Amérique Latine : Une Guerre Froide Perpétuelle

lundi 3 novembre 2003

Loin des théâtres d’opérations militaires américains que sont l’Irak et l’Afghanistan, loin des grondements de tambours de l’armée de George Bush Junior qui se font entendre en Corée du Nord, en Syrie et en Iran, la CIA continue à exercer ses talents subversifs en Amérique Latine contre des régimes démocratiquement élus, comme celui du Président du Venezuela, Hugo Chavez.

En avril 2002 une tentative de coup d’Etat contre Chavez échouait de peu. Dès le début de cette tentative les Etats-Unis ont apporté leur soutien politique aux putschistes qui étaient menés par le patron des patrons vénézuéliens (Pedro Carmona), proche des milieux affairistes américains et favorable au projet de libre-échange promu par Washington en Amérique Latine.

L’intervention américaine ne semble pas s’être réduite à l’expression verbale du soutien moral apporté aux putschistes par le porte-parole de la Maison Blanche dès le lendemain du coup d’Etat (Ari Fleischer reconnaîtra le nouveau gouvernement mis en place par les putschistes). L’implication directe de la CIA et de membres de l’administration Bush dans le complot paraît aujourd’hui établie (deux anciennes personnalités mêlées au scandale de l’Irangate, Otto Reich, responsable de la politique latino-américaine de l’administration Bush et Elliot Abrams, du Conseil national de sécurité et promoteur des escadrons de la mort en Amérique Latine dans les années 70 et 80, semblent avoir joué un rôle clef dans cette tentative. Pour plus de détails, voir les articles mentionnés ci-dessous).

Que le Venezuela soit, peut-être, gouverné par une personnalité incompétente, populiste et au passé militaire peu recommandable (ancien parachutiste, auteur d’un coup d’Etat manqué le 4 février 1992, Hugo Chavez est très décrié par les élites de son pays et par la classe moyenne), importe peu s’il à été élu démocratiquement (élu en 1998 et réélu en 2000 pour un mandat de six ans) et s’il ne porte pas atteinte aux libertés fondamentales de ses concitoyens. En tout état de cause, rien ne permet de justifier l’intervention d’une puissance étrangère dans la déstabilisation politique du pays comme au temps de la guerre froide, où la lutte contre le communisme et les mouvements de gauche pouvaient paraître justifier, pour certains, les coups d’Etats orchestrés par Washington sur le continent sud américain.

Le Venezuela est le quatrième pays exportateur de pétrole au monde (ses réserves le placent au sixième rang mondial) et l’un des membres les plus actifs de l’OPEP (le seul pays latino-américain membre de l’OPEP), ce qui fait de lui un pays géostratégique majeur dont Washington a besoin de maîtriser les soubresauts.

Aux yeux de l’administration Bush, Chavez a commis plusieurs crimes impardonnables, qui justifient, chacun, un changement de régime :

-  il mène une politique populiste très marquée à gauche et ne souhaite pas ouvrir les marchés d’Amérique Latine aux grandes entreprises américaines en acceptant les termes de l’Accord de Libre-échange nord-américain (que les Etats-Unis aimeraient étendre à l’ensemble de l’Amérique du sud sous l’égide de l’Accord de Libre-échange des Amériques) ;

-  Chavez envisage d’utiliser les euros plutôt que les dollars pour les transactions pétrolières ; (‘Currency Wars : Venezuelan move to replace US$ with the €uro’, By Roy S. Carson in Global Research on Globalization, mardi 24 juin 2003 dans L’Idiot) ;

-  Chavez milite ouvertement pour un renforcement de l’OPEP et encourage l’Arabie Saoudite à s’affranchir de la tutelle américaine qui paralyse l’institution. L’une des motivations de l’intervention américaine en Irak était de permettre l’éclatement de l’OPEP ou son contrôle par les Etats-Unis ; Chavez contrarie cette ambition ;

-  Chavez avait souhaité renégocier un accord pétrolier vieux de soixante ans portant sur les dividendes versés au Venezuela par les compagnies pétrolières étrangères ;

-  Chavez refuse de signer un accord bilatéral avec les Etats-Unis leur concédant l’immunité au regard du traité établissant la Cour Pénale Internationale ; (‘Venezuela says NO to bilateral US war crimes immunity agreement’, By Patrick J. O’Donoghue from VHeadline, vendredi 11 juillet 2003 dans L’Idiot) ;

-  Chavez refuse de participer à la politique anti-terroriste menée par les Américains en Colombie (il appuie indirectement les FARC -rébellion communiste- contre les paramilitaires colombiens soutenus par Washington au travers, notamment, du Plan Colombie).

Les pays d’Amérique Latine sont prévenus, la guerre froide n’est toujours pas terminée sur leur continent ; elle n’est que l’un des aspects de la guerre perpétuelle que les Etats-Unis mènent pour maintenir leur suprématie.

Lula (Président du Brésil) a déjà compris qu’il ne lui faudra pas aller trop loin. Kirchner (Président de l‘Argentine) devra se montrer plus coopératif et le Président de l’Equateur saura rentrer dans l’ordre (en avril 2003, Lucio Gutierrez échappait à une tentative d’assassinat, vraisemblablement commandité par des proches de l’administration Bush).

Ainsi, plus de dix ans après la fin officielle du monde bipolaire, les mêmes hommes, dans quelques bureaux de Washington, poursuivent les mêmes objectifs et les mêmes besognes avec les mêmes moyens, sur un continent qu’ils souhaiteraient ne pas voir sortir de la Guerre Froide.

Références :

(‘Venezuela coup linked to Bush team, Specialists in the ‘dirty wars’ of the Eighties encouraged the plotters who tried to topple President Chavez’, Ed Vulliamy, The Observer, Sunday April 21, 2002).

(‘American navy ‘helped Venezuelan coup’’, Duncan Campbell, Monday April 29, 2002, The Guardian).

(‘Opec chief warned Chavez about coup’, Greg Palast, Monday May 13, 2002, The Guardian).

(‘Venezuela has proof Washington was behind failed coup’ In The Canadian Press, mercredi 16 avril 2003 dans L’Idiot).

(‘Chavez worries over possible coup attempt’, Associated Press, jeudi 3 juillet 2003 dans L’Idiot). (Venezuela : The Other Side of the Story’, By Mark Weisbrot in The Intetrnational Herlad Tribune, lundi 1er septembre 2003 dans L’Idiot).

(‘Venezuelan Military Intelligence says overwhelming evidence the CIA planned to bring down Chavez Frias’ airplane en route to United Nations in New York’, By Roy S. Carson from VHeadline -Venezuela- lundi 22 septembre 2003 dans L’Idiot).

(‘Chavez « We have proof of the CIA’s clandestine activities in Venezuela »’, By Gregory Wilpert from The Guardian in Australia, mercredi 24 septembre 2003 dans L’Idiot).

(‘Chavez accuses CIA as bombings rock Venezuela’, AFP, jeudi 9 octobre 2003 dans L’Idiot).

(‘Venezuelan VP alleges CIA role in Caracas attacks’, Reuters, lundi 13 octobre 2003 dans L’Idiot).

(‘U.S. Denies Alleged CIA ‘Subversion’ in Venezuela’, Reuters, vendredi 24 octobre 2003 dans L’Idiot).

(‘Wackenhut denies its employees are CIA agents plotting to overthrow Venezuela’s Chavez’, The Associated Press, jeudi 30 octobre 2003 dans L’Idiot).



Articles Par : Global Research

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