plus haut point (1). 

Kaci Hadjar est fils d’émigré des premières générations avec ce que tout cela comporte comme abnégation pour quitter son terroir et aller affronter une autre civilisation pour pouvoir nourrir sa famille. Il n’est pas étonnant de ce fait, que l’abnégation des parents aidant, le jeune Kaci Hadjar fit ses humanités dans les lycées parisiens. L’une des facettes de Kaci Hadjar, celle qu’il nous plaît de rapporter avec d’autant plus de bonheur que nous nous identifions, est l’amour qu’il porte à ses parents. De lui, il gardera une certaine retenue et un amour raisonné du verbe et du travail bien fait.

Le maquisard qui n’a fait que son devoir 

En ces temps de Hirak où chacun fait son inventaire à la lumière des remises en cause, il est bon de rappeler que l’Algérie ce ne sont pas que des pourris qui ont mis le pays en coupe réglée, effaçant le prestige de ces maquisards qui sont loin des feux de la rampe occupés par les idéologues et maquisards de la vingt-cinquième heure. Il y eut des personnalités admirables dignes  filles et fils de l’Algérie  Le professeur Hadjar est de ces humbles qui ont fait leur devoir et n’en a tiré aucun bénéfice. L’indépendance acquise, il retourne sur les bancs de l’université. Et Dieu que ce ne fut pas facile de choisir le chemin le plus dur, celui de tourner le dos à sa carrière de maquisard, ne pas en faire un fonds de commerce et s’embarquer dans un autre Djihad, celui du savoir.  

Comme il le dit si bien : « Je n’ai fait que mon devoir, maintenant je vais reprendre mes études de médecine, pour entamer l’autre djihad celui de contribuer à l’édification du pays. » A bien des égards, il rappelle le dévouement du colonel Khatib commandant la Wilaya 4 historique qui, après l’indépendance reprit lui aussi le chemin de la Faculté de médecine. Il exerce son métier dans la discrétion la plus absolue. 

Curieusement, un autre universitaire de talent, le professeur Khelifa Zizi, professeur émérite de mathématiques à Paris, eut la même réaction lui aussi en tant qu’ancien maquisard et bien mérité de la patrie, en répondant d’abord, à l’appel de la patrie pour l’indépendance en Wilaya 4 historique – pour lui aussi, ce n’est qu’un devoir, où il ne faut rien attendre en échange- et reprit sa licence de maths à Paris en 1963, fit un doctorat en mathématiques sous la direction de Laurent Schwarz médaille Fields de mathématiques ( équivalent du prix Nobel de mathématiques) dont il prit la succession à Polytechnique à Paris

La figure tutélaire du père

L’autre facette de ce professeur qui se sentait à l’étroit en tant que professeur, est d’aller sur d’autres terres. Il donna alors cours à son autre don, l’écriture. Il publia une demi-douzaine d’ouvrages commençant par rendre un hommage appuyé à son père.  Il voulait laisser un patrimoine oral, pour cette nouvelle génération, qui lui a été légué par son défunt père. A travers cet ouvrage « Mon père disait… » L’auteur invite le lecteur à connaître ses traditions, les proverbes berbères qu’utilisaient les ancêtres et qui commencent à rentrer dans la zone de l’oubli pour être remplacés par d’autres termes allogènes. Dans cet ouvrage, chaque proverbe et chaque maxime recèlent des vertus morales. Le professeur Kaci Hadjar est également l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé Les joies et les peines (paru chez les éditions Grand-Alger livres en 2004) et d’un essai philosophique La machine infernale (paru aux mêmes éditions, en 2006).  

Le défunt père de Kaci, Omar Hadjar, a inculqué à son fils dès son enfance les secrets de la sagesse et les vertus pour faire de lui un homme. « Mon père ne cessait de rabâcher cette maxime imagée, qui lui était si chère, quand il voulait me livrer les secrets de la vie en me conseillant l’endurance qu’il fallait pour l’affronter dès mon jeune âge, à mon adolescence, à mes premiers pas au collège. » A travers ce recueil de proverbes berbères, il voulait rendre hommage à son père dont il garde toujours un profond sentiment, ainsi que le souvenir de la complicité sans faille qui les unissait pendant leur exil forcé en France.

Pour Nadir Iddir « Kaci Hadjar rappelle par certains côtés Marcel Pagnol. Avec le créateur de Fanny, il partage la prescience et le respect dû au père. Par ses écrits, il tient à rendre grâce à celui qui fut pour lui le réconfort. Son père, Omar Hadjar, le poussera à bachoter sans trop s’encombrer des considérations matérielles dont il s’occupait lui-même en travaillant chez Usinor en France. Le père ne fut pas instituteur comme celui de Pagnol, mais un ouvrier comme on en trouvait tant dans les usines métropolitaines. Hadjar perdra ce père en 1968, il ne s’en consolera jamais. De lui, il gardera une certaine retenue et un amour raisonné du verbe et du travail bien fait. » (2)

La facette féconde de l’ homme de lettres 

«Chaque proverbe et chaque maxime recèlent des vertus morales», a souligné l’auteur pour qui ces dictons «sont des principes de vie pour bien éduquer un enfant». «Tous ces proverbes et maximes, qui cristallisent toutes les valeurs, sont en moi, je les connais par cœur, mais je voulais aussi écrire leurs significations, c’est-à-dire les commenter», «Notre terroir renferme une infinité de proverbes et maximes», a confié le professeur Hadjar qui a aussi, à cette occasion, souligné la valeur de la lecture. «Le savoir s’acquiert par plusieurs moyens, mais particulièrement par la lecture», a relevé le conférencier dont l’ouvrage reprend des maximes et proverbes en tamazight avec une traduction en langue française.

La facette de poète sans le savoir, à la manière de monsieur Jourdain, est décrite magistralement par A. Ben Alam: «Un pari fou, écrit-il que celui des éditions Apic, qui viennent de publier un recueil de poésies. En l’occurrence celui de Kaci Hadjar, au titre évocateur : « Les joies et les peines ». En alexandrins, s’il vous plaît. Hugoliens et même parfois baudelairiens. L’auteur nous invite à entrer dans un univers où le bucolique le dispute aux scènes du genre. En refermant l’ouvrage, on se dit qu’en fait, Kaci Hadjar a fait le tour de la question: les quatre saisons (printemps, été, automne, hiver), les jardins, les souvenirs d’enfance (sans jouets, repas du soir, lavandières, le fossoyeur, le marabout…), la vie d’autrefois, la révolution, le vice et la vertu, les secrets de Paris, sont les quelques titres glanés à travers les pages de ce beau livre, bien réalisé sur le plan graphique. L’auteur fait partie de cette génération de rares étudiants qui ont troqué la plume contre le fusil pour assumer leur devoir contre l’oppression et l’injustice de l’ère coloniale. «Les joies et les peines» poursuit A. Ben Alam est de ces livres qu’on ouvre avec délicatesse, un jardin dont on a peur de piétiner les fleurs.(3)

Les bonnes causes. La destinée humaine 

Quand il parle dans son dernier essai «L’oppression des minorités» paru en 2011, c’est, le croyons-nous, un concentré en filigrane de tout ce qui ne va pas dans le monde. En honnête courtier il fait l’inventaire de toutes les détresses de ces minorités qui sont réparties dans le monde. Il nous invite ce faisant, à nous rendre compte de la souffrance des Indiens, des Roms et tsiganes, des minorités chinoises, des Basques. Une place spéciale est accordée aux Berbères, ce peuple premier de l’Afrique du Nord, de l’Atlantique jusqu’aux confins de l’oasis de Siwa en Egypte. On peut regretter cependant que le sort des Palestiniens ne soit pas évoqué (4).

S’agissant du passage sur Terre et du destin de l’humanité, il écrit: «Au cours de l’existence, il y a un moment où le Destin des Hommes force la réflexion profonde à donner un sens à la Vie qui vient d’être vécue, en bien ou en mal. L’Homme devra se confesser à sa propre conscience, devant le tribunal intérieur; pour se remettre à une Puissance Invisible, mais qui le hante et l’habite. Vouloir comprendre le monde qui nous entoure est pour nous tous un exercice complexe, parfois ingrat, souvent épuisant, toujours déroutant. » Le mérite de Kaci Hadjar, au-delà de son talent de poète, nous prend par la main et nous explique simplement les choses de la vie.

… Enfin, son mérite, assurément bien dans sa peau après une honnête carrière acquise de haute lutte, est de se révéler sur un autre plan celui de la littérature, de la poésie. Loin du m’as-tu-vu, des biens en cours. Qu’il en soit remercié pour son apport multidimensionnel. Non ! l’Algérie ce n’est pas les roupis  qui ont donné une image désastreuse de l’Algérie ; notre pays recèle des pépites qui, chacune à sa façon, contribue à édifier ce pays. 

En définitive, le professeur Hadjar nous invite à revenir aux fondamentaux de la vie – Le respect des anciens, le travail bien fait, l’honnêteté intellectuelle, le respect de la parole donnée, le parler -vrai- seuls repères dans ce maelström de la pensée et cette anomie à tous les coins du monde. Cet hommage mille fois mérité,  nous permet de contribuer modestement  à rendre justice à ces bâtisseurs qui, non contents de faire leur devoir envers la patrie, par les armes, , participent par l’esprit, par leur sacerdoce au quotidien,  à leur façon à l’aventure humaine et à l’édification des savoirs. 

Ces vers de Victor Hugo cités en préambule, sont là pour nous rappeler l’inanité de la vie dans ce qu’elle a de plus tentateur pour ceux qui s’accrochent d’une façon morbide à l’accumulation de richesses. Faut-il avoir ou être ? » telle est la question à laquelle a répondu le professeur Hadjar. Qu’il repose en paix du sommeil du juste…

Professeur  Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

Notes

1.https://www.alterinfo.net/LE-PROFESSEUR-KACI-HADJAR-Un-intellectuel-eclectique-temoin-de-son-temps_a74288.html

2. Nadir Iddir : Mon père disait… Une petite chanson de piété filiale El Watan 21.10.2007 

3. A. Ben-Alam www.lexpressiondz.com http://www.vitaminedz.com/les-joies-et-les-peines-de-kaci-hadjar-poesie/Articles_ 16053_30027_0_1.html 

4. Kaci Hadjar : L’oppression des minorités dans le monde. Editions Onda 2011

Article de référence https://www.lexpressiondz.com/nationale/un-moudjahid-du-fusil-et-du-bistouri-318223

 

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