Alors que les tensions géopolitiques et économiques montent, le FMI met en garde contre une dette mondiale record

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Huit ans après l’éclatement de la crise financière mondiale, les conditions sont en train d’être créées pour un autre effondrement dans des proportions encore plus grandes, au milieu la montée des tensions géopolitiques et économiques entre les grandes puissances capitalistes.

C’est implicite dans trois rapports publiés par le Fonds monétaire international en vue de sa réunion annuelle qui a commencé hier à Washington. « Les Perspectives de l’économie mondiale » a rapporté une croissance plus faible dans tous les pays avancés, ce qui souligne l’absence d’une véritable reprise de l’économie mondiale, tandis que les deux rapports financiers ont signalé une instabilité croissante résultant de l’injection par les banques centrales de milliards de dollars dans le système financier mondial.

Pris ensemble, les rapports soulignent les contradictions économiques qui sous-tendent et alimentent une série de crises. Ceux-ci comprennent : le ralentissement du commerce mondial, l’augmentation des mesures protectionnistes, la dispute entre les États-Unis et l’Union européenne sur les paiements d’impôts d’Apple, l’initiative par le ministère américain de la justice d’imposer une pénalité de 14 milliards de dollars à la Deutsche Bank, la rupture des négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) parrainé par les États-Unis, et les accusations de politiciens à Berlin que les États-Unis mènent une « guerre économique ».

L’instabilité croissante du système financier a été mise en évidence dans le rapport semestriel « La Revue financière » [Fiscal Monitor] du FMI publié mercredi qui a constaté que la dette du secteur non-financier de l’économie mondiale a doublé (à prix courants) depuis le tournant du siècle pour atteindre 152 000 milliards de dollars l’année dernière et qu’elle continue d’augmenter.

Les niveaux d’endettement actuels représentent 225 pour cent du produit intérieur brut (PIB) mondial, ils étaient de 200 pour cent en 2002. Le FMI a déclaré que, même s’il n’y a pas de consensus sur le niveau exact de dette qui serait excessif, les niveaux actuels, dont les deux tiers sont tenus par le privé, sont à un niveau record.

Il y a un besoin de désendettement, mais l’environnement de faible croissance actuelle rends « l’ajustement très difficile, ce qui ouvre la voie à la création d’un cercle vicieux dans lequel une croissance plus faible entrave le désendettement, et le surendettement exacerbe le ralentissement ».

Le rapport indique que le problème de surendettement, caractérisé comme une situation dans laquelle les besoins du service de la dette de l’emprunteur dépassent sa future capacité de remboursement, « est pleinement dû au secteur privé des économies avancées ».

Si le FMI n’a pas soulevé ce point, son analyse dément l’affirmation selon laquelle des dépenses gouvernementales excessives seraient la cause de la montée des problèmes financiers. Selon le rapport de « La Revue financière », l’assouplissement des restrictions sur le crédit a fait que la dette du secteur privé non financier dans les grandes économies a augmenté de 35 pour cent du PIB dans les années précédant la crise financière mondiale.

De manière significative, il y avait une augmentation rapide de la dette des ménages sur cette période. Le rapport n’en a pas indiqué les raisons, mais deux facteurs principaux ont été, sans aucun doute, le faible niveau des augmentations de salaire qui entraîne une augmentation des emprunts, et la flambée des prix de l’immobilier dans un certain nombre de pays – elle-même, un produit de l’expansion du crédit. Le FMI a noté que dans certains pays – l’Australie, le Canada et Singapour – la dette du secteur privé a continué à s’accumuler à un rythme rapide.

Le rapport a constaté que la dette publique, qui représente un tiers du total, a augmenté de 70 pour cent du PIB mondial à 85 pour cent. Mais près de la moitié de cette augmentation est le résultat d’une faible croissance nominale. En d’autres termes, très loin d’avoir une hausse de la dette publique résultant de dépenses « débauchées » sur la santé, les pensions et les services sociaux – le mantra de ceux qui exigent l’austérité – son expansion est enracinée dans la stagnation qui continue depuis la crise financière de 2008.

Un deuxième rapport financier, « La Stabilité financière mondiale » [Global Financial Stability], a analysé les risques croissants pour le système financier. Il a déclaré que si les risques à court terme ont diminué depuis le rapport précédent en avril, « les risques à moyen terme sont en train de se construire ». Le ralentissement continu de la croissance mondiale avait incité les marchés financiers de s’attendre à la continuation de la période actuelle caractérisée par une inflation faible, des taux d’intérêts bas, entraînant « un délai plus long dans la normalisation de la politique monétaire ».

Il a mis en garde, cependant, que certaines politiques monétaires comme les taux d’intérêt négatifs ont « atteint les limites de leur efficacité, et, pour les banques et d’autres institutions financières, les effets secondaires à moyen terme de ces faibles taux commencent à monter ».

Les fonds de pension et les compagnies d’assurance, qui dépendent pour leur financement des investissements dans des obligations gouvernementales à long terme, ont été particulièrement affectées, leur solvabilité est « menacée par une période prolongée de faibles taux d’intérêt ».

Dans leur ensemble, les institutions financières dans les économies avancées font face à un « certain nombre de défis conjoncturels et structurels et doivent s’adapter à la nouvelle ère de croissance faible et de taux d’intérêt bas ». Si ces défis sont laissés sans réponse, cela « pourrait porter atteinte à la solidité financière ».

Ces problèmes plongent au cœur même du système financier capitaliste – les banques. Le rapport indique que la rentabilité faible pourrait « éroder la marge de manœuvre des banques et saper leur capacité à soutenir la croissance ». Même s’il y avait une reprise cyclique de l’économie, cela ne résoudrait pas les problèmes de faible rentabilité. « Plus de 25 pour cent des banques dans les économies avancées (avec environ 11 700 milliards de dollars d’actifs) resteraient faibles, et feraient face à des défis structurels importants », ces problèmes sont concentrés dans les secteurs bancaires européen et japonais.

« Dans la zone euro », indique le rapport, « les prêts improductifs excessifs et les freins structurels sur la rentabilité exigent une action urgente et globale ». La Réduction des prêts improductifs et le comblement des lacunes en capital sont des priorités selon le rapport.

Les problèmes financiers croissants, tout en étant concentrés dans les économies avancées, ne se limitent pas à celles-ci. Le rapport a constaté que, dans les économies émergentes, environ 11 pour cent de la dette des entreprises, plus de 400 milliards de dollars, a été détenue par des entreprises à « faible capacité de remboursement ».

Il est difficile pour ces entreprises de « dépasser le problème » à cause de niveaux d’endettement élevés et d’une capacité excédentaire, ce qui les rends : « sensibles à des événements inconvénients externes ou internes », et si les taux d’intérêt ont commencé à augmenter et que les revenus sont à la baisse, « un tel scénario épuiserait la marge de manœuvre sur les fonds propres des banques dans certains marchés émergents ».

Un autre domaine de préoccupation était la Chine, où « la croissance rapide et continue du crédit […] et l’expansion des produits bancaires non régulés créent des risques croissants pour la stabilité financière. » En croissance rapide, le système financier « devient de plus en plus endetté et interconnecté, et une variété de véhicules et de produits innovants s’ajoutent à cette complexité ». Le volume de dettes des entreprises à risque demeure élevé, et « les risques sous-jacents provenant des risques liés aux crédits de trésorerie qui s’ajoutent à ces défis ».

Les trois rapports soulignent les contradictions du système capitaliste mondial qui s’approfondissent. Le FMI a insisté sur le fait que, en l’absence de toute hausse conjoncturelle de l’économie, la politique monétaire seule ne peut pas entraîner une reprise, et des dépenses des institutions publiques et d’autres sources sont nécessaires pour fournir un coup de pouce.

Mais de telles dépenses augmenteraient la dette et dépendront du maintient de taux d’intérêts bas. Ces taux d’intérêts ultra-bas, cependant, minent de plus en plus la stabilité des banques et autres institutions financières, créant les conditions d’une nouvelle crise financière, ce qui va encore enflammer le niveau déjà élevé de conflits géopolitiques et économiques.

Nick Beams

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 7 octobre 2016



Articles Par : Nick Beams

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