Algérie : Un État à la dérive et la possibilité de sortie de la trappe.

Une réponse possible par Albert O. Hirschman.

Dans des contributions précédentes [1, 2] pour le Centre de recherche sur la mondialisation, c’est la progression du processus de soumission de l’Algérie, faute de quoi c’est sa déstabilisation qui sera enclenchée, qui a été suivi.

La soumission a atteint son apogée par l’adoption d’une constitution par les parlementaires qui sont incapables de nommer ses rédacteurs. Par cette loi fondamentale qui a transformé la composante histoire et identité d’une force en une menace, l’État algérien s’est engagé à ne tenter aucune déviation dans de la privatisation des ressources naturelles du pays et de faire de ses populations des consommateurs passifs.

Par l’élimination du risque dans le changement des intentions, l’État algérien s’est transformé en un (État) à la dérive. Ses décideurs politiques locaux sont devenus des exécuteurs d’ordres extérieurs.

Avec les drames qui frappent des pays arabes et africains, un travail médiatique alimenté à partir des pays anglo-saxons et la non-réaction des Algériens échaudés par la guerre civile, les décideurs ont opté d’abord pour les opérations en catimini et quelques manœuvres dilatoires qui ont fini par irriter les USA, le Royaume-Uni et la France.

Dans un duel par le chantage aux responsabilités dans les tragédies humaines qui ont ensanglanté le pays, aux fortunes placées dans ces pays et les déboires judiciaires qui pourraient s’en suivre, la France s’est contentée de l’éducation, du secteur industriel lié à l’automobile et en partie aux assurances ainsi que de l’expansion de la consommation des Algériens établis dans ce pays qui approvisionneront les leurs en produits des futures pénuries ou rendus inaccessibles par l’inflation; les USA et le Royaume-Uni se sont octroyé le reste : Les ressources naturelles et l’argent du pétrole et gaz en attendant de mettre la main sur l’agriculture. Pour atteindre cet objectif, les compagnies d’exploration ont miné tout le sud algérien par un gigantesque réservoir souterrain de dioxyde de carbone dans la région d’Ain Salah qu’une bombe mal guidée envoyée d’un drone pourrait faire exploser et c’est tout l’écosystème régional qui passera de réserve de la biosphère mondiale à celui de mouroir.

À ce chantage, les autorités algériennes ont répondu favorablement sans aucune forme de négociation ou débats publics internes aux programme et politique d’ajustement structurel et une chute libre du dinar, une dévaluation que rien ne justifie et dont les précédentes ont prouvé leur inefficacité ; l’argument de stimuler les exportations relève du « biberonage » autant que celui qui fait croire aux Algériens par l’intermédiaire d’expertologues que l’OPEP est un cartel !

L’Algérie dans la nouvelle configuration globale

La doctrine Tina (There Is No Alternative) conduite par Ronald Reagan (1901, 2004) et Margaret Thatcher (1925, 2013) s’est éteinte. Dans une certaine indifférence de la Chine que lui procure ses réserves de change et les hésitations de la FED à relever d’un point de base son taux d’intérêt et une nervosité visible de la Russie, la nouvelle configuration globale est violente.

Conduite par les forces liées aux banques, le contour de cette nouvelle configuration est un néo-partage de zones géographiques remises sur la voie de la paupérisation et à l’Algérie échoit une place.

Cette configuration répond à la théorie de la diffusion de la puissance structurelle de Susan Strange. Le professeur Randall Germain de l’université de Carlton (Canada) écrit [3] :

In Strange’s view, this ability to set the rules derived from several sources, some public or state-centred and some centred more in the nominally private operation of the (capitalist) economic system. For her, the American state still maintained a considerable military edge over its closest rivals, which was reinforced by the continued reluctance of European states to devote adequate resources to defending themselves. But equally importantly, American corporations continued to dominate production systems that spilled across national borders and which were a principal source of high value profits. The superior innovative capacities of these firms, bolstered by government-sponsored military research, bestowed onto certain segments of America’s economy an unalloyed competitive advantage. […] Finally, and for her critically, the US (through its government, its markets and its private institutions) had a lock-grip over the organization and operation of the world’s monetary and financial system. For Strange, all that was required for America to actually exercise its structural power was a willingness to act politically in a manner congruent with its underlying power capacities.

Les nouveaux éléments révélateurs de la soumission de l’Algérie

A leur retour de la dernière réunion du FMI, le gouverneur de la Banque d’Algérie sans révéler l’instrument de calcul de l’inflation, a confirmé la dégringolade de la monnaie nationale en encourageant les bureaux de change privés.

Quant au ministre des Finances, il tire sa joie de la satisfaction du Fonds monétaire international qu’il aurait comprise dans les derniers constats du Fonds monétaire international [4]. En épargnant les barons du crédit et l’import-export, le contrôle des capitaux et en éprouvant des difficultés à conduire l’emprunt obligataire et les opérations de bourse qui concernent sans aucun hasard uniquement les entreprises du secteur public, il menace les jeunes qui ont bénéficié de crédits – cause d’une expansion monétaire inflationniste – de prison s’ils ne remboursent pas !

Sans le dire, dans les politique et programme d’ajustement structurel imposés, c’est l’anticipation de modèle de la crise grecque qui est mise en œuvre. En effet, le ministre des Finances a décidé de soumettre à contribution les revenus des salariés et les pensions de retraite, sources facile à capter.

Dans cet arsenal de guerre sociale, le ministre des Finances oublie de dire que quand les institutions de Bretton Woods sont satisfaites, c’est un peuple qui pleurera.

Les chiffres officiels, une bombe dégoupillée dans les mains du ministre des Finances et du gouverneur de la Banque d’Algérie

Sans aucune maitrise des chiffres des agrégats économiques et sociaux, l’Algérie s’est offerte aux responsables et conseillers du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Sans fournir d’efforts majeurs, ces responsables imposent le même traitement à une série de pays africains et arabes. Élaborer des analyses et diagnostics sur la base de ces données concourent à se fabriquer un linceul, celui de la paupérisation sur le très long terme en s’attaquant à la santé et c’est cette voie qui constitue le crédo de la nouvelle organisation mondiale.

La santé, le modèle québécois mis en marche.

Oubliant probablement que l’État du Québec est un fédéré du Canada, voisin des USA et qui a des capacités d’innovation technologiques certaines, l’Algérie, un pays loin de ses standards, a mimé son système de santé dans ses aspects négatifs.

Disposant en la carte Echiffa de l’équivalant de la castonguette ou la carte d’assurance maladie québécoise, et partant de l’hypothèse que la gratuité dans les soins de santé engendre une demande infinie, le ministre de la Santé prône la participation de tous de payer leur part. Cette approche a le mérite de casser le mythe du rationalisme et des rendements marginaux décroissants, deux approches non seulement non maitrisées dans les pays comme l’Algérie, elles leurs sont complètement antinomiques culturellement et sociologiquement.

Dans le peu d’informations qui a filtré, ce sont les soins de première ligne qui prendront le coup et l’introduction de soins à domicile dans un pays si vaste qu’il est impossible de protéger par des ceintures d’ambulances et structures sanitaires d’urgence. Ils seraient suivis de la définition du caractère raisonnable de la gamme de soins à assurer et d’une nouvelle autre gamme, celle des chirurgies électives.

Le choc attendu est si violent que le ministre de la Santé a préféré passer par le licenciement de professeurs et la répression des praticiens. Cette stratégie s’inscrit dans le renforcement du secteur libéral en le dotant de plus d’organismes à but lucratif et en dégraissant celui à but non lucratif. Dans une surprenante naïveté dans sa réaction, le dernier à en faire les frais est un professeur en médecine et ancien titulaire de ce portefeuille ministériel en se signifiant la fin de certains mandats comme celui de la recherche.

La voie politique obstruée, c’est l’impasse pour un renouvellement institutionnel apaisé

Entouré de pays instables et vulnérables à la menace dite terroriste intégriste, dans une rupture des mécanismes de cohésion politique et sociale et l’inimaginable refrain d’un coup de nouveaux Janvieristes, l’Algérie est dans une situation de blocage interne qui appuie sa soumission.

Si en octobre 1956, après le premier acte de terreur aérienne mené par la France contre l’avion qui transportait les pères du Front de libération nationale (FLN) et parmi eux Hocine Ait Ahmed (1926, 2015) et Mohamed Boudiaf (1919, 1992), le roi Mohamed V (1909, 1961) a proposé en échange son fils, le futur roi Hassan II (1929, 1999) contre la libération des leaders du FLN, au lieu de faire de cet événement, un repère fondateur d’un traité de paix et de fraternité  qui sera rehaussé par des échanges de tout type sur la base des trois facteurs fondamentaux d’intégration que sont l’identité, la géographie et la similitude des niveaux de développement, l’Algérie et le Maroc sont allés dans une direction opposée, celle du surarmement et la fermeture des frontières.

Albert O. Hirschman et son triptyque : Exit, Voice et Loyalty pour sortir de l’impasse.

Ce triptyque est aisément applicable dans l’économie marchande, sa transposition au politique fournit la solution pour l’Algérie et les pays voisins pour sortir de cette impasse.

Les voix (voices) des peuples se sont exprimées ; l’exit (les sorties) de ces territoires pour aller dans d’autres sont impossibles, reste la voie de la fidélité-loyauté (loyalty) pour sortir de l’impasse.

La loyauté envers la patrie ou la terre est cette force, non pas puissance, qui est portée par les peuples qui ont soif de liberté et prêts au sacrifice pour remettre l’amour, toujours selon Albert O. Hirschman [5], au-devant de tous les autres idéaux.

Cherif Aissat

 

[1] AISSAT, Chérif.  Algérie. Révision de la Constitution : soumission à l’ultralibéralisme et au club Bilderbeg. Centre de recherche sur la mondialisation. http://www.mondialisation.ca/algerie-revision-de-la-constitution-soumission-a-lultraliberalisme-et-au-club-bilderbeg/5388795

[2] AISSAT, Chérif. Exploitation des gaz de schiste en Algérie ou la destruction de son avenir social et économique. Centre de recherche sur la mondialisation.  http://www.mondialisation.ca/exploitation-des-gaz-de-schiste-en-algerie-ou-la-destruction-de-son-avenir-social-et-economique/5383829

[3] Randall, Germain The Political Economy of Global Transformation: Susan Strange, E.H. Carr and the Dynamics of Structural Change. Carleton University. https://www.princeton.edu/~pcglobal/conferences/strange14/germain.pdf

[4] Fonds monétaire international. IMF Executive Board Concludes 2016 Article IV Consultation With Algeria. http://www.imf.org/external/np/sec/pr/2016/pr16228.htm

[5] Cité par Sabina Alkire dans Mesurer la pauvreté multidimensionnelle : les limites.   http://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2011-2-page-61.htm

Pour lui, l’amour est mal pris en compte dans l’économie parce que ce n’est ni une ressource rare ni une compétence augmentable. Cette suggestion de Hirschman, aussi noble soit-elle, n’a pas eu de suite dans la pratique. Cette persistance de la parcimonie a sans doute de nombreuses explications, dont probablement le fait que l’on n’ait pas bien compris quand et comment une telle complexité pourrait ajouter de la valeur, ou peut-être parce que le moment n’était pas encore venu. 



Articles Par : Cherif Aissat

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